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Nordahl Lelandais devenu père en prison: comment expliquer l'attirance pour les criminels?

Violeurs, tueurs en série, pédophiles... Si la plupart d'entre nous sont effrayés par ces profils, ils attirent pourtant certaines personnes. Ce phénomène porte un nom: l'hybristophilie.

C'est un carnet rose qui a suscité beaucoup de réactions, et même de l'indignation. Il y a deux mois, Nordahl Lelandais, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour les meurtres de la petite Maëlys de Ajauro et du caporal Arthur Noyer en 2017, est devenu papa d'un petit garçon en prison. Selon plusieurs médias, c'est par une "relation épistolaire" qu'a débutée l'histoire d'amour entre l'ancien maître-chien et la mère de son enfant.

Mais avant elle, une autre femme s'était déjà éprise de Nordahl Lelandais. En mars 2019, Elisabeth écrit à l'ancien militaire après une reconstitution. "Je ne le connaissais pas, j’ai pensé que ce gars devait se sentir un peu seul au monde et isolé", avait-elle confié au Dauphiné Libéré en janvier 2022. Après plusieurs mois d'échanges par lettres, Elisabeth rencontre Nordahl Lelandais pour la première fois. "Je voyais l’homme avant les actes", avait-elle expliqué.

Le couple entame une relation amoureuse, qui durera plus de deux ans et durant laquelle elle se rendra près de 200 fois au parloir. Elle se fait tatouer son prénom, rédige un testament à son avantage, contracte un emprunt, lui achète des vêtements, un ordinateur et une console de jeu. Elle va même jusqu'à lui fournir des téléphones portables, du rhum et de la cocaïne en prison. Mais à la fin de l'année 2021, leur relation se dégrade, Nordahl devient "jaloux", "possessif", "exigeant" et le couple finit par se séparer.

Nordahl Lelandais devenu père en prison, l'écœurement des familles des victimes
Nordahl Lelandais devenu père en prison, l'écœurement des familles des victimes
17:23

Pas de profils typiques

Cette attirance pour les meurtriers, les violeurs et même les pédophiles porte un nom: l'hybristophilie, du grec ancien hybrizein, qui signifie "commettre un outrage contre quelqu'un" et de philein, "qui aime". Il s'agit d'une paraphilie dans laquelle un individu est attiré -physiquement, sexuellement ou mentalement- par une personne ayant commis un crime.

Mais ce "syndrome Bonnie et Clyde", comme il est parfois surnommé dans la culture populaire, n'est pas un trouble reconnu par la recherche scientifique, tient à souligner auprès de BFMTV.com Mickaël Morlet-Rivelli, expert judiciaire en psychologie près la cour d’appel de Reims et doctorant en psychologie à l’université de Clermont-Auvergne et au centre international de criminologie comparée de Montréal.

"L'hybristophilie n'apparaît pas dans les classifications des troubles mentaux, contrairement à la schizophrénie, par exemple. Il n'y a pas de définition commune chez les scientifiques", explique le spécialiste.

Repértorié ou non, ce phénomène fascine depuis longtemps. Outre Nordahl Lelandais, de nombreux criminels, comme Charles Manson, Marc Dutroux ou encore Ted Bundy, suscitent eux aussi l'attirance de certaines femmes. C'est ce qu'a observé la journaliste Isabelle Horlans, qui y a consacré un livre, L'amour (fou) pour les criminels (Cherche-Midi, 2015).

C'est en 2001, à l'occasion du procès de Guy Georges, le "tueur de l'est parisien", jugé pour le viol suivi du meurtre de sept femmes entre 1991 et 1997, que la journaliste se renseigne sur l'hybristophilie. Chaque jour, sur les bancs de la cour d'assises de Paris, Isabelle Horlans voit s'installer aux premiers rangs "plusieurs jeunes femmes qui faisaient tout pour que Guy Georges les regarde".

"Au début, c'était un simple article et rapidement, je me suis rendue compte que le sujet était en réalité bien plus important et bien plus complexe", explique-t-elle à BFMTV.

Que ce soit Mickaël Morlet-Rivelli ou Isabelle Horlans, les deux s'accordent sur un point: il n'existe pas de profils typiques. Néanmoins, "certaines hypothèses sont plus crédibles que d'autres", selon le spécialiste.

"Aider quelqu'un, c'est exister à travers lui"

Revenons à Elisabeth, l'ancienne compagne de Nordahl Lelandais. "Dans son cas, on parle dans la culture populaire du syndrome de l'infirmière", explique Isabelle Horlans. "Ce sont des femmes qui ont beaucoup d'empathie, qui considèrent que chacun à le droit à la rédemption, qui tendent la main", selon elle.

"Dans la plupart des cas, elles entendent parler d'un criminel, qui les touche ou les émeut", décrit-elle, expliquant que ces femmes "engagent d'abord des échanges par lettres, avant de tomber amoureuses. On est dans une démarche de main tendue".

Si Mickaël Morlet-Rivelli réfute l'expression "syndrome de l'infirmière", il évoque "une volonté de sauver quelqu'un, de transformer le mal en bien". "C'est valorisant d'être dans la peau d'un sauveur. Aider quelqu'un, c'est exister à travers lui", ajoute l'expert.

C'est le cas de Béatrice, une médecin anesthésiste de Bordeaux, divorcée et mère de deux enfants, qui a raconté son histoire à la journaliste, Isabelle Horlans. En août 2007, la médecin regarde un documentaire sur M6 consacré à Dany Leprince. Le 5 septembre 1994, "le boucher de la Sarthe" comme on le surnomme, tue son frère, sa belle-sœur et ses nièces âgées de 10 et 6 ans à Thorigné-sur-Dué.

