BFMTV
Police-Justice

"J'ai mis du temps à accepter que c'était réel": ces victimes présumées de Joël Le Scouarnec qui ne se souviennent pas

BFMTV
Depuis deux ans, les enquêteurs contactent les noms qui figurent dans les carnets noirs de Joël Le Scouarnec, ce chirurgien soupçonné de pédophilie. Certaines de ces victimes présumées n'ont pas de souvenirs des faits décrits par le chirurgien. Le début d'un long parcours pour elles, notamment judiciaire.

Guillaume* avait 14 ans quand il a croisé la route de Joël Le Scouarnec. L'adolescent a été opéré à l'hôpital de Quimperlé par ce chirurgien soupçonné aujourd'hui de centaines de cas de pédophilie.

"J'étais dynamique, joyeux, vraiment ouvert, pas forcément timide et je me suis renfermé sur moi-même petit à petit, refusant tout contact avec la famille, avec les amis", se souvient-il pour BFMTV.

A cette époque, son entourage met ça sur le compte de l'adolescence. En réalité, ce changement d'humeur est le début d'une torture.

En août 2018, Guillaume trouve une explication à cet état lorsqu'il est contacté par les gendarmes. Les militaires travaillent sur Joël Le Scouarnec. Ils vérifient le nom du jeune homme, son prénom, qu'il a bien été opéré par le chirurgien, puis ils convoquent en Bretagne Guillaume, qui est alors basé dans une autre région. C'est à ce moment-là que les enquêteurs lui apprennent l'existence des carnets noirs du médecin et lui dévoilent son contenu le concernant.

"A cette date-là, je n'ai aucun souvenir, pour moi il n'y avait rien eu, souffle le jeune homme. J'ai fait un travail de mémoire, je me rappelle de beaucoup de choses avant et après les actes, mais les actes en tant que tel, j'ai beaucoup de difficultés."

"J'ai mis énormément de temps à accepter"

Guillaume fait partie de ces victimes qui ont occulté leur agression. Consciemment, il n'a pas de souvenirs de ce que lui aurait fait subir Joël Le Scouarnec, aujourd'hui soupçonné de 349 cas d'agressions sexuelles et de viols.

"Aujourd'hui je sais que je suis sorti de cette opération et que j'étais totalement différent, je suis sorti très triste, très énervé, se souvient-il. Je sais très bien qu'il s'est passé quelque chose parce que le soir même (de l'opération, NDLR) j'ai eu un choc physique qui était anormal. Plusieurs personnes de ma famille se sont interrogées sur comment j'ai pu avoir ce choc."
Depuis cette opération, Guillaume souffre. "C'est une adolescence qui a été assez négative, beaucoup de bas, poursuit le jeune homme de 26 ans. On a mis ça sur le compte de l'adolescence. C'était un regard sur soi, très négatif, beaucoup de complexes."

Si aujourd'hui, Guillaume peut donner une explication à son mal-être, les souvenirs ne lui reviennent pas pour autant.

"J'ai trouvé ça tellement gros au début que j'ai mis énormément de temps à accepter que c'était réel", détaille-t-il. J'ai eu un long moment où je me sentais très seul, parce que je me suis dis 'j'espère que ça ne s'est pas réalisé'. C'est tellement gros comme affaire, c'est tellement gros comme conséquences qu'on se dit pas que ça peut être réel."

Un problème pour appliquer la justice?

Joël Le Scouarnec sera jugé au mois de mars pour le viol et l'agression sexuelle d'une voisine, de deux de ses nièces et d'une patiente. L'enquête se poursuit toutefois dans le cadre du second volet de l'affaire portant notamment sur les carnets dans lesquels le chirurgien a consigné pendant près de 30 ans noms, prénoms, photos et descriptions de sévices sexuels. En décembre, la procureure de Lorient indiquait que 229 personnes avaient été entendues et 197 avaient porté plainte.

Parmi ces victimes, comme Guillaume, certaines n'ont pas de souvenirs des faits présumés. Des faits qu'il va être compliqué de corroborer avec des éléments techniques et matériels ce qui fait craindre une absence de reconnaissance pour certaines victimes.

"Ca sera forcément une difficulté car les faits sont assez anciens et en réalité, en matière de preuves, on n'a pas forcément grand chose à part ces carnets (....), rappelle Me Déborah Meier-Mimran, avocate de Guillaume. Le problème c'est que ça a ravivé ou non des souvenirs, il y en a qui se constitueront partie civile, d'autres qui ne feront pas cette démarche, ça reste problématique pour une bonne administration de la justice."

La cellule d'enquête composée poursuit ses investigations. Même sans le témoignage de certaines victimes, la justice peut s'appuyer sur les 300.000 fichiers pédopornographiques, les 650 fichiers vidéos mais aussi les écrits triés et classés retrouvés dans les supports informatiques appartenant à Joël Le Scouarnec.

"Une victime peut donner une appréciation au dossier mais il arrive qu’elle ne se souvienne pas et ce n’est pas indispensable", reconnaît une magistrate. Avant de conclure: "Dans toutes les affaires de meurtre, la victime n’est pas là et ça n’empêche pas de juger."

* Le prénom a été modifié.

Justine Chevalier