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Police-Justice

"Je l'entends gémir": quand les médiums du web interfèrent avec l'enquête sur la disparition d'Émile

Les voyants et médiums alimentent les réseaux sociaux de pseudo-divinations, prétendant savoir où se trouve le jeune garçon disparu. Une plaie pour les enquêteurs.

"Mimi? Mimi? Je l'entends! Là, il a gémi!" Dimanche soir, un live plutôt singulier s'est déroulé sur TikTok. Devant des centaines de personnes, un groupe de proclamés "médiums" a mené en direct une exploration à la recherche du jeune disparu Émile. Alors qu'une personne s'était physiquement rendue dans les Alpes-de-Haute-Provence, les autres lui indiquaient à distance la voie à suivre.

Tout au long de la vidéo, les participantes ont le ton assuré. Elles assurent pouvoir sentir sa présence, savoir qu'il a soif ou qu'il s'est endormi. Tour à tour, les personnes assurent sentir ce qu'il se passe, jusqu'à en avoir "mal". Ces certitudes sont si profondément ancrées que la voyante présente sur place a même alpagué un militaire - pour rien.

"On n'a rien trouvé du tout", admet-elle, dépitée.

Cette vidéo, visionnée en direct par plusieurs centaines de personnes, a laissé pantoise une partie du public. Les messages de doute n'étaient pas majoritaires, mais ils dénotaient. L'autre partie de l'audience, conquise, offrait des "cadeaux" via la plateforme TikTok, des dons s'amoncelant à quelques dizaines d'euros. Ces personnes aux pouvoirs prétendument surnaturels ont donc pu monétiser leurs visions.

Captures d'écran de Tiktok de mediums parlant d'Émile
Captures d'écran de Tiktok de mediums parlant d'Émile © BFMTV

Cartomancie et divagations

Il ne s'agit pas d'un cas isolé. En quelques clics, il est possible de trouver de nombreuses vidéos sur YouTube et TikTok ou des publications Facebook, avec comme point commun le sort du petit garçon. Un engouement qui grossit au fur et à mesure que l'affaire s'allonge et se complexifie.

C'est par exemple le cas d'une cartomancienne qui, tirage à l'appui, cherche à élucider le mystère. Elle évoque un "homme malveillant", âgé d'un "certain âge", quelqu'un qui "se fait passer pour quelqu'un de bien". Coup sur coup, elle dit voir un "avis d'enlèvement", une "rançon", un piège, un "conflit familial"... Au total, une demi-heure d'affirmations regardées par 30.000 personnes en seulement une journée.

Disparition d’Émile: comment les recherches s'organisent-elles?
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Autre exemple sur Facebook, une certaine Michèle - "médium écrivain spirit" - affirme que l'enfant sera retrouvé "demain", puis ajoute "le temps n'existe pas et demain peut aller jusqu'à trois jours". Selon elle, l'enfant est dans le coma.

"Je dévoilerai la suite de mes recherches (...) uniquement à la gendarmerie en charge", annonce-t-elle après un récit extrêmement détaillé.

"Une perte de temps"

Ces "médiums", voyants, marabouts, mages et autres gens doués de pouvoirs surnaturels sont historiquement la plaie des enquêteurs. Mais "avec internet, les gens ont une audience qu'ils n'avaient pas avant", déplore Jacques Dallest, ancien procureur et juge d'instruction. Or, il l'assure, ces témoignages "n'ont jamais rien donné".

Le magistrat a été confronté à ces individus à de nombreuses reprises, y compris dans l'affaire de la petite Maëlys, pour laquelle Nordahl Lelandais a été condamné. Il en est sûr, "si un jour cela marchait, ça serait par pur hasard".

Bien qu'il ne l'ait "jamais compris", ces témoignages sont pris en compte lors d'enquêtes, notamment par les gendarmes. Jean-Marc Bloch, ancien directeur de la police judiciaire de Versailles estime quant à lui qu'on ne peut rien laisser de côté. Pas que ces témoignages soient crédibles pour leur aspect surnaturel, mais "on ne sait jamais s'il ne s'agit pas d'un témoignage réel caché sous la couverture du paranormal".

"On se méfie d'eux comme de la peste"

Cette "collaboration" entre enquêteurs et médiums prétendus a cependant un effet pervers: il crédibilise ces experts autoproclamés.

"Ils peuvent s'en servir pour dire 'on travaille avec la police' et faire leur pub, alors qu'on se méfie d'eux comme de la peste!"

S'ils ne cachent pas leur ressentiment pour les magiciens de comptoir, les deux connaisseurs discernent deux types de profils. Ceux qui n'y croient pas et cherchent uniquement à tirer profit de la situation, et ceux qui croient sincèrement à leurs informations. Une étude de l'Ifop menée en 2020 a mis en évidence la diffusion de ces croyances en France. Ce sont 58% des Français qui croient en une discipline parascientifique comme l'astrologie ou la cartomancie.

Tom Kerkour