"J’ai eu envie de le prendre dans mes bras, de le protéger", confie Béatrice à la journaliste.

Elle obtient ses coordonnées et débute un échange avec lui. "Mon amour pour lui est apparu au fil des échanges, grâce à ce que je découvrais chez cet homme, notamment sa sensibilité et son humour", raconte Béatrice. En septembre, elle le rencontre pour la première fois. Six mois plus tard, le 11 février 2008, ils se marient au parloir de la centrale de Poissy (Yvelines).

"Le crime fascine les gens"

Certaines, selon Isabelle Horlans, ont une "attirance pour la violence, l'effroi". "Le crime fascine les gens. C'est une manière de côtoyer quelque chose d'amoral de manière sécurisée", estime, de son côté Mickaël Morlet-Rivelli.

Parmi les admiratrices du belge Marc Dutroux, condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir enlevé, séquestré et violé six fillettes et adolescentes, et tué quatre d'entre elles, certaines ne sont même pas majeures.

"Je suis une jeune fille de 15 ans. Vous m'avez toujours fascinée. Vous êtes une personne connue. Quand je vois vos belles photos, je ne peux que croire que vous êtes honnête. Voulez-vous correspondre avec moi?", lui a notamment écrit l'une d'elles.

Un phénomène dont Charles Manson fait lui aussi l'objet. En 2005, Afton Burton a 15 ans. Dans sa chambre d'adolescente de l'Illinois, à l'occasion d'un devoir scolaire, elle découvre le meurtrier et se prend de fascination pour lui. Elle commence à lui écrire, puis à lui téléphoner. En 2007, l'adolescente de 17 ans et le gourou de 73 ans débutent une relation. Deux ans plus tard, elle quitte tout pour s'installer près de la prison de Corcoran, où il est incarcéré. Le couple se marie en 2014, trois ans avant le décès de Charles Manson.

"Autovalorisation"

Pour Isabelle Horlans, d'autres "sont à la recherche de reconnaissance, voire même de notoriété". Une hypothèse que balaie Mickaël Morlet-Rivelli, qui estime que ce sont plutôt des personnes qui cherchent à se valoriser elles-mêmes.

"Ca peut répondre à une carence en matière d'estime de soi. Aider quelqu'un qui est conspué de tous, ça fait de soi quelqu'un d'exceptionnel. Narcissiquement, ça fait du bien, on parle d'autovalorisation", explique Mickaël Morlet-Rivelli.

Et malgré les idées reçues, il ne s'agit pas "de femmes chez qui ça ne tourne pas rond", tient à préciser Isabelle Horlans, qui a recueilli, entre autre, les témoignages d'une médecin, d'une avocate et d'une professeure.

C'est notamment le cas de Véronique, une enseignante agrégée de 27 ans. La professeur s'est éprise d'un tueur, condamné à perpétuité, qu'elle a rencontré sur le site loveaprisoner.com. Après de nombreux échanges, elle le rencontre en 2014 dans une prison de Californie

"Je mets de l’argent de côté pour m’installer près de lui, même si je sais qu’il faut d’abord que je trouve un emploi à Sacramento. Une gageure! Ma famille tente de me convaincre que notre histoire est vouée à l’échec, mais vous savez quoi? Je m’en fous !", a-t-elle expliqué à la journaliste.

Pour Isabelle Horlans, la plupart "sont très instruites". "Ce que j'ai observé, c'est qu'elles ont en commun une fragilité, parfois liée à des failles", estime la journaliste.

Un phénomène pas uniquement féminin

Si le phénomène concerne davantage les femmes, c'est "d'abord parce que la proportion d'hommes en prison est beaucoup plus importante", explique Mickaël Morlet-Rivelli. Mais il existe aussi chez les hommes.

C'est le cas de Florent Goncalves, ancien directeur de la maison d'arrêt pour femmes de Versailles, qui a entretenu une relation avec une détenue, alors qu'il était marié et père de famille. À 29 ans, l'homme, promis à une carrière brillante, a pourtant tout quitté pour Emma, la jeune femme qui a servi d'appât au gang des Barbares, qui a enlevé, torturé et tué Ilan Halimi en 2006. C'est un surveillant de la prison, qui entretenait lui aussi une relation avec la détenue, qui l'a dénoncé. En 2012, Florent Goncalves a été condamné à un an de prison ferme et 10.000 euros d'amende pour avoir entretenu une relation avec Emma et lui avoir accordé des faveurs.

De l'autre côté de l'Atlantique, quelques années plus tôt, en 1985, James W.Whitehouse à 22 ans. Il découvre le livre de Susan Atkins, l'une des meurtrières de la "famille" de Charles Manson. C'est elle qui, le 9 août 1969, a poignardé seize fois l’actrice Sharon Tate, alors enceinte de huit mois du réalisateur Roman Polanski.

Il devient obsédé par elle, la contacte, échange avec elle par lettres et finit par lui rendre visite. Le couple tombe amoureux et se marie en 1987. James W.Whitehouse a 24 ans et Susan Atkins, 39 ans. Par amour pour elle, il reprend des études de droit, obtient son diplôme à Harvard en 1997 et finit par intégrer l'équipe d'avocats de Susan Atkins pour obtenir sa libération. Il n'y parviendra jamais, mais restera aux côtés de sa femme jusqu'à son décès en 2009.

Manon Aublanc