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Police-Justice

Procès annulés, libérations exceptionnelles... Comment le confinement bouleverse la justice

La ministre de la Justice a annoncé la fermeture des tribunaux jusqu'à nouvel ordre.

La ministre de la Justice a annoncé la fermeture des tribunaux jusqu'à nouvel ordre. - JACQUES DEMARTHON / AFP

Depuis dimanche, la justice est elle aussi frappée par l’onde de choc du coronavirus. La garde des Sceaux a annoncé la fermeture de tous les tribunaux, dont l'activité est désormais réduite aux "contentieux essentiels", tandis que les procès d'assises doivent être reportés. Des mesures drastiques pour freiner la pandémie mais qui se font parfois au détriment des règles de droit.

La pandémie de coronavirus plonge la France dans un confinement sans précédent, et la justice, elle aussi, tourne au ralenti. Dimanche, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé une réduction drastique de l'activité des juridictions françaises, qui ne traitent pratiquement plus que des contentieux où la liberté d'une personne est en jeu.

Les avocats et les magistrats continuent donc de gérer les "contentieux essentiels" mais font face à de nombreuses inconnues: faut-il encore incarcérer les individus dans des prisons qui présentent un grave risque sanitaire si le virus y pénètre? Les droits de la défense vont-ils pouvoir être respectés? 

  • Limités aux "contentieux essentiels", les tribunaux tournent à bas régime

Les prétoires n’accueillent désormais plus que les "contentieux essentiels", notamment "les audiences correctionnelles pour les mesures de détention provisoire et de contrôle judiciaire", les "comparutions immédiates", "les présentations devant le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention". Cela concerne aussi "les audiences du juge d'application des peines" ainsi que celles du "tribunal pour enfants et du juge pour enfants" pour "la gestion des urgences", ou encore "les permanences du parquet". 

Selon une source judiciaire à BFMTV, les tribunaux fonctionnent à 20% de leurs capacités. Au pénal, 3 audiences par jour ont lieu, contre 15 en temps normal, et des comparutions se font par visioconférence afin d’éviter les extractions et ainsi limiter les risques de contamination. D'importants procès en correctionnelle, comme celui du Mediator ou de Joël Le Scouarnec - ce chirurgien accusé de viols et agressions sexuelles sur mineurs -, sont ainsi interrompus ou reportés. 

Même les interpellations policières sont réduites aux cas les plus graves, pour éviter ensuite les incarcérations dans des prisons déjà surpeuplées.

"Hormis les cas les plus dangereux, comme les atteintes aux personnes, les arrestations vont diminuer. Notamment en ce qui concerne les trafics de stupéfiants qui engorgent habituellement les tribunaux", explique à BFMTV.com le pénaliste Me Ian Knafou. 
  • Le respect du délai légal de détention provisoire mis à mal

Dans ce contexte de "service minimum", les procès sont en grande partie reportés, avec le risque que le délai légal de détention provisoire de certains mis en cause soit dépassé. En principe, cette détention se limite à un an en matière correctionnelle et à 3 ans pour les crimes. Mais dans une circulaire du 14 mars, que Marianne a consultée, la Chancellerie préconise le suivi de mesures exceptionnelles qui "justifient que le juge des libertés et de la détention ou la chambre de l'instruction, appelés à statuer sur la détention provisoire, ne se prononcent pas dans les délais légaux". 

Ces prolongations sont rendues possibles par les "circonstances insurmontables" que constitue la pandémie de coronavirus. Pour les cas les plus dangereux, la détention provisoire est donc maintenue, en dépit du dépassement du délai légal. 

En revanche, pour les délits mineurs, les "mis en cause qui auraient dû être incarcérés définitivement, sont libérés", note Me Knafou. "En matière de comparution immédiate, le délai raisonnable est de deux mois, quand il s’agit d’un vol ou d’un trafic de stupéfiants. Cet après-midi, un de mes clients qui était détenu depuis le 6 février pour trafic de stupéfiants, a été convoqué au tribunal de Bobigny. Comme le juge ne pouvait pas renvoyer l’audience avant le 6 avril - délai maximum - il a été remis en liberté, sous contrôle judiciaire."

