BFