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Procès du 13-Novembre: les victimes dénoncent la "fable" d'Abdeslam, qui dit avoir renoncé à se faire exploser "par humanité"

Salah Abdeslam lors de son interrogatoire par la cour d'assises de Paris le 13 avril 2022

Salah Abdeslam lors de son interrogatoire par la cour d'assises de Paris le 13 avril 2022 - Benoit Peyrucq

Salah Abdeslam a livré d'un bloc sa version de la soirée des attentats. Le jihadiste affirme avoir renoncé à se faire exploser dans un bar du 18e arrondissement le soir du 13 novembre 2015.

"On ne sait jamais à quoi s'attendre avec moi, parfois je parle, parfois je ne parle pas." Salah Abdeslam devait être interrogé ce mercredi sur ses quatre mois de cavale entre le 13 novembre 2015 et le 18 mars 2016. Des explications que personne à la cour d'assises n'espérait vraiment, voire n'attendait comme l'a dit quelques minutes avant le début de l'audition Arthur Dénouveaux, le président de l'association Life for Paris. Comme à son habitude désormais, l'accusé surprend. Pendant 2h30, Salah Abdeslam va parler, longuement, posément. Une attitude à l'opposée de celle adoptée lors de son dernier interrogatoire.

"Je ne me suis pas senti écouté, se justifie-t-il. J'ai parlé plusieurs fois, pendant plusieurs heures et j'ai senti qu'on ne m'écoutait pas. (...) Depuis le début de cette affaire, on ne veut pas voir la personne que je suis vraiment. (...) Je fais marche arrière, je vais m'expliquer car c'est la dernière fois que je pourrais le faire. Je vais faire le maximum, je ferai de mon mieux."

Abdeslam dit qu'il ne connaissait pas les cibles

Les quatre mois de cavale vont d'un bloc s'élargir au soir des attentats, mais aussi aux jours précédents les attaques, voire les mois d'avant, quand Brahim Abdeslam évoque avec son frère son séjour en Syrie. Le cadet est convaincu, il veut lui aussi se rendre sur zone. "Il va m'expliquer que les passages c'est chaud, que les combats qui font rage sont dangereux et qu'il vaut mieux rester ici et l'aider à travailler", explique-t-il. Le travail, c'est aller chercher des gens, louer des voitures, des appartements. Puis le 11 novembre, Salah Abdeslam rencontre Abdelhamid Abaaoud à la demande de ce dernier.

"Il va me donner le projet, qu'il va y avoir des attaques, il ne me donne pas les cibles, assure l'accusé. Il me dit que je devrai porter une ceinture explosive et me rendre dans un endroit où je devrai me faire exploser."

Un "choc" pour lui, dit-il, avant de finir par se laisser "convaincre" par le coordinateur des attaques. Il dit alors ne rien savoir des cibles, ne rien savoir de "la mission exacte des kamikazes du 13-Novembre", ne rien savoir "du nombre exacte de terroristes" répartis dans deux planques à Bobigny et Alfortville. "Au dernier moment, j'ai participé aux attentats de Paris, je n'ai pas entendu parler du Bataclan, comment vous voulez que j'aie eu vent de Schiphol?", dira d'ailleurs l'accusé au sujet d'un projet d'attentat à l'aéroport d'Amsterdam.

"J'ai renoncé, je suis parti"

Salah Abdeslam sait en revanche qu'il va devoir se faire exploser dans la capitale le soir du 13 novembre 2015. "Je vais aller vers l'objectif qu'on m'a donné, je vais me rendre dans un café, dans le 18e arrondissement je pense, enfin pas loin de ça, débute-t-il. Je vais commander une boisson. J'ai regardé les gens autour de moi et je me suis dit 'je ne vais pas le faire'".

Sans s'interrompre, l'accusé poursuit d'un ton calme: "J'ai renoncé, je suis parti, j'ai pris la voiture, j'étais dans un état... J'ai roulé un moment et la voiture est tombée en panne, je me suis mis tout de suite sur le côté. (...) Là, c'est un peu confus, j'ai marché, j'ai acheté un téléphone, j'ai pris un taxi, j'ai jeté la ceinture, mais chronologiquement je ne peux pas vous dire ce que j'ai fait en premier."

Pourquoi avoir renoncé, le presse l'assesseure. "Il y avait des jeunes, des très jeunes. J'ai vu ces gens en train de danser, rigoler, etc. Ouais, j'ai renoncé par humanité, pas par peur, c'était des jeunes, ils étaient plus jeunes que moi, je ne voulais pas les tuer." La cour doute: "Par humanité envers vous ou envers ces jeunes?" "Je crois qu'ici tout le monde a compris, sauf la cour", rétorque l'accusé sèchement. Plus tôt, il avait confié qu'il devait lui manquer "la détermination" de ceux qui sont passés à l'acte.

"Moi, j'ai pas l'expérience, ni militaire, ni religieuse, pour bien comprendre, pour faire ce que eux ont fait. S'ils ont fait ce que je n'ai pas fait, ils avaient quelque chose en plus", a-t-il avancé.

"L'occasion de se taire"

Le lieu avait été repéré dans la matinée avec son frère Brahim. Pourquoi ce bar? "C'était un bar pas très grand, quand je suis rentré il y avait beaucoup de personnes, dit-il. Je me souviens qu'il n'y avait pas que ce bar et il était à un coin." La propagande n'est toutefois jamais loin: "Peut être que l'État islamique voulait faire subir la même chose qu'elle subissait, les bombardements dans des bars, quand ils allaient à la mosquée, quand ils allaient voir leur famille."

Le président de la cour d'assises intervient. Pourquoi après avoir renoncé Salah Abdeslam s'est-il dirigé vers le sud de Paris, à Montrouge, où il abandonnera sa ceinture explosive avant que deux amis viennent le chercher au petit matin le 14 novembre? Les victimes, elles, dénoncent une fable. "Salah Abdeslam essaie de construire une histoire dans laquelle il se dédouane au maximum, mais il n'a pas réussi à inventer un récit assez plausible", dénonce Arthur Dénouveaux, à la fin de l'audience.

"Il a joui une dernière fois du pouvoir qu'il a en parlant, c'est son droit de parler, c'est son droit de mentir, comme c'était son droit de garder le silence, il aurait dû saisir l'occasion de se taire", conclut le président de Life for Paris.
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV