BFMTV
Police-Justice

L’affaire Tapie, une affaire d’Etat ?

-

- - -

Les protestations se multiplient après la décision du tribunal arbitral de condamner l'organisme public gérant la faillite du Crédit Lyonnais à verser 285 millions d’euros à Bernard Tapie. Decryptage de l'affaire.

La décision du tribunal arbitral dans l'affaire qui oppose Bernard Tapie au Crédit Lyonnais continue à provoquer polémiques et suspicions. Pour saisir les points de vue des uns et des autres, un rappel des faits s'impose :

Septembre 2005

Après 13 années de procédure, le Crédit Lyonnais (par l'intermédaire du Consortium de réalisation -CDR-, un organisme chargé de gérer le passif de la banque qui a fait faillite en 1993) est condamné par la cour d'appel de Paris à verser 135 millions d'euros à Bernard Tapie dans le dossier Adidas.

Octobre 2006

La Cour de cassation annule le jugement. L'Etat remporte donc une victoire mais, au lieu d'attendre le renvoi de l'affaire devant une autre cour d'appel, l'exécutif suspend la décision. Et accepte la proposition de Tapie : il demande que l'affaire soit examinée par un tribunal arbitral, composé de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Denis Bredin, avocat, et Pierre Estoup, magistrat, chargés de trouver une solution au litige.

11 juillet 2008

Ce tribunal arbitral rend sa décision : la banque a failli à ses obligations. Le Consortium de réalisation est condamné à verser 285 millions d'euros à Bernard Tapie, plus 45 millions au titre du préjudice moral car, sur une publicité autour du Crédit Lyonnais, son nom avait été inscrit sur une poubelle.

Le contribuable va payer !

Pour comprendre les enjeux de ce jugement, Laurent Mauduit, cofondateur du journal en ligne mediapart.fr, était ce matin en direct sur RMC. Il a publié trois enquêtes ces derniers jours sur « l'affaire Tapie » et a pu donner les clés de cette décision du tribunal arbitral : « C'est le nœud de l'affaire : il y a parfois des tribunaux arbitraux dans la vie des affaires, et les deux parties acceptent un compromis arbitral. Or, l'Etat, ordinairement, ne fait jamais ça pour une raison qui est assez simple à comprendre, c'est qu'il en va de l'argent public. Si l'Etat est condamné, c'est le contribuable qui paye. En la matière, l'Etat n'avait aucune raison de faire une exception à sa ligne de conduite car, le 9 octobre 2006, au terme de 13 ans de bataille judiciaire, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a donné raison à l'Etat et tort à Bernard Tapie. »

Un scandale d'Etat
« Donc il s'agissait d'attendre le renvoi devant une nouvelle cour d'appel, car l'Etat était quasiment sûr de gagner. Le scandale d'Etat, il est là : l'Etat renonce à la procédure ordinaire pour une justice arbitrale qui va renverser le jugement. Ce tribunal arbitral a été mis en place en octobre 2007. Or, pour accepter cette mise en place, il y a eu un débat au sein du CDR, qui est adossé à un organisme public. Il y a deux parlementaires qui siègent et trois hauts fonctionnaires. Les trois hauts fonctionnaires sont venus avec une instruction de la ministre des Finances et ont voté pour l'arrêt de la procédure ordinaire. »

« Ces ordres viennent de l'Elysée, car, dans une affaire de ce type, il va de soi qu'il n'y a pas de décision sans l'accord du chef de l'Etat. Il y a plusieurs petits cailloux dans cette affaire : la prise de position de Bernard Tapie, ancien ministre de gauche, en faveur de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle, et toute une série de proximités entre les familles Tapie et Sarkozy. Jean Sarkozy avait préparé une pièce de théâtre avec Sophie Tapie, la fille de Bernard Tapie. Et Stéphane Tapie, fils de Bernard Tapie, est hébergé dans un appartement de la Caisse des Dépôts dont on sait qu'il ne paye plus le loyer depuis plus de un an. Il y a une sorte de protection. »
Tapie bientôt candidat...

« L'intérêt de Nicolas Sarkozy était de montrer un autre transfuge de gauche et l'on subodore qu'il y aurait une candidature Tapie à la prochaine élection européenne, fédérant des radicaux de gauche et de droite en soutien à la majorité présidentielle ».

Tapie : « Bayrou, c'est du Le Pen propre »

Dans le monde politique, la décision du tribunal arbitral a rapidement suscité de vives réactions : le PS a dénoncé une « affaire grave », évoquant « potentiellement une affaire d'Etat ». De son côté, François Bayrou a évoqué les « protections au plus haut niveau » dont aurait bénéficié Bernard Tapie. Celui-ci s'est défendu dans une interview au journal Le Monde, dans laquelle il estime avoir « rapporté beaucoup plus » que « coûté » au contribuable. Il s'est justifié en affirmant que « chacun aura la confirmation qu'il me restera moins de 20% de ce que la banque a gagné sur cette affaire » et vivement attaqué François Bayrou : « Bayrou, la seule chose qu'il sait faire, c'est répéter qu'il est un martyr, que les médias et les puissances d'argent ne l'aiment pas (...) C'est la même posture populiste que Le Pen, sans les idées. Du Le Pen propre ».

Bayrou blâme « le sommet de l'Etat »

Ce matin sur RMC, le président du Modem a vivement réagi à ces propos : « Le mot de « propre » dans la bouche de Bernard Tapie sonne comme quelque chose qui l'étonne. Moi, je ne polémique pas avec Tapie, ce n'est pas Tapie qui m'intéresse. Des Tapie il y en aura toujours, des gens qui vont emprunter de l'argent aux banques et qui ne le remboursent pas, qui font fortune en essayant de ne pas respecter les règles du fisc, d'escroquer l'Etat, qui sont condamnés pour cela à 10 reprises. Mais d'habitude ces gens trouvent l'Etat en face d'eux comme gendarme, et ils ne trouvent pas l'Etat comme complice. Ils ne trouvent pas l'Etat pour les aider à s'enrichir. Il y a eu une décision au gouvernement, et je n'imagine pas qu'elle ait été prise sans que l'information soit donnée au plus niveau de l'Etat. Au sommet de l'Etat, on a décidé de protéger Bernard Tapie, comme ça se fait depuis toujours ».

La rédaction-Bourdin & Co