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LIGNE ROUGE - Curtis, chien tueur? L'enquête

Dans une enquête Ligne rouge diffusée ce lundi, BFMTV a examiné l'affaire Elisa Pilarski, du nom de cette jeune femme enceinte morte le 16 novembre 2019 dans la forêt de Retz dans l'Aisne, tuée par des morsures canines. Au centre de l'enquête, le chien de son compagnon, un pitbull au comportement violent nommé Curtis.

Elisa Pilarski est morte le 16 novembre 2019 en forêt de Retz, près de Soissons, dans l'Aisne. Les experts ont posé que la jeune femme de 29 ans, enceinte de six mois au moment des faits, avait succombé aux morsures du chien qu'elle promenait alors, Curtis, l'un de ceux de son compagnon Christophe Ellul. Celui-ci n'a cessé de contester l'implication de son American Pitbull Terrier de 18 kilos. Mais les éléments et les témoignages plaidant en ce sens sont lourds.

Sur les routes de Picardie, de Belgique et des Pays-Bas, l'équipe de Ligne rouge a suivi la piste de Curtis, un chien dont l'espèce est interdite à l'acquisition en France, et qui se trouve au centre du drame.

Un jeune couple

C'est neuf mois après s'être mis en couple avec Christophe Ellul, 46 ans, agent de piste à Roissy et domicilié à Saint-Pierre-Aigle, qu'Elisa Pilarski est morte au fond des bois, tandis qu'elle avait emmené Curtis avec elle. C'est d'ailleurs cette passion pour les chiens de défense et de garde qui a lié, à l'origine, la jeune monitrice d'équitation et son conjoint. Fabrice Alves-Teixeira a suivi l'affaire pour son journal Oise Hebdo. Il explique devant nos caméras:

"Les réseaux sociaux fourmillent, et notamment Facebook, de groupes consacrés aux chiens, et dans ces chiens catégorisés aussi. C’est comme ça qu’elle a fait la connaissance de Christophe. Ils ont échangé. Il lui a donné des conseils et c’est comme ça qu’ils ont fini par se rencontrer."

Cette relation de fraîche date se vit pour l'essentiel à distance. La jeune femme réside du côté de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques, à près de 900 kilomètres au sud du village de Christophe Ellul. Caty Richard, ancienne avocate de Christophe Ellul et de la famille d’Elisa Pilarski, décrit: "Christophe descendait voir Elisa beaucoup plus qu’elle ne montait le voir. C’était donc la première fois qu’Elisa était seule avec les chiens, ce jour-là."

"Des cris de douleur"

"Ce jour-là", c'est donc le 16 novembre 2019, un samedi. Elisa, qui possède elle-même un chien, emmène en balade un par un les canidés de son compagnon, alors à son poste à l'aéroport de Roissy. Elle prend d'abord Chivas, l'un des quatre chiens de celui-ci, avec elle. La promenade a dû être mouvementée car à 12h19 Elisa Pilarski écrit sur Facebook: "Encore un connard de maître avec son malinois pas attaché. Le truc arrive à fond sur moi. (…) Heureusement que je ne promenais pas les autres, sinon boucherie assurée."

Ensuite, elle part avec Curtis. Le journaliste Fabrice Alves-Teixeira a refait le parcours: "Le début de la promenade se passe dans un chemin assez difficile à gravir car la pente est assez sévère surtout pour une jeune femme enceinte. C’est vraisemblablement dès ce moment-là, au début de la promenade, qu’Elisa rencontre des difficultés avec son chien." À 13h19, elle appelle d'ailleurs Christophe Ellul, paniquée, et celui-ci saute dans sa voiture pour lui venir en aide. Il dressera aux gendarmes son récit de leur conversation:

"Elle m’a dit qu’il y avait beaucoup de chiens, que Curtis tirait sur la laisse, qu’elle se faisait mordre à la main et à la jambe. Je lui ai dit de lâcher le chien pour qu’il puisse se défendre. Elle a énormément crié, c’était des cris de douleur".

En route, Christophe Ellul appelle 22 fois le portable de sa petite amie, qui ne décroche pas. En revanche, il oublie, ou s'abstient, d'appeler les secours. Une fois sur place, Christophe Ellul arpente la forêt à la recherche de sa compagne et de son chien. À 14h40, sa quête angoissée prend fin.

"Quand je me penche pour regarder où était Curtis, pour moi il était à côté d’un tronc d’arbre, couché. Donc j’ai décidé de descendre le précipice pour aller le chercher. Plus je me suis approché, et plus je m’apercevais que c’était pas un tronc d’arbre. C’était le ventre de ma femme qui était à découvert parce qu’elle a été déshabillée, entièrement", avait relaté Christophe Ellul à BFMTV quelques jours après l'horreur. Sa voix s'était alors brisée: "J’ai récupéré la laisse de Curtis, je suis descendu auprès d’Elisa, j’ai lâché la laisse pour m’occuper d’elle. Elle était dévorée de partout. Elle avait plus de cheveux, elle avait le visage découpé."

La meute

Pour le rapport d'autopsie, Elisa est morte sur les coups de 13h30, dix minutes après son coup de fil, victime d'une hémorragie consécutive aux morsures d'un ou plusieurs chiens. Une information judiciaire est ouverte contre X pour homicide involontaire. Pour autant, auditionné par les gendarmes après la constation de la mort d'Elisa, Christophe Ellul refuse d'incriminer son chien. "J’ai aperçu au moins une trentaine de chiens de chasse de meute qui étaient à côté de mon chien", dit-il: "Deux de ces chiens sont venus vers moi mais vu que je n’avais pas peur, ils ont tracé leur route".

