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Police-Justice

Relation sexuelle avec une fille de 11 ans: le parquet ne poursuit pas pour viol un homme de 28 ans

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - Damien Meyer-AFP

Elle a porté plainte pour viol. Mais son agresseur présumé, âgé de 28 ans, devait être jugé ce mardi à Pontoise pour atteinte sexuelle sur mineur. Le parquet a estimé que la fillette, âgée de 11 ans, n'a pas été contrainte. Le procès a été renvoyé.

Deux relations sexuelles avec une enfant âgée de 11 ans sans être poursuivi pour viol. Un homme de 28 ans devait être jugé ce mardi à Pontoise, dans le Val-d'Oise, pour atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Le parquet a estimé qu'il n'y avait pas eu viol: la fillette -n'ayant pas exprimé son opposition- n'aurait pas été contrainte. Le procès a été renvoyé à février prochain.

Lui apprendre "à embrasser ou plus"

Les faits remontent au 24 avril dernier. Alors que Sarah, une collégienne de 6e, rentre chez elle après l'école, un homme l'aborde dans un square "sur un ton rassurant, affable, aimable, rien qui n'incite à la méfiance", indique la mère de la fillette à Mediapart, qui a révélé l'affaire. L'individu l'a déjà abordée les jours précédents à deux reprises, émettant des réflexions sur son physique. Cette fois, il lui propose de lui apprendre "à embrasser ou plus" et se montre insistant sans toutefois être violent. Il l'emmène dans son immeuble.

Dans l'ascenseur, il tente de l'embrasser. Selon la mère de l'enfant, elle "n'avait pas la maturité pour comprendre" et "n'a pas vu la manipulation". "L'embrassade, elle l'a prise comme une plaisanterie. C'est une enfant: elle entend, mais ne comprend pas ce qui se cache derrière les propos." Dans la cage d'escalier, il exige une fellation. "Il lui demandait de manière pressante, mais en gardant le sourire", indique sa mère.

"Elle a compris à cet instant que le piège s'était refermé sur elle, qu'on avait endormi sa conscience. Mais elle était tétanisée, elle n'osait pas bouger, de peur qu'il la brutalise. Elle a pensé que c'était trop tard, qu'elle n'avait pas le droit de manifester, que cela ne servirait à rien, et elle a donc choisi d'être comme une automate, sans émotion, sans réaction."

"Il m'a retourné le cerveau"

Dans son appartement, il la pénètre. Dès que Sarah sort de l'immeuble, elle appelle sa mère, "complètement désespérée", et lui raconte tout. Elle lui dit: "Il a insisté, et il m'a retourné le cerveau". Une plainte pour viol est déposée.

L'agresseur présumé ne conteste pas les faits. Selon Le Point.fr, "le suspect, qui a 28 ans, en paraît aisément 10 de moins tandis que la victime fait quelques années de plus". La fillette assure quant à elle lui avoir montré -lorsque l'homme l'avait précédemment abordée- son carnet de correspondance prouvant qu'elle était en 6e, ce qu'il nie, indique Mediapart. "Quand il a vu le carnet, il a dit: 'Ha! mais tu es un bébé!'" raconte la mère de Sarah.

Le viol est défini par l'article 222-23 du code pénal. "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol." Et est puni de quinze ans de réclusion criminelle, vingt ans si la victime est mineure.

Pas de contrainte selon le parquet

Une autre disposition du code pénal prend en considération la différence d'âge comme un élément de contrainte. "La contrainte (...) peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime."

Mais pour le parquet, la fillette n'a pas été contrainte et a suivi l'homme de son plein gré, n'ayant pas manifesté son opposition. Ce qui explique qu'il ne soit pas poursuivi pour viol mais pour atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Une infraction que le Code pénal définit comme "le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de 15 ans", acte puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.

Actuellement, la Cour de cassation accepte la contrainte présumée pour les enfants en très bas âge, "suffisamment peu élevé pour qu'ils ne puissent avoir aucune idée de ce qu'est la sexualité", précise-t-elle dans le cadre d'un arrêt rendu en 2005 sur des atteintes sexuelles sur trois enfants -dont le plus âgé avait 5 ans. La Cour de cassation précisait alors que la contrainte "ne saurait se déduire du seul âge de la victime".

"Ces faits sont des viols et doivent être jugés comme tels"

Le Haut Conseil à l'égalité a dénoncé cette situation dans un communiqué. Pour Danielle Bousquet, sa présidente, "il est impensable que l'on interroge encore le consentement de jeunes enfants dans le cas de relations sexuelles avec des adultes. Ces faits sont des viols et doivent être jugés comme tels." Et appelle à changer la loi pour que "l'âge de 13 ans soit retenu comme seuil en dessous duquel les mineur.e.s seront présumé.e.s ne pas avoir consenti". 

Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif féministe contre le viol, va plus loin et demande à ce que 15 ans, l'âge de la majorité sexuelle, soit retenu comme seuil. "Tout rapport sexuel d'un majeur avec un ou une mineure de 15 ans devrait être considéré comme un viol, sans qu'il ne soit question de contrainte ou de consentement", proteste-t-elle pour BFMTV.com. Elle estime que les faits doivent être requalifiés, ce qu'espère Carine Diebolt, l'avocate de l'enfant. 

"Je demande la requalification en viol, c'est un crime, assure-t-elle à BFMTV.com. J'invoque la contrainte. Il s'agit d'un homme de 28 ans et d'une fillette de 11 ans alors qu'il connaissait son âge. Elle a été intimidée. J'invoque la surprise, elle ne s'attendait pas à de tels propos. Et j'invoque la menace, il lui a dit de se taire, tous deux vivent dans la même cité, on sait très bien que la loi du silence règne."

Selon Carine Diebolt, la fillette est aujourd'hui "traumatisée" et a même dû interrompre sa scolarité l'année dernière. "Une dissociation a été relevée dans un rapport psychologique. Cela signifie qu'au moment des faits, elle a été sidérée, comme anesthésiée, c'est un mécanisme de survie du cerveau. Elle n'a pas su réagir, n'a pas appelé au secours mais par peur." 

"La loi n'est pas du tout adaptée à la réalité"

Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminisme, dénonce une "absurdité judiciaire scandaleuse".

"C'est un procès emblématique des carences dans la définition du viol, qui est à revoir, pointe-t-elle pour BFMTV.com. C'est un drame, la loi n'est pas du tout adaptée à la réalité et cela a pour conséquence une impunité pour les agresseurs. Le viol d'une mineure, c'est vingt ans de prison. Avec l'atteinte sexuelle, il peut s'en tirer avec cinq ans. Il faudrait abolir ce délit d'atteinte sexuelle. Comment peut-on envisager qu'une enfant apeurée, qui ne sait pas ce qui lui arrive, sidérée, puisse être consentante?"

Selon l'agresseur présumé, la fillette était consentante. "Vous savez, maintenant, les filles sont faciles, selon ses propos rapportés par Mediapart. Avant, à mon époque, il fallait rester au moins un an avec une fille pour la baiser, mais maintenant c'est en dix minutes."

Le Collectif féministe contre le viol appelle les éventuelles victimes de viols et d'agressions sexuelles à contacter le 0 800 05 95 95. Le 3919, Violences femmes info, est également le numéro national de référence d'écoute téléphonique à destination des femmes victimes de violences.

Céline Hussonnois-Alaya