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Michel Serres : « Ne sommes nous pas, nous aussi, des Roms? »

Michel Serres, professeur à la Stanford University, membre de l’Académie française, philosophe, était l’invité de Bourdin Direct ce vendredi matin.

Michel Serres, professeur à la Stanford University, membre de l’Académie française, philosophe, était l’invité de Bourdin Direct ce vendredi matin. - -

Michel Serres, professeur à la Stanford University, membre de l’Académie française, philosophe, était l’invité de Bourdin Direct ce vendredi. Il a apporté son regard, particulier, sur l'actualité.

Michel Serres, professeur à la Stanford University, membre de l’Académie française, philosophe, était l’invité de Bourdin Direct ce vendredi matin. Dans une discussion à bâtons rompus, il a notamment évoqué la politique spectacle, ce qu’il appelle « le tempo de l’actualité », ou encore le sport, pour lequel il se passionne.

Nous sommes tous des Roms
Invité à s’exprimer sur le traitement réservé par le gouvernement aux Roms et aux gens du voyage ces dernières semaines, Michel Serres a déclaré : « Nous-mêmes, ne sommes-nous pas aussi des Roms, d’une certaine façon ? Regardez comme nous nous déplaçons, comme nous bougeons, à quel point nous voyageons. Plus personne aujourd’hui n’est réellement fixé à la glèbe, comme le paysan autrefois. Nous sommes toujours en train d’errer quelque part ? J’avais une amie qui disait : ‘Mon adresse, c’est A2’… La position dans son avion. Elle se pensait elle-même comme un Rom d’une certaine manière. »

« C’est l’écologie politique, qui bat son train, qui a lassé Cohn-Bendit »
Michel Serres, qui s’intéresse de très près à l’écologie, a également déploré la manière dont ce thème (et ce terme) sont galvaudés aujourd’hui : « Le mot ‘écologie’ a deux sens de plus en plus séparés aujourd’hui. C’est d’abord une science. Une science de plus en plus difficile, qui demande des connaissances en mathématiques, en chimie, en histoire naturelle, en biologie… etc. C’est une science très puissante, avec des résultats très raffinés, et qui demande un effort considérable. Et d’autre part, il y a un deuxième sens, politique. C’est-à-dire les écolos, les Verts… etc. où là on assiste, au spectacle ordinaire de la politique. Ces deux sens-là sont relativement éloignés. Je souhaiterais qu’il y ait un rapprochement. Que les militants écologistes s’instruisent de façon plus patiente, plus raffinée, plus humble, des résultats de la science dont ils se réclament. J’entends parfois des militants dire des choses qui écologiquement ne sont pas vraiment très raffinées. C’est l’écologie politique, qui bat son train, qui a donné de la lassitude à M. Cohn-Bendit, ça c’est sûr. »

« Le tempo de l’actualité »
S’adressant directement à Jean-Jacques Bourdin, en sa qualité de journaliste, Michel Serres, en sa qualité de philosophe, s’est arrêté sur ce qu’il appelle le « tempo de l’actualité » : « L’actualité est haletante. Vous êtes obligés tous les matins de tenir compte de la guerre à tel endroit, d’une catastrophe à tel endroit… etc. Et le philosophe que je suis est bien obligé, pour lire le monde contemporain, de prendre du recul par rapport à cette actualité. Vous et moi, nous ne sommes pas tout à fait dans le même tempo… En l’an 2000, un journaliste me demandait quel était l’événement le plus important du XXIème siècle. Il s’attendait à ce que je parle des guerres mondiales, et je lui ai répondu que l’événement le plus important était le fait qu’en 1900, nous étions entre 60 et 70% de paysans, et qu’aujourd’hui nous ne sommes plus que 1,8% de paysans en France et dans les pays analogues aux nôtres. Cette nouvelle-là est capitale puisque l’humanité est paysanne depuis le néolithique. Mais elle n’est pas annonçable. Il y a un problème de nez sur le guidon si vous voulez. Nous sommes gouvernés par la rapidité du zapping. L’attention portée à un état de fait qui serait plus large disparaît assez rapidement. »

Le sport : « une activité corporelle où tout le monde perd »
Passionné de sport, Michel Serres nous en a donné une définition particulière : « les médias parlent surtout de celui qui a gagné, de celui qui va gagner ou de celui qui gagne. C’est-à-dire le vainqueur. Or, si vous regardez le vainqueur de telle course ou le vainqueur dans telle et telle discipline, il y en a 1 sur 10 000, 1 sur 100 000, 1 sur 1 million. Si vous ne parlez que du vainqueur, alors vous ne parlez pas de sport puisque dans le sport, il y a quand même 100 000 personnes, et non pas une, qui perdent et qui ne gagnent pas. Alors j’ai envie de définir le sport comme cette activité corporelle où tout le monde perd. Il n’y a que les rarissimes qui gagnent, or les médias ne parlent que du vainqueur. Il y a là une petite erreur assez amusante dans cette affaire. »

Pour retrouver l'intégralité du podcast de l'interview de Michel Serres par Jean-Jacques Bourdin, cliquez ici

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