Une chasse à courre, organisée par le rallye 'La Passion', a en effet parcouru la forêt de Retz au moment où Elisa promenait le chien. Christophe Ellul a d'ailleurs croisé l'un des cavaliers, Jean-Michel Camus, avant de tomber sur la dépouille de la jeune femme. Ce dernier a accepté de livrer son souvenir de cette rencontre à notre antenne: "Il m’a dit : ‘Je cherche mon chien, faites attention à vos chiens, le mien est très dangereux.’ Ce qui m’a laissé un peu sceptique. Je lui ai dit que nos chiens n’étaient pas méchants et il m’a dit : ‘Oui, mais le mien est très très méchant, faites attention’."

La piste de la meute se perd vite cependant. Et pour causes: le seul ADN relevé sur le corps d'Elisa Pilarski est celui de Curtis. L'examen des mâchoires des canidés de la chasse et de Curtis rend là encore une sentence accablante: les dents de Curtis peuvent correspondre aux marques découvertes sur le cadavre, pas celles de la horde.

Les morsures de Curtis

Après la mort d'Elisa, Curtis a de surcroît connu plusieurs coups de sang. Le jour même, tandis que son maître est entendu par les enquêteurs, il mord sa sœur, venue le garder dans l'intervalle. Puis, alors que Christophe Ellul intervient pour calmer le chien, il s'en prend à lui. Envoyé dans un refuge de Beauvais, il attaque une bénévole: elle aura besoin d'une quinzaine de points de suture et de deux mois d'arrêt. Ainsi, la nature, l'origine et la trajectoire du chien, apparaissent comme autant de clés dans l'enquête.

Ces cinq dernières années, Christophe Ellul s'était intégré au circuit des concours canins. Ceux-ci sont d'un genre un particulier car Curtis, qui y excelle au point d'avoir remporté plusieurs prix, appartient à une race prohibée sur le territoire français. Pourtant, les papiers du chien sont en règle. Nulle trace d'un pitbull, on n'y parle que du croisement entre un Patterdale Terrier et un lévrier Whippet. le vétérinaire Christian Diaz, auteur du rapport d'expertise, n'en croit rien: "C’est évident qu’il a menti sur la race de son chien".

Le chien interdit

On sait que que Christophe Ellul est allé acheter Curtis, le 16 février 2018, dans un élevage spécialisé des Pays-Bas où ce type de pitbull a droit de cité. Le prix, selon les dires de Christophe Ellul, était compris entre 400 et 450 euros. Avait-il cependant nécessairement connaissance de l'espèce de son chien ou a-t-il été abusé par les déclarations de la propriétaire de l'élevage? "Il n’est pas vétérinaire. Il a acheté le chien quand il avait trois mois. Avec les papiers qui lui ont été fournis, il n’était pas censé connaître l’origine de ce chien, n’était pas censé douter de l’origine figurant sur les papiers", plaide ainsi Alexandre Novion, avocat de Christophe Ellul, dans notre long-format.

Mais des témoignages accablants malmènent cette hypothèse d'une ignorance originelle. "Nous on connaissait la vérité, on ne savait pas que c’était des faux papiers mais on savait que c’était des vrais pitbulls. Tout le monde le savait dans l’entourage proche", nous confie une proche. Dans un message privé envoyé sur un réseau social, Christophe Ellul parle d'ailleurs de deux de ses chiens en ces termes: "Drago et Curtis, ce sont de vrais pitbulls, leurs origines sont conçues pour faire des chiens de combat, des machines de guerre en combat." Dans un autre, il lance: "Ces chiens-là sont dangereux, y a rien de pire pour avoir un accident. Il tuerait ta chienne et toi avec."

"Il ne s'arrête de mordre que pour mordre autre chose"

Se dessine en tout cas un chien au comportement violent. "Ce chien ne se contrôle pas, quand il mord, rien ne peut l’arrêter, y compris l’ordre. Quand il s’arrête de mordre, c’est pour mordre autre chose", estime Christian Diaz, qui a eu l'occasion d'observer l'animal. Le vétérinaire soumet son idée quant au déroulement des faits tragiques ayant entraîné la mort d'Elisa Pilarski: "Peut-être que les aboiements des chiens (de la chasse à courre, NDLR) ont participé à l’excitation de Curtis."

Guillaume Demarcq, avocat de "Rallye Passion", a lui aussi avancé un récit: "Curtis s’est énervé. Il a enlevé sa muselière et comme c’est un chien qui ne supportait pas la contrainte, il s’est retourné contre Elisa Pilarski. Il l’a mordue, il a continué à la mordre. Elle a tenté de s’enfuir en regagnant sa voiture mais il ne l’a pas lâchée, l’a rattrapée."

L'avocat de Christophe Ellul a quant à lui demandé une contre-expertise, réclamant un nouvel examen des morsures et des mâchoires des chiens. L’homicide involontaire résultant de l’agression commise par un chien est passible de 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende. Détenir un chien interdit peut constituer une circonstance aggravante. Christophe Ellul n'est toutefois pas mis en examen à ce stade.

Benoît Sarrade, Mélanie Bontems et Alexandre Funel