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Procès

"Tu vas tuer ton grand-père": Guy Coponet raconte son face-à-face avec les terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray

Guy Coponet, 92 ans, a survécu à l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Guy Coponet, 92 ans, a survécu à l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. - Julien de Rosa

Guy Coponet, 92 ans, est un rescapé de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, survenu le 26 juillet 2016. Il est venu témoigner devant la justice de ce qu'il a vécu mais aussi lancer un appel à "l'amour" entre les peuples.

"Dans tout ce qu'il s'est passé, je n'y suis pour rien. Seigneur, fais de moi ce qu'il te plaira." Assis dans un fauteuil, micro penché vers lui, Guy Coponet entame ainsi une prière en pleine salle de la cour d'assises spéciale. Une prière d'amour au cours de ce procès qui juge la haine, celle des auteurs de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray qui ont assassiné un prêtre dans son église.

A 92 ans, Guy Coponet est un rescapé. Ce 26 juillet 2016, c'était aussi l'anniversaire de ce retraité, fidèle de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray venu assister à la messe avec son épouse Jeanine. Ce jour-là, "il faisait beau". Le père Hamel était "joyeux, gai, comme d'habitude". Puis un homme vient perturber l'office une première fois en frappant à la porte de la sacristie avant de repartir. Pour revenir.

"La porte s'est rouverte, violemment cette fois-là, se souvient Guy Coponet devant la cour d'assises. Ils sont entrés, habillés normalement. Ils ont commencé à se déguiser devant moi, ils ont mis un manteau d'armée. Ils ont mis leurs habits prévus pour ça et leur matériel. Une fois qu'ils étaient bien dans la situation dans laquelle ils voulaient être, ils m'ont mis dans les mains un appareil, quelque chose pour enregistrer, pour faire des photos. Ils m'ont attrapé, ils m'ont mis sur le premier banc. Ils m'ont mis leur appareil de cinéma, là. Le deuxième a dit 'c'est bon ça marche, tu peux y aller'."

"Là pour le restant de ma vie"

D'Abdel-Malik Petitjean, "le meneur", comme l'appelle le témoin, et d'Adel Kermiche, son complice, Guy Coponet ne se souvient ni des noms, ni de leur visage. Le vieil homme est également confus concernant l'homme qui l'a blessé. Il n'entend pas toujours très bien les questions qu'on lui pose. Mais à 92 ans, sa mémoire est intacte quand il s'agit de se souvenir de chaque moment de l'attaque dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray.

"Si je vous raconte cette matinée, c'est bien frais, il n'y a pas de problème, débute-t-il en préambule. C'est là pour le restant de ma vie. (...)" "Le père Jacques, ils l'ont attrapé, le pauvre homme, ils ont commencé à le mettre à genoux, les lames de couteau c'est maintenant que ça me revient, je peux vous expliquer la souffrance qu'il a pu ressentir dans ces moments-là", poursuit-il, s'interrompant alors sous le poids de l'émotion.

Le père Hamel a ensuite été traîné au sol. Guy Coponet est contraint par les terroristes, qu'il appelle les "lascars", à monter sur l'estrade pour filmer l'assassinat du prêtre. Ce dernier, alors âgé de 85 ans, a tenté de se débattre, repoussant les assaillants des pieds, puis d'un air "autoritaire" leur dictant d'arrêter. "Satan va t'en!", scandera-t-il avant d'être égorgé.

"Je n'ai vu que le sang qu'il s'est mis à vomir. Puis il n'a plus bougé, ce pauvre père. C'était terminé pour lui", souffle Guy Coponet avant d'observer un long silence.

"Tu vas tuer ton grand-père?"

Face à cette cour d'assises silencieuse, face à trois accusés qui écoutent chaque mot, Guy Coponet revient sur sa propre souffrance. "Le gars est venu vers moi et puis je l'ai vu s'amener de mon côté avec quelque chose à la main, se souvient le vieil homme. Je lui ai dit 'Allons, qu'est-ce que tu vas faire? Tu vas tuer ton grand père?' Ca n'a pas eu d'effet."

"Ca a été vite fait, vite taillé comme on dit. Dans le dos, dans le bras, ça s'est terminé par la gauche", raconte encore le rescapé.

Guy Coponet va s'effondrer au sol. "Les hanches ne sont pas grasses chez moi, il n'y a rien pour amortir", témoigne-t-il naturellement. Blessé à la gorge, il va appuyer sur sa plaie, ce qui va le sauver, a relaté la veille un médecin à l'audience. "J'ai serré la gorge, là je me suis dit 'ne bouge pas, si tu bouges il va te terminer'", se souvient-il encore.

Guy Coponet, qui dit "avoir fait appel à toute sa vie personnelle, à tous les enfants de la famille, à toutes les présences spirituelles", va rester ainsi pendant "une heure", rappelle le président de la cour d'assises. Les secours arriveront quand il récitera le Sainte-Marie.

"'Je vous salue Marie, pleine de grâce, récite-t-il alors. (...) Et à l'heure de notre mort'", c'est là que j'ai entendu la porte".

Le vieil homme ne se plaint toutefois pas de son sort. "Mon épouse a souffert bien plus que moi. Même dans ses derniers moments, ça travaillait toujours là-dedans, dit-il de sa femme Jeanine décédée il y a un an. Elle était tellement la moitié de moi, même tout moi. Quand elle m'a vu allongé et que le veston commençait à se gonfler et le sang à couler à côté, elle ne s'en est jamais remise. Ca a été un choc physique, psychique, ça a été terrible pour elle, plus que pour moi. J'étais tellement ouvert vers le spirituel."

"Juger en cherchant la paix"

Guy Coponet dit avoir "conseillé" et même "remonté le moral" de François Hollande, alors président de la République, qui l'a appelé à plusieurs reprises après l'attentat.

"J'aimais mieux être à ma place qu'à la sienne", fait-il remarquer avec humour. L'homme de 92 ans finit même par plaindre ses assaillants. Lui en veut aux donneurs d'ordres: "Tous les responsables qui ont organisé ça, et qui se servent des jeunes qui se laissent embobiner, je les plains de ne pas avoir su résister à des éléments comme ça."

"Chaque matin", Guy Coponet pense aux terroristes, en se rasant. "Je me dis qu'il faut que je fasse attention car la zone est insensible", témoigne-t-il. C'est une drôle de manière d'y penser mais enfin." La nuit, il continue d'y penser. Quand il s'assoit, les barreaux de chaise le font souffrir. "Ca reste gravé, vous savez. Il n'y a pas de danger que j'oublie", rappelle-t-il. De l'avis de tous, il existe deux mots pour résumer le vieil homme: la résilience et la paix.

"Mon rêve, ça serait que ceux qui ont donné des ordres, qui ont formé ceux qui sont venus, que ces gens-là viennent demander pardon à tous ceux à qui ils ont fait de la peine. Ca serait vraiment un rétablissement de communauté car quand on ne pardonne pas, ça devient forcément de la haine. Vous jugez, c'est pas facile de dire ça, vous faites ce que vous êtes autorisé à faire. Faites le avec une recherche de paix", conseille-t-il alors à la cour d'assises.
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV