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Procès

De "fêtard" à combattant de Daesh: les contradictions dans la radicalisation rapide d'Abdeslam

Salah Abdeslam, toujours jugé au procès des attentats du 13-Novembre, a répondu longuement aux questions de la cour d'assises spéciale qui s'intéresse à son basculement dans la mouvance islamiste. Se revendiquant toujours de l'organisation, il maintient que les attentats sont une réponse aux frappes de la coalition en Syrie.

Salah Abdeslam va-t-il parler? En début d'après-midi ce mercredi, c'était la question qui agitait la cour d'assises spéciale qui juge les attentats du 13-Novembre. Si on en croit les cinq années d'instruction, la réponse par la négative semblait la plus probable. Dès le début de l'audience, le doute était encore permis quand l'accusé, chemise blanc immaculé, disait encore hésiter à répondre aux questions de la cour. Huit heures plus tard, les lignes avaient littéralement bougé.

Loquace, poli, à certains moments, arrogant ou insolent à d'autres, Salah Abdeslam a répondu à quasiment toutes les questions face à une salle inhabituellement pleine. L'accusé a reconnu sa "part de responsabilité" dans les attentats mais ne veut pas être jugé comme "les têtes de l'État islamique" en minimisant ce qu'on lui reproche lui qui est jugé pour "meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste". "Je n'ai tué personne, je n'ai blessé personne, même une égratignure, je ne l'ai pas fait", plaide-t-il à plusieurs reprises assurant ne pas être "un danger" pour la société.

"Je suis en train d'en payer les conséquences. Après c'est tout, c'est terminé, je suis fatigué", dit-il.

Un engagement auprès de l'EI par "humanité"

Le basculement de ce fêtard, qui boit de l'alcool, qui fume, qui prend de la drogue à l'occasion, vers la mouvance islamiste, anime les débats de ce mercredi. Les faits concernant les attentats à proprement parler seront abordés dans plusieurs semaines. Au départ, Salah Abdeslam assure qu'il "n'y avait rien de religieux", qu'il s'agissait d'un engagement par "humanité".

"Je vois comment Bachar al-Assad traite son peuple et moi je suis contre ça. Je soutiens les combattants de l'État islamique, je les aime. Ils sacrifient leurs biens et leur corps dans ce combat et moi je les admire."

Pour autant, Salah Abdeslam ne franchit pas le cap de se rendre en Syrie pour combattre le régime de Bachar al-Assad. Il en parle une fois dit-il à sa fiançée de l'époque Yasmina, elle "ce n'était pas son [mon]délire". "J'étais dans une impasse", dit-il expliquant être tiraillé entre son attachement pour sa famille, sa fiancée et sa volonté de "laisser ses [mes] frères se faire tuer là-bas". Alors le soir, il rentre chez lui et il lui arrive "de pleurer" en pensant à cette situation. "Je savais que j'étais en faute, que je ne faisais rien pour eux", souffle-t-il.

Si c'est son "humanité" qui l'a fait regarder vers la Syrie, ce serait son frère Brahim, kamikaze du Comptoir Voltaire le soir du 13 novembre 2015, qui l'aurait impliqué dans la préparation des attentats. Pour sa mère et sa soeur, qui ont adressé une lettre à la cour, Salah Abdeslam, un garçon "influençable", a été entraîné par son ami Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur de attaques. Une nouvelle fois, comme lors de sa première prise de parole dans ce procès, Salah Abdeslam justifie les attentats comme réponse aux frappes de la coalition internationale en Irak et en Syrie. Une nouvelle fois, il dit avoir voulu combattre contre l'Occident qui "impose ses valeurs, son idéologie" dans les pays musulmans.

"Je suis pour l'État islamique, c'est tout, dit-il. Je trouve légitime qu'on meure au combat à ce moment-là. Je me suis dit 'comment je peux rester dans ce pays qui est en train de massacrer mes frères'". "Le jihad défensif est obligatoire", selon lui.

L'influence d'Abaaoud derrière Abdeslam?