"Les tribunaux ont la volonté de traiter la liberté avec plus de flexibilité", abonde Me Delphine Meillet, contactée par BFMTV.com. Et Me Knafou d’ajouter: "Ceci s’explique aussi par la volonté d’alléger les prisons, déjà surchargées. Sinon elles vont devenir de véritables cocotte-minutes." 

  • Les avocats mobilisés pour les "permanences de défense d'urgence"

Si la justice tourne au ralenti, les avocats eux restent mobilisés pour leurs clients.

"On a la responsabilité des gens que l’on défend", lance Me Meillet qui continue, comme Me Knafou, les entretiens en garde à vue, "tout en respectant les mesures de précaution".

Pour protéger leurs clients en détention, ils vont également déposer des demandes de mises en liberté.

"Je vais le faire pour tous ceux qui ont des problèmes de santé, comme de l’asthme par exemple, et qui sont en prison pour des faits mineurs. Il faut les protéger", assure Ian Knafou. Delphine Meillet aussi s’apprête à déposer cette requête pour un homme condamné pour trafic de véhicules et qui, selon elle, "coche toutes les cases. Il a un logement en France où il peut être accueilli, il n’y a pas de risque particulier de récidive et pas de risque pour les victimes". 
  • Les prisons prêtes à faire face au risque sanitaire?

Les centres pénitentiaires, où 70.000 détenus s’entassent dans des cellules souvent surchargées, sont de potentiels foyers pour l’épidémie. L'accès aux parloirs des prisons a d’ailleurs été suspendu pour les familles "dans les 15 prochains jours" afin de lutter contre la propagation du coronavirus, a annoncé ce mardi la garde des Sceaux, alors qu'un détenu et deux infirmières de la prison de Fresnes ont récemment été testés positifs.

Nicole Belloubet appelle également à limiter "les mouvements internes, en suspendant les activités en milieu confiné (enseignement, activités socio-culturelles, sport)".

"En revanche, les promenades et activités sportives en plein air ou en espace non confiné seront maintenues avec les aménagements nécessaires", de même que "pour le travail et la formation professionnelle dans les espaces permettant de respecter les mesures barrière", ajoute la garde des Sceaux.

Des mesures qui arrivent un peu tard, selon les personnels pénitentiaires. "Les prisons sont des lieux très confinés, il y a donc beaucoup d’inquiétudes", explique à BFMTV.com Ingrid Duhamel, représentante syndicale FO à la prison de la Santé.

"Depuis plusieurs jours, des détenus ont arrêtés de se serrer la main, gardent leurs distances, ont demandé à leurs familles de ne plus venir les voir au parloir. Mais, le gouvernement aurait dû l’officialiser plus tôt", estime-t-elle.

Surtout, "l’annonce de la suspension des parloirs aurait dû être suivie d’une réduction du nombre de détenus lors des promenades. Ca aurait évité les violences qu’on a observées aujourd’hui dans la prison de Grasse", commente Emmanuel Guimaraes, délégué national FO Pénitentiaire. Entre 50 et 100 détenus de la prison de Grasse ont en effet provoqué un début de mutinerie en protestant contre l'arrêt des parloirs ce mardi.

"Ils ont dégradé des grillages et il y a eu un feu de guérite sans gravité. Le calme est cependant revenu et les détenus ont réintégré leurs cellules", a assuré à l’AFP la direction interrégionale des services pénitentiaires.

Enfin, le gouvernement a "mis en place un stock de 100.000 masques pour protéger les agents des établissements pénitentiaires qui seraient au contact d’un détenu présentant les symptômes du Covid-19", précise le ministère de la Justice dans un communiqué. Et si un détenu était effectivement malade, "il serait isolé dans un quartier. On leur réservera une aile", indique Ingrid Duhamel, agent à la prison de la Santé.

Ambre Lepoivre