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Projet criminel à 13 ans: "à l'adolescence, l'envie de tuer peut être prise au 1er degré"

Bien des questions se posent après que deux ados de 13 ans ont voulu tuer toute une famille à Narbonne.

Bien des questions se posent après que deux ados de 13 ans ont voulu tuer toute une famille à Narbonne. - -

Deux filles âgées de 13 ans ont tenté de tuer toute la famille de l’une d’elles. Qu’a-t-il pu se passer, et qu’est-ce qui les attend maintenant? Éléments de réponse avec le pédopsychiatre Stéphane Clerget.

C’est un fait divers qui ne laisse personne indifférent. Et qui pose beaucoup de questions. A Narbonne, deux jeunes adolescentes âgées de 13 ans ont tenté d’assassiner le petit-frère et les parents de l’une des deux. Sans aucune raison apparente. Pis, les deux filles avaient tout prévu, en inscrivant leur horrible plan sur papier et en l’évoquant devant plusieurs témoins au collège. C’est après être passé à l’acte sur le petit frère, attaqué d’un coup de couteau non-fatal dans la nuque, qu’elles ont été mises en examen pour tentative de meurtre. Que s’est-il passé, qu’est-ce qui les a motivées ? BFMtv.com fait le point avec Stéphane Clerget, pédopsychiatre.

Que vous inspire ce fait divers de Narbonne?

Ces deux filles se trouvent à un moment très particulier de leurs vies: la préadolescence. C’est une période où il peut y avoir des moments de rupture avec la réalité. Du fait des remaniements causés par l’arrivée de l’adolescence, des pulsions peuvent être réactivées et sont alors difficiles à contrôler.

L’envie de tuer concerne tout le monde, quand quelqu’un nous énerve il nous arrive de dire "j’ai envie de le tuer celui-là", mais on contrôle nos pulsions.

A 13 ans, il est possible de prendre cette envie au premier degré. Il faut faire le parallèle avec un enfant de trois ou quatre ans, qui, par jalousie après la naissance de son petit-frère ou de sa petite-sœur, s’empare du bébé pour le mettre à la poubelle. C’est une pulsion agressive qu’il ne comprend pas. Lors de la préadolescence on peut subir un retour régressif.

Avant de passer à l’acte, les deux adolescentes ont tout planifié par écrit et par SMS. Elles n’ont par ailleurs pas hésité à évoquer leur projet devant tout le monde au collège. Que peut-on déduire d’une telle démarche?

Sur le plan cognitif, intellectuel, leur réflexion n’a pas été touchée. Elles ont mis en place un véritable scénario. A 13 ans, on lit des romans, on voit des films. On peut très bien faire ce genre de chose. Ici, c’est l’objectif qui est inquiétant. Elles voulaient faire du mal, elles souhaitaient tuer. Une telle démarche pour faire du bien n’aurait alarmé et étonné personne. Ce qui est, en revanche, délirant, c’est que le motif est futile, voire absent. Elles ont réalisé un acte grave et interdit, sans conscience de cette gravité. Elles savaient qu’elles pouvaient tuer, mais n’avaient pas, ou plus, le sens de la culpabilité.

Apparemment, elles sont sorties de leur rêve après avoir blessé le petit-frère. Dans leur scénario, leur monde imaginaire, elles ont pu croire que rien ne pouvait leur arriver. Chez des adultes on parle de sociopathes, de psychopathes. A 13 ans, c’est plus délicat...

Peu de temps avant les faits, ces deux filles se sont faites remarquer au collège en se scarifiant les avant-bras…

C’est un élément important. Une adolescente qui se scarifie ressent un besoin d’émancipation. On souhaite couper les liens avec l’enfance, avec sa famille. Ce sont des choses que j’ai souvent pu constater.

De manière générale, et le retentissement de cette affaire le prouve, nous sommes souvent étonnés de savoir que des jeunes filles peuvent tuer. Mais nous ne le sommes moins quand elles se suicident. Nous sommes habitués. C'est pourtant un mécanisme similaire: détruire ou se détruire, tuer ou se tuer.

Qu’est-ce qui a pu les pousser à une telle extrémité et qu’est-ce qui les attend désormais?

Ce sera bien évidemment aux enquêteurs et aux psychiatres de le dire. Il faudra voir s’il n’y a pas eu des faits de maltraitance ou de carence affective. Peut-être qu’elles sont délirantes. Une perturbation dans l’éducation peut aussi être en cause, si elles ont été exposées à de la violence, ou si quelqu’un a déjà utilisé une arme à feu devant elles, par exemple.

A 13 ans, elles seront jugées par le tribunal des enfants. Comme le garçonnet a survécu je ne pense pas qu’elles feront de la prison. Elles seront certainement placées et surveillées. Malgré tout, elles peuvent retrouver un jour une vie normale. Leur éducation n’est pas terminée, et en étant soignées elles pourront prendre conscience de la gravité de leur acte. Et ne pas récidiver.

Stéphane Clerget, est l’auteur du Guide de l’ado à l’usage des parents, (Le Livre de poche, 2009)

Propos recueillis par Jérémy Maccaud