Pourtant, Salah Abdeslam dit ne pas savoir quelques semaines avant les attentats du 13-Novembre que son frère Brahim s'est rendu en Syrie au début de l'année 2015. Il ne sait pas que certains de ses proches sont allés sur zone. Au sujet des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, il en a "vaguement" entendu "pour venger le prophète. Au sujet de la cellule terroriste démantelée à Verviers et montée par Abaaoud, son "ami, son "frère", là encore il se dit "étonné" et "choqué" quand il en entend parler.

Puis son frère évoque au bout de "plusieurs mois" son séjour en Syrie. "Il m'a rien dit, à part qu'il y avait des bombardements. Il était choqué parce qu'il y avait des bombardements, pour lui c'était insupportable", explique Salah Abdeslam. Il balaie toutefois la thèse que le café Les Béguines, qui appartenait à Brahim Abdeslam, était un lieu de radicalisation. Il assure n'avoir jamais vu son frère, lui qu'il respectait tant, diffuser des vidéos de tortures dans la cave de l'établissement.

"Je l'ai toujours écouté, je savais qu'il voulait mon bien. J'avais confiance en mon frère et je savais qu'il n'allait pas m'emmener à ma perte", précise Salah Abdeslam, qui indique que son aîné lui avait alors "demandé de faire des choses", sans préciser. D'un mot, il évoque la stratégie de dissimulation des combattants de Daesh. "Lui on lui a expliqué 'tu retournes en Belgique, tu seras utile là-bas'. Mais il ne savait rien de tout ça."

Ces "choses" serait-ce ce séjour en Grèce en août 2015? Deux jours pour y aller, deux jours sur place, deux jours pour le retour avec son ami "GG", parti lui-aussi au début de l'année en Syrie? Là encore, Salah Abdeslam indique que cela n'avait rien à voir avec son jihad et la préparation des attentats, là où la justice considère qu'il aurait pu y rencontrer Abaaoud. "C'était un road trip". On s’est arrêté en Italie, on a mangé des pâtes, on est parti en Grèce, on a visité plusieurs îles, on est revenu, lance-t-il fermement. Pour vous c’est difficile à comprendre ça. Pour vous, tout est lié à l’État islamique, mais il y a aussi une vie sociale." 

Reste alors à comprendre comment expliquer à la fois cette volonté de mener le combat aux côtés de l'État islamique pour défendre la charia avec la poursuite d'une vie "à l'occidentale", fumant, buvant, prenant de la drogue à l'occasion ou jouant encore au casino. Abdeslam, qui a "prêté allégeance sans prêter allégeance" "48 heures" avant les attaques, aurait-il été recruté au dernier moment? "C'est une très bonne question", répond-t-il à l'avocate des parties civiles qui l'interroge. Avant d'observer un silence, le seul de cette audience.

La "marche arrière" d'Abdeslam

"On ne s'attendait pas qu'il parle autant", réagit Arthur Denouveaux, le président de l'association de victimes Life for Paris. Car après six ans de silence, Salah Abdeslam a reconnu à demi-mot avoir renoncé à se faire exploser le soir des attentats. "Je ne suis pas suicidaire, je suis trop fier pour ça, je ne veux pas mourir comme ça", explique-t-il après avoir exprimé son espoir de rejoindre "bientôt" son frère et son ami d'enfance. Puis Salah Abdeslam a lancé un message à la justice qui condamne avec "des peines sévères" ceux qui n'ont pas tué, ceux qui ont renoncé "comme si elle jugeait les têtes de l'État islamique":

"On est là, on est en prison, on se dit "en vérité j'aurai dû le déclencher ce truc, on est à l'isolement 24h/24, les gens veulent pas nous comprendre. On se dit 'Est-ce que j'ai bien fait de faire marche arrière ou j'aurais dû aller jusqu'au bout?'."

La ceinture explosive de Salah Abdeslam avait été retrouvée dans une poubelle de Montrouge. Un fil avait été sectionné empêchant son déclenchement. Erreur ou intervention humaine. Salah Abdeslam sera interrogé sur la préparation des attentats et cette tragique nuit le 15 mars prochain.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV