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Procès

L'incendie de la rue Erlanger? Un acte de "colère" mais pas de comportement "délirant" de l'accusée selon les experts

L'incendie de la rue Erlanger avait fait 10 morts en 2019.

L'incendie de la rue Erlanger avait fait 10 morts en 2019. - Marion Dubreuil / RMC

La question de l'état psychiatrique d'Essia B., jugée pour avoir allumé un incendie au 17 bis rue Erlanger à Paris en février 2019, est au coeur du procès. Deux expertises ont conclu à une altération du discernement.

Le dossier psychiatrique d'Essia B. est "volumineux", il "donne le tournis". C'est ce dossier, et tout ce qu'il contient, qui était, ce jeudi, au coeur des débats du procès de l'incendie de la rue Erlanger qui se tient devant la cour d'assises de Paris. L'accusée peut-elle être reconnue responsable de ses actes, elle qui a reconnu avoir allumé un feu dans son immeuble le 4 février 2019 au soir? Peut-elle est soumise à une sanction pénale? La question a déjà été tranchée puisqu'Essia B. a été renvoyée devant une juridiction. Mais quelle peine?

L'accusée encourt la réclusion criminelle, une peine qui passerait à 30 ans si l'altération du discernement était retenue par la cour d'assises. Dans le box, l'accusée varie entre des moments d'attention et des périodes de somnolence, elle qui va tous les soirs à l'unité hospitalière spécialement aménagée de Villejuif, dans le Val-de-Marne. "C'est très dur pour moi de suivre les débats, parfois je m’endors, j’ai un traitement très lourd", expliquait-elle la semaine dernière.

Une personnalité "borderline"

Une expertise puis une contre-expertise pendant l'instruction ont toutes deux conclu à cet état d'"altération" du discernement, en lien avec un "trouble de la personnalité de type borderline", décelé par les experts. Le docteur Daniel Zagury, expert psychiatre et habitué des cours d'assises, en décrit les symptômes: "Instabilité des émotions, intolérance à la frustration, comportement hétéro-agressif, sentiment de vacuité, comportement de défi, addiction ancienne à l'alcool et aux drogues".

L'expert estime "2,5 % de la population" présente ce type de troubles du comportement. "Chez certains, cela va se traduire par un mal-être, chez d’autres par des addictions, chez d’autres encore par un comportement agressif, il y a un facteur individuel qui fait que ça n’évolue pas de la même manière. On oublie que des cas comme ça, il y en a souvent mais heureusement il n’y a pas ces conséquences dramatiques", développe le psychiatre.

"Ce n'est pas parce qu’on a des troubles borderline qu’on va mettre le feu chez son voisin", rassure Daniel Zagury.

Un parcours "chaotique"

Le parcours d'Essia B est "chaotique". La petite fille "joyeuse et hyperactive", comme elle se décrit elle-même, a laissé place à une pré-adolescente puis une adolescente, élevée en mal-être. D'abord en surpoids. Elle découvre l'alcool à l'âge de 14 ans. "L'alcool et le cannabis sont très tôt vus comme quelque chose de positif, ils ont une visée anxiolytique, et ils sont un défi lancé à tous ceux qui tenteront de la sauver", détaille le psychiatre. Une addiction qui s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui.

"Cette instabilité est valorisée comme choix de vie assumé en opposition avec train de vie bourgeoise", poursuit l'expert, rappelant l'environnement familial décrit comme intellectuel.

Depuis ses 17 ans - elle en a 44 aujourd'hui - Essia B. a fait une trentaine de passages en hôpital psychiatrique, dont dix à la demande d'un tiers, principalement de sa famille avec qui le contact n'a jamais été rompu. "Elle n’est jamais entrée dans une pathologie chronique, résume Daniel Zagury. Elle a enchaîné de courtes périodes d’hospitalisation, des stabilisations, puis des rechutes sous l'effet de la drogue et de l'alcool dans une visée de défausse." Son collègue, le psychiatre Bernard Ballivet qui lui succède à la barre, note également "un manque de motivation pour les soins".

Pas d'acte "délirant"

Si la femme a été soumise dans sa vie à des "épisodes psychotiques aussi spectaculaires que brefs, en lien avec une consommation d’alcool et de drogue", les deux experts récusent l'idée d'une bouffée "délirante" lorsqu'Essia B. a pris un morceau de bois, un bout de tissu et a mis le feu devant la porte de son voisin avec lequel elle venait d'avoir une violente dispute en raison de sa musique mise trop forte. "Il n'y a pas d'état psychotique", tranche Bernard Ballivet, écartant ainsi la possibilité d'une abolition du discernement.

"Les actes qu’elle a commis sont en rapport avec des dispositions caractérielles, une immaturité, une dispute de voisinage, ce n'est pas délirant. Ce ne sont pas des voix qui lui ont dit d’allumer le feu", abonde le docteur Zagury.

A partir de ses déclarations, des témoignages et de l’examen des faits, le psychiatre conclue qu'Essia B. a agi par "colère, ressentiment, et par vengeance". "C'est quelque chose d’une inconséquence, d'une imprévoyance, et d'une impulsivité, poursuit-il. Elle a provoqué ce départ de feu dont j’imagine elle ne pouvait pas anticiper les conséquences dramatiques."

L'"altération du discernement" retenu

L'avocat d'Essia B., Me Schapira, tente pourtant d'atténuer sa responsabilité. Sans jamais le citer, il fait référence au meurtrier de Sarah Halimi, cette femme de confession juive tuée dans son appartement en 2017, qui a été déclaré irresponsable de ses actes en raison du "trouble psychiatrique inattendu" provoqué par sa prise de cannabis? "Dans l’affaire Halimi, c’était la première fois qu’il faisait un épisode psychotique causé par la drogue, on ne peut pas dire qu'ici l'accusée a été surprise par un effet inattendu de la prise de toxiques", estime Daniel Zagury.

"Quelques jours avant sa maman parle d’incohérences, le policier de la Bac dit qu’elle passe du coq à l’âne quand lui et ses collègues la voient le soir de la dispute, la veille, elle est allongée au sol dans le couloir à la recherche d’oiseaux sauvages...", énumère l'autre avocate d'Essia B., Me Hufnagel. "Vous avez raison, ce sont des comportements incohérents, mais ce ne sont pas des comportements délirants", estime Daniel Zagury.

Ce jeudi, les bancs des parties civiles étaient pleins. Ces rescapés et les proches des victimes ont une question à poser aux psychiatres. Comment expliquer qu'Essia B. avait pu sortir quelques jours avant l'incendie de l'hôpital Sainte-Anne où elle avait été prise en charge, à la demande de sa mère, car elle tenait des propos délirants. "Très honnêtement, après avoir lu l’ensemble du dossier, je n'ai rien vu à redire de la prise en charge de Mme B.", estime le docteur Zagury évoquant "une illusion d'optique" et la volonté de "refaire le film à l'envers".

"Les psychiatres auraient pu la garder mais il n’y avait pas de justifications thérapeutiques et ça aurait été tout simplement contraire à la loi", poursuit-il.

Au pire, il s'agit d'un mauvais procès qui au final "va de pair avec la déresponsabilisation du sujet qui a fait ces actes".

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV