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Police-Justice

Jérôme kerviel met en cause les contrôles de la société générale

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par Thierry Lévêque et Matthieu Protard

PARIS (Reuters) - Jérôme Kerviel, ex-trader de la Société générale tenu pour responsable d'une perte record de 4,9 milliards d'euros en 2008, a mis en cause mercredi les contrôles de son employeur et assuré qu'il avait agi dans le but de "faire de l'argent pour la banque".

Au deuxième jour de son procès, il a confirmé avoir pris des positions à risque vertigineuses de 2005 à 2008 sur des indices boursiers européens, ayant atteint plus de 49 milliards d'euros.

Prié de dire s'il pensait que c'était dans la limite des règles fixées, il a répondu : "Probablement pas. Mon objectif était de faire de l'argent pour la banque".

Le jeune homme a expliqué que la limite globale quotidienne de 125 millions d'euros d'engagement fixée aux huit traders de l'unité où il travaillait n'était que théorique.

"Dans la mesure où elle était tout le temps dépassée, la limite était poreuse et on ne nous a jamais embêté", a-t-il dit.

Ce point est le coeur de la défense du jeune trader, qui prétend que l'univers de sa banque était hypocrite.

Des documents internes de la Société générale lus à l'audience montrent en effet que les limites étaient dépassées, mais de quelques millions.

Jérôme Kerviel reconnaît avoir saisi des opérations fictives pour dissimuler ses agissements, mais assure parallèlement que sa hiérarchie fermait les yeux, des déclarations que l'accusation voit comme contradictoires.

Le président du tribunal lui a lu des documents contractuels de la banque qui lui prescrivaient d'"être de bonne foi", de "ne pas chercher à gagner de l'argent en faisant décaler le marché", d'"éviter l'envoi d'ordres incohérents" et de respecter les limites fixées.

"A aucun moment entre 2005 et 2008, un manager n'est venu dire à un trader qu'il y avait trop d'engagements", a dit Jérôme Kerviel. "Ou alors c'était purement informatif".

Prié par son avocat Me Olivier Metzner de dire si ses supérieurs de l'époque l'interrogeaient sur ses dépassements de limites, l'ancien trader a plus tard répondu: "Jamais".

Il a également rejeté un argument du procureur selon lequel il était le seul à dépasser les limites au sein de la banque.

"C'est complètement faux. Je ne peux pas voir laisser dire ça", a répliqué Jérôme Kerviel. "70% du temps, les limites étaient dépassées".

"RISQUE CRIMINEL"

Cité comme témoin par la Société générale, Jean-Pierre Mustier, responsable de la banque de financement et d'investissement de la Socgen au moment de la découverte des positions présumées frauduleuses, s'en est violemment pris à Jérôme Kerviel à l'audience.

"Vous m'avez menti. Vous m'avez menti tout le temps", a déclaré Jean-Pierre Mustier en se tournant vers l'ancien trader qu'il a qualifié d'"autiste" en parlant de son comportement en janvier 2008. "Aux Etats-Unis, on parlerait de risque criminel."

"Jérôme Kerviel, ce n'est pas le Robin des Bois. C'est le trader qui a perdu le plus d'argent au monde. Il mourra en étant le trader qui a perdu le plus d'argent", a ajouté celui qui s'est présenté comme étant actuellement "sans profession".

Devant le tribunal, il a écarté l'argument de la défense selon laquelle Jérôme Kerviel agissait au vu et au su de ses supérieurs hiérarchiques et de la banque.

"On ne prend pas de telles positions pour qui que ce soit. 50 milliards d'euros, c'est quelque chose d'inouï, d'énorme, d'inhumain", a dit Jean-Pierre Mustier. "On ne peut pas laisser dire que le management savait."

Jean-Pierre Mustier a démissionné de la Socgen en août 2009 après avoir été soupçonné par l'Autorité des marchés financiers de délit d'initié.

Il a assuré devant le tribunal que la commission des sanctions de l'AMF allait jeudi le mettre hors de cause dans le cadre des soupçons de délit d'initié.

"Je suis d'une éthique irréprochable", a-t-il affirmé lors de l'audience.

"ÊTRE LOYAL"

Un autre témoin cité par la Société générale, l'ancien président de la Commission des opérations de bourse Jean-François Lepetit, a expliqué qu'il arrivait dans le monde de la finance que les traders dépassent les limites théoriques d'engagement.

Il était également d'usage qu'ils le signalent à leur hiérarchie, a-t-il précisé. "On mesure ce qu'est un bon ou un mauvais trader à la capacité d'être loyal par rapport à ses positions", a-t-il dit.

Poursuivi pour "faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique", Jérôme Kerviel, âgé de 33 ans, encourt jusqu'à cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.

La Société générale lui impute la responsabilité exclusive de l'affaire et entend demander une "sanction exemplaire".

L'ex-trader reconnaît des fautes mais incrimine sa hiérarchie, qui ne pouvait pas ne pas savoir selon lui.

Les juges d'instruction fondent essentiellement les charges sur les propres déclarations du trader, qui a reconnu que la limite d'engagement de son unité était à 125 millions d'euros.

Les juges soulignent aussi qu'il a admis avoir entré des transactions fictives dans l'informatique de la banque pour dissimuler ses opérations risquées et avoir fabriqué de faux courriels pour appuyer les explications mensongères répondant aux demandes d'explication.

Edité par Cyril Altmeyer