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Procès

"Est-ce que je n'aurais pas préféré mourir ce soir là?": l'"insouciance" perdue de Shanna, victime de l'attentat de Nice

Le procès de l'attentat de Nice s'est ouvert le lundi 5 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Le procès de l'attentat de Nice s'est ouvert le lundi 5 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris. - Thomas Samson

Shanna avait 15 ans lors de l'attentat de Nice. Devant la cour d'assises spéciale, la jeune fille aujourd'hui âgée de 21 ans a raconté comment l'attaque l'a détruite et son impossible reconstruction.

Quand Shanna se rassoit sur les bancs des parties civiles, ses amis venus la soutenir l'enlacent, lui prennent la main, lui sourient. Une séquence douce, rassurante, qui tranche radicalement avec le témoignage que la jeune fille vient de livrer de manière linéaire devant la cour d'assises spéciale de Paris qui juge l'attentat du 14-Juillet à Nice. Depuis le 20 septembre, et jusqu'à vendredi, les victimes et proches de victimes se succèdent.

Shanna, jolie blonde aux yeux clairs, se présente le pas assuré, sûre d'elle. Pourtant, la jeune fille aujourd'hui âgée de 21 ans raconte comment l'attentat au camion bélier l'a détruite.

Elle avait 15 ans le 14 juillet 2016, elle était en vacances à Nice avec ses grands-parents, elle était pleine de vie. Juste avant le feu d'artifice, son grand-père lui fait d'ailleurs une remarque alors qu'elle chante à tue-tête dans la rue.

"Je lui réponds que ce soir-là je suis heureuse et rien ne m’arrêtera", lance la jeune fille.

"Le début d'une vie sombre"

C'était avant d'apercevoir, en tournant la tête vers la gauche, le camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel sur la promenade des Anglais. "Le camion va très vite mais les secondes semblent des heures, je nous vois écrasées, propulsées, je suis dans les bras de ma grand-mère, je ne veux pas mourir, je vois le camion passer devant moi, sans s'arrêter", raconte Shanna, en lisant ses notes sans émotion.

Shanna fait partie des victimes psychologiques. Ses grands-parents et elle ne sont pas blessés physiquement. Mais l'attentat a fait des ravages pour la jeune fille qui avait "simplement le besoin de dire tout haut ce que je vis, seule, depuis des années". Des séquelles si lourdes que la jeune fille se questionne: "Est-ce que je n'aurais pas préféré mourir ce soir là?"

"On peut dire que ce soir-là j’ai mué, dit-elle. Ma peau de jeune fille insouciante, celle qui n’a pas connaissance du danger, celle qui vit simplement avec ce qui l’a rend heureuse se détache de moi, chaque minute, chaque seconde, et lors de chaque pas que j’ai pu faire lors de ma course contre la mort."

Il y a d'abord eu les nuits où elle ne pouvait pas dormir seule, sans dessins animés, "à 15 ans", fait-elle remarquer. Il y a eu cette semaine sans manger avant d'être prise en charge psychologiquement lors de son retour à Bordeaux chez ses parents. Il y a surtout beaucoup d'agressivité envers sa mère, ses amis, ses professeurs. Elle est incapable de se concentrer. "J'étais en échec scolaire", reconnaît-elle.

"Aujourd'hui, j’ai 21 ans, je suis agressive, j’ai peur, j'ai des crises d’anxiété", confie-t-elle. "Une nouvelle Shanna, vide, instable, je n'ai pas le sens des priorités. Chaque réveil est un effort, chaque endormissement est une angoisse. Je suis bien entourée mais je me sens seule. C'était le début d’une nouvelle vie sombre et angoissante."

"Se battre pour vivre"

Suivie psychologiquement jusqu'en février 2018, la jeune fille vit "comme si" elle était "bloquée dans cette nuit d'horreur". Un an après l'attentat, Shanna pense au suicide. L'adolescente consomme à l'époque beaucoup d'alcool, prend de grandes doses de médicaments. Elle souffre alors de troubles, notamment alimentaires, passant des jours sans manger ou à se faire vomir. Aujourd'hui, la jeune femme a entrepris un nouveau suivi psychologique.

"Je ne voyais pas pourquoi rester dans ce monde si c’était pour souffrir autant, je ne voulais pas revivre un autre 14-Juillet, souffle-t-elle. Je suis si malheureuse que la fête me dégoûte, je ne comprends pas que les autres soient heureux. (...) Je recherche un moyen de me faire du mal sans que mes proches ne le sache. Se battre pour vivre ce n’est pas vivre."

La jeune fille, qui n'a jamais reparlé de l'attentat avec ses grands-parents, n'a pas la vie de celle de quelqu'un de son âge. Elle ne peut passer son permis de conduire. "Pour moi conduire, c’est tuer", tranche-t-elle, disant avoir fait une crise d'angoisse après s'être mis au volant d'une voiture, "moteur éteint".

"Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de m’en sortir"

Aujourd'hui étudiante en 3e année dans une école de commerce, elle dit avoir perdu son seul objectif dans la vie, faire des études de droit. Toutes les facultés parisiennes ont refusé son dossier.

"J’ai fait une croix sur mon seul objectif, déplore Shanna. En plus de me perdre, de perdre ma jeunesse, j’ai perdu mon seul objectif. Aucune passion, rien ne m’intéresse vraiment. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de m’en sortir."

Une note positive clôt son témoignage, celui des personnes qui l'ont soutenue et accompagnée depuis des années, comme ce jour si particulier pour elle.

"Aujourd’hui je suis entouré de personnes saines, qui m’apportent énormément et qui je sais font tout pour me remplir de bonheur. Je n’ai pas assez de mot pour leurs dire merci. Merci de ne pas avoir peur de moi, merci de tout faire pour me comprendre, merci de m’écouter, et merci, d’être venu aujourd’hui, me soutenir."
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV