BFMTV
Terrorisme

13-Novembre un an après: le quartier de la République entre peur et oubli

Pendant des semaines, la foule est venue se recueillir devant le Carillon et le Petit Cambodge.

Pendant des semaines, la foule est venue se recueillir devant le Carillon et le Petit Cambodge. - Eric Feferberg - AFP

Le 13 novembre 2015, 15 personnes ont perdu la vie sur les terrasses du Petit Cambodge et du Carillon, abattues par un commando de terroristes. Personne dans le quartier n'a oublié ce qui a été le point de départ de cette nuit tragique. Les plus marqués sont les commerçants.

Les trois établissements se font face. Samedi après-midi, tous ont du monde, certains plus, à leur table en salle ou en terrasse. Pour un déjeuner ou juste un café. Le Petit Cambodge et le Carillon ont rouvert, leur devanture sent encore le neuf. Le Maria Luisa, lui, est resté. Au croisement de la rue Alibert, de la rue Bichat et de la rue Marie et Louise, dans l'est parisien, les stigmates de la nuit d'horreur qu'ont vécu les habitués et les riverains ont disparu. Physiquement en tout cas.

Il y a un an, le samedi 14 novembre, une foule de Parisiens affluait vers ce quartier du 10e arrondissement. Ce lieu vivant où les familles aiment se balader le long du canal Saint-Martin, et où les jeunes aiment se retrouver le soir pour boire un verre sur les nombreuses terrasses, ou dîner dans l'un des restaurants à la carte variée. Tous avaient des fleurs, des bougies, des photos à la main pour rendre hommage aux quinze personnes tuées au soir du 13 novembre sur les terrasses du Petit Cambodge et du Bataclan.

"La peur c'est inutile"

Pendant un bon mois, les mémoriaux sont restés avant que la mairie de Paris ne décide de nettoyer les lieux. Une manière pour les uns d'aller de l'avant, pour d'autres de se réapproprier les lieux. Et d'effacer ces cicatrices de la nuit du 13 novembre, comme on enlèverait un plâtre. S'en est suivi une rééducation collective. Réapprendre à vivre, c'est ce que Jacky a fait. Lui travaille dans le quartier depuis des années. "Ca a fait mal sur le coup mais la peur est inutile", explique-t-il attablé à un café rue de la Grange-aux-Belles. "Je n’y pense plus, la vie a repris".

Croisé à quelques mètres de là sur le quai de Jemmapes, Maria s'affaire. Gardienne d'un immeuble, quelques heures après les attentats, elle est venue travailler, mais "pas en transports en commun, en taxi". "C’est la seule chose que j’avais changée juste après les attentats", explique-t-elle. "Je n’y pense plus. Il faut que la vie continue. Si ça doit arriver à nouveau, ce sera notre destin". Cette fatalité, tous sont loin de la partager. Cette grand-mère essaie, y arrive presque, sauf quand ses petits-enfants se promènent avec elle. "Quand je suis dans la rue avec eux, j’ai peur pour eux évidemment", confie-t-elle. Un sentiment qu'elle ressent également à son travail.

"Avec les enfants dans la cour, j’ai peur que quelqu’un passe et leur tire dessus", poursuit la gardienne de collège.

Des commerçants marqués

Dans les mois qui ont suivi, l'ambiance dans le quartier est restée tendue, stressante. En avril dernier, un homme retranché chez lui rue Bichat tire depuis ses fenêtres. Les attentats encore en tête pour les riverains, les policiers sur les dents depuis des mois, la foule a cédé à la panique. "On a vu beaucoup de personnes arriver en courant", complète un barman chez Prune, un café sur le quai de Jemmapes. "Ils étaient effrayés. On les a accueillis dans le bar, des filles ont voulu aller se cacher dans la cave. On a fermé les rideaux de fer".

Les commerçants du quartier, eux, restent blessés. "On connaissait tous quelqu'un aux terrasses, on avait nos habitudes au Carillon", souffle le serveur de chez Prune. "Pièce maîtresse du secteur, créateurs de lien social, on vient se confier auprès des gérants. C’est une épicerie de vie de quartier, on en discute forcément", explique Frédéric, qui s'occupe de l'épicerie "Chez Fred", à quelques mètres des deux établissements touchés. "La vie est particulière".

Tourisme morbide

A cette peur du terrorisme se sont ajoutées les manifestations contre la loi Travail et la mobilisation du mouvement Nuit Debout. Un contexte qui a fait fuir les vacanciers qui s'étaient un temps livrés au tourisme morbide. "Après les attentats, les touristes venaient nous voir pour nous demander où étaient le Petit Cambodge et Le Carillon", poursuit le barman de chez Prune. Un an plus tard, ils ont déserté. Frédéric, lui, assure que nombreux sont ceux qui repartaient avec un cadeau-souvenir. "C'était atroce", livre-t-il.

"Juste après les événements, les clients du restaurant m’en parlaient, me demandaient où j’étais quand il y a eu les attentats, ils passaient et me demandaient où était le Carillon. Aujourd’hui, c’est moi qui leur en parle, eux n’y pensent plus", rapporte Stéphane, le patron du Bistrot des oies, situé en face du Petit Cambodge.

Désormais les touristes se font plus rares. "La vie parisienne est différente et ce n’est pas une vie qu’on a envie d’avoir", confie Frédéric. En août dernier, le Comité régional du tourisme publiait des chiffres alarmants: les professionnels du secteur à Paris ont subi entre janvier et juin 2016 une perte de 749,7 millions d'euros de chiffre d'affaires. La fréquentation de la clientèle japonaise s'est effondrée de 46,2%, celle des Russes de 35%, des Italiens de 27,7%.

Redonner vie

Pour relever la tête, les commerçants du 10e arrondissement se sont associés pour installer des guirlandes de fanions dans les rues. "On a réagi à chaud", commente Stéphane, du Bistrot des Oies. "L’idée, avec ces guirlandes, c'était de lever les yeux vers le ciel, l’espoir et arrêter de regarder au sol les traces de sang, les fleurs, les bougies…" Les élèves des écoles du quartier ont participé. Un an plus tard, il n'en reste plus qu'une, rue Alibert. Désormais, les maux se sont déplacés. Pour rendre hommage ou se recueillir, il faut aller place de la République.

"Ils y ont planté un arbre, c'est bien", commente Stéphane, les yeux dans le vide.

Jusqu'en août dernier, fleurs, bougies, drapeaux, photos trônaient sur la statue centrale de la place de la République avant une grande opération de nettoyage. Damien, serveur au café Canaille, a été embauché pour remplacer un employé qui ne voulait plus travailler, par peur. "On a ressenti l’impact des attentats", confie Damien, serveur dans une brasserie. "Il ne faudrait pas que ça pète à nouveau. Là ça serait fini totalement".

Alexia, la gérante du bistrot, peste contre les différents mouvements sociaux ou l'annulation "en série" d'un concert géant à l'occasion de la Fête de la Musique, les événements autour de l'Euro de football cet été ou encore un festival de musique. Des événements qui aurait pu redonner vie au quartier. La commerçante pense souvent aux victimes du 13-Novembre. "Dimanche, on sera ouvert", assure-t-elle. "J’ai le cœur gros en pensant aux gens qui sont partis mais on se doit d’ouvrir et de travailler pour eux".

Justine Chevalier