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Procès

Espionnage de salariés: Ikea France en procès à partir de ce lundi

Ikea a affiché une croissance de 2,6% de ses ventes l'an passé

Ikea a affiché une croissance de 2,6% de ses ventes l'an passé - Remy Gabalda - AFP

La filiale française de l'entreprise suédoise est accusée d'avoir recueilli des informations confidentielles sur ses salariés afin de savoir notamment s'ils avaient des antécédents judiciaires.

"Il voulait s’assurer qu'il n'embauchait pas de voleurs" ou de "terroristes". Une précaution poussée à l’extrême qui conduit ce lundi la filiale française d’Ikea et 15 personnes devant le tribunal correctionnel de Versailles. Deux ex-PDG, d'anciens directeurs de magasins, des responsables de la sécurité et des policiers sont poursuivis, accusés de s'être illégalement renseignés sur des candidats à l’embauche, des salariés et des clients de la marque de meubles suédois.

L’affaire éclate en 2012 avec la publication d’une enquête de Mediapart et du Canard enchaîné dans laquelle les journalistes expliquent "comment Ikea a mis au point une vaste entreprise d'espionnage des salariés". À la suite de ces révélations, une plainte est adressée au parquet de Versailles et une instruction, longue de plus de huit années, débute.

Entre "500.000 et 600.000 euros" déboursés par an

En guise de preuve, la justice reçoit notamment "un fichier informatique contenant des courriels, révélateurs de pratiques illégales, échangés entre le département de la gestion du risque de la société Ikea France et des sociétés de sécurité privées".

Entendu par les enquêteurs, l’ancien directeur du département de gestion des risques reconnaît rapidement avoir coordonné les recherches à partir du 20 juin 2007 et ce, jusqu’en 2011. Selon lui, ce "système" avait été généralisé par le PDG de la filiale réclamant à "I'ensemble des directeurs de soumettre les nouveaux employés à une recherche d'antécédents".

"Il m'a demandé d'avoir recours aux informations que J-P. F. (un enquêteur privé, NDLR) pouvait nous donner".

Ces renseignements étaient ensuite adressés au directeur du magasin qui en avait fait la demande ainsi qu'au PDG, contre rémunération pour le fournisseur. Il estime le budget alloué par l’entreprise à ces recherches de renseignements à "30.000 euros par an" pour une société privée et "500.000 euros ou 600.000 euros" pour une autre.

"Merci de me dire si antécédents svp"

Dans les mails dénichés par les enquêteurs, on apprend que la direction tenait principalement à savoir si un individu avait déjà été entendu par les forces de l'ordre et s’il s’était rendu coupable d’une infraction quelconque.

"Merci de me dire si antécédents svp concernant cette personne a priori déjà connue pour vol", est-il lancé un jour, tandis qu’un autre cherche à comprendre pourquoi "un employé modèle est devenu du jour au lendemain très revendicatif": "Nous souhaiterions savoir d'où vient ce changement de comportement et quelle est la source externe à l'origine de ces revendications en sommeil pendant un an. Syndicalisme? Prosélytisme divers? Risque de menace écoterroriste?"

La directrice adjointe du département de gestion du risque admet elle aussi avoir participé à cet espionnage en mettant en relation les directeurs de magasin et son supérieur hiérarchique pour enclencher la recherche d’informations sur tel ou tel employé ou candidat. Elle indique par exemple que le gérant d’une boutique de Reims lui avait demandé des renseignements sur "150 à 200 collaborateurs".

"Cette affaire appartient au passé"

Malgré ces aveux, les deux PDG de la filiale sur la période incriminée récusent fermement ces accusations. Ils disent ne pas être au courant d’un tel système qu’ils jugent par ailleurs "impossible à cacher" notamment en raison du "principe des quatre yeux": une règle de double signature obligatoire pour les factures dépassant un certain montant.

"Il est faux de parler d'un système d'espionnage généralisé", contre Me Emmanuel Daoud, l'avocat de la filiale française d’Ikea, interrogé par France inter. "L'entreprise a condamné ces faits et a lancé un plan d'action dès leur révélation. L'ensemble des processus de recrutement ont été revus, un plan de formation des personnels pour la protection des données personnelles a été lancé et un service juridique a été créé", détaille-t-il, affirmant que "cette affaire appartient au passé".

Un passé qui pourrait cependant rattraper les prévenus. Ils encourent entre un an et dix ans de prison, tandis que l'entreprise risque une amende de 3,7 millions d’euros.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV