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Police-Justice

L'ancien chef du service de Kerviel accuse sa hiérarchie

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par Clément Guillou et Matthieu Protard

PARIS (Reuters) - La hiérarchie directe de Jérôme Kerviel, tenu par la Société générale pour seul responsable d'une perte de 4,9 milliards d'euros en 2008, n'a pu ignorer les agissements du trader, "sauf à passer sa journée au bar", a dit un ancien responsable de son service.

Benoît Taillieu, 34 ans, qui a quitté la banque en 2006, a estimé au quatrième jour du procès devant le tribunal de Paris que les profits de Jérôme Kerviel étaient hors normes et forcément obtenus au-delà de son activité normale.

Il s'est présenté comme "la seule personne ayant approché de très près cette activité qui soit totalement sortie du monde de la finance", alors que la défense reproche aux autres témoins de protéger leur hiérarchie ou leur employeur potentiel.

"Il est coupable peut-être, mais en tout cas pas seul", a dit cet homme qui est maintenant architecte d'intérieur.

La hiérarchie directe du trader pouvait-elle ignorer le montant de ses positions, lui a demandé l'avocat de la défense, Me Olivier Metzner ? "Sauf à passer sa journée au bar en bas de la tour, non", a dit Benoît Taillieu.

"A mon sens, la hiérarchie directe ne pouvait pas ignorer totalement les activités de Jérôme Kerviel. Pour moi c'est une certitude, c'est même une évidence", a-t-il ajouté.

Les supérieurs du trader n'avaient "sûrement pas connaissance des montants en jeu" mais savaient obligatoirement "que les limites étaient dépassées largement", compte tenu de ses gains, a poursuivi Benoît Taillieu.

Ce témoin étaye ainsi la principale ligne de défense de Jérôme Kerviel, qui reconnaît des fautes mais incrimine sa hiérarchie, qui ne pouvait pas ne pas savoir selon lui, d'autant plus qu'il présente ces pratiques comme étant courantes.

FRAISES ET PATATES

L'ex-trader se voit reprocher des positions à risques de 2005 à 2008 sur des indices boursiers européens allant jusqu'à frôler les 50 milliards d'euros.

Un temps bénéficiaires de 1,4 milliard d'euros, ses activités ont fini par coûter 4,9 milliards d'euros à la banque française lorsqu'elle a liquidé ses positions en janvier 2008.

L'accusé, habillé d'une chemise bleue à col blanc et d'un costume noir, a suivi silencieusement le témoignage du créateur de son "desk", qu'il n'a jamais connu.

Certaines positions de Jérôme Kerviel n'avaient, a dit Benoît Taillieu, "rien à faire dans un portefeuille de certificats, de turbo warrants".

"Je n'arrive pas à comprendre comment (la hiérarchie) a pu accepter pendant des semaines voire des mois une position qui n'avait rien à voir avec la nature de son portefeuille", a dit l'ancien trader, actuellement en conflit avec la Socgen.

"C'est comme s'il avait eu un mandat pour acheter cinq tonnes de fraises et qu'il se retrouve avec 50 tonnes de pommes de terre dans le hangar, que le contremaître passe et ne s'aperçoit de rien".

Au-delà du type d'opérations, les profits de Jérôme Kerviel ont dû aussi alerter sa hiérarchie directe, a-t-il estimé.

Lorsque Jérôme Kerviel a annoncé, lors d'un entretien de fin d'année, un gain de 55 millions d'euros, la Société Générale n'a pu ignorer qu'il avait "des activités plus exotiques et plus facteurs de risques pour la banque".

Jérôme Kerviel est poursuivi pour "faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique". Le jeune homme de 33 ans encourt jusqu'à cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.

Edité par Yves Clarisse