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Procès du 13-Novembre: le traumatisme indirect des enfants des victimes et rescapés

Une femme se recueille devant le Bataclan, le 13 novembre 2019 à Paris

Une femme se recueille devant le Bataclan, le 13 novembre 2019 à Paris - Stéphane De Sakutin - AFP

Ce lundi, l'un des thèmes évoqués par les avocats des parties civiles sera les conséquences des attentats sur les enfants. Des enfants de victimes ou de rescapés qui vivent, malgré eux, avec ce traumatisme.

"Ils sont pourris comme une banane pourrie. Ils ont tué mon papa." Ces mots d'enfant, ce sont ceux d'Etienne*. Le 19 mai dernier, sa lettre était lue devant la cour d'assises spéciale qui juge les attentats du 13-Novembre. Etienne n'a jamais connu son père, Antoine, l'une des 90 victimes du Bataclan.

Gary avait trois ans quand son père Mathieu a été assassiné par les terroristes qui ont pénétré dans la salle de spectacle. A 9 ans, il "angoisse" quand sa mère sort le soir, comme elle l'a raconté en octobre dernier.

Les enfants de Bertrand, de jeunes ados, repèrent "toujours les issues de secours" lorsqu'ils arrivent dans un lieu public après que leur père a survécu aux attaques terroristes.

Maxime*, presque 6 ans, voit encore aujourd'hui deux fois par semaine une psychologue. Lui n'a pas perdu de parent le soir du 13-Novembre. Pourtant, ce petit garçon qui avait 11 mois en novembre 2015 a développé un stress post-traumatique comme l'a raconté le 17 mai son père Guillaume, rescapé du Bataclan.

"Notre enfant est une victime, a déploré Guillaume lors de son témoignage. J'accepte les conséquences des attentats pour moi, mais les conséquences pour mon fils, comme si c'était de sa faute ou de la mienne, je ne peux pas l'accepter."

Victimes indirectes

L'un des thèmes abordé ce lundi lors de cette deuxième semaine des plaidoiries des parties civiles sera les conséquences des attentats du 13-Novembre sur les enfants. Les enfants des victimes, qui ont dû apprendre à vivre sans leur parent décédé sous les balles des terroristes, mais aussi les enfants des rescapés, qui pour un grand nombre, ont eux aussi développé des troubles à la suite du drame qui a frappé leur famille.

"Nous avons rencontré cette situation dans quasiment toutes les familles", explique à BFMTV.com Me Helena Christidis, l'une des avocates qui va plaider sur ce thème.

La cour d'assises spécialement constituée pour juger les attentats du 13-Novembre a, en début de procès, accepté la demande des avocats et des familles qui souhaitaient que les enfants des victimes puissent se constituer parties civiles dans ce procès. Les enfants des personnes décédées, des rescapés et ceux qui étaient dans le ventre de leur mère au moment des attaques sont aujourd'hui considérés comme des victimes indirectes.

"Il y a ceux qui n'étaient pas présents mais qui ressentent l'angoisse des proches, relate Me Christidis. Pour les plus petits, on s'est dit qu'ils iraient bien, qu'ils ne comprennent pas ce qu'il s'est passé, sauf que ce sont des éponges. Ces enfants vivent avec une angoisse, font des cauchemars".

"Une mère m'a expliqué que quand son fils est né, il avait des angoissses. Il pleurait, par exemple, quand il entendait certains bruits", se souvient-elle.

Un phénomène multifactoriel

Les spécialistes connaissent ce phénomène de transmission de symptômes post-traumatiques dite "secondaire" dans le cas d'une transmission par des proches. "Certains enfants peuvent développer des symptômes dépressifs, anxieux, des difficultés émotionnelles et même une personnalité borderline ou un stress post-traumatique, détaille Bérengère Guillery, neuropsychologue et maître de conférence à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.

"Ces symptômes ne sont pas spécifiques du traumatisme mais peuvent être la conséquence d’un comportement parental particulier suite au traumatisme", explique-t-elle.

Ces modifications dans les relations intrafamiliales peuvent entraîner une adaptation de l'enfant, "un coping", poursuit la chercheuse. La scientifique insiste: "Le phénomène de transmission du traumatisme est complexe et multifactoriel, sa compréhension nécessite de faire le lien entre l’histoire des générations précédentes, notamment des parents, le profil psychologique des parents, et l’état psychologique de l’enfant chez lequel peuvent s’exprimer certains symptômes faisant référence au traumatisme parental."

Bérengère Guillery cite, parmi les facteurs à prendre en compte, "les facteurs psychologiques concernant le parent (a-t-il une dépression? de troubles anxieux? un stress post-traumatique?) mais aussi le style d’attachement ou les liens affectifs. Il y a également le style parental, le style de communication sur l’événement traumatique, allant du silence complet contrastant avec une communication implicite du vécu du parent, à un style de 'divulgation modulée' qui se caractériserait par une communication adaptée au niveau de développement psycho-affectif de l’enfant, à ses besoins émotionnels, et à ses capacités cognitives. Il y a également des facteurs physiologiques tels que 'l’hormone du stress', le cortisol."

L'exemple de la Shoah

Cette transmission des symptômes post-traumatiques peut toucher les enfants de tout âge, même ceux qui étaient dans le ventre de leur mère lors de l'événement traumatisant. Mais cette transmission n'a rien d'automatique et surtout n'entraîne pas obligatoirement le développement de pathologies. Appelant "à ne pas stigmatiser les parents qui sont déjà éprouvés par les traumatismes qu’ils ont vécus", Bérengère Guillery rappelle que tous les enfants de victimes ne présentent pas de fragilités psychologiques à la suite de ce traumatisme, et certains, en s'adaptant à la situation, ont même développé "une résilience extrêmement positive".

Reste que Me Christidis s'interroge pour l'avenir. "Toute la question, c'est l'après, dit l'avocate de parties civiles. Est-ce que ce traumatisme va se transmettre aux générations futures?" On parle alors de "'transmission intergénérationnelle' lorsqu’il concerne la première génération des descendants et de 'transmission transgénérationnelle' pour plusieurs générations", énonce Bérengère Guillery. En 2015, dans une étude publiée dans la revue Biological Psychiatry, des chercheurs américains ont étudié la thèse de "l'hérédité épigénétique" en établissant que les traumatismes vécus par les rescapés de la Shoah ont laissé une empreinte biologique, une marque sur l’ADN de la génération suivante, et notamment sur les taux de cortisol.

"La transmission du traumatisme intègre également des marques épigénétiques. L’épigénétique renvoie à un ensemble d’éléments potentiellement héréditaires des modifications dans l’expression du génome ou 'épigénome' qui peuvent être induites par l’environnement", conclut la neuropsychologue.

* Les prénoms ont été modifés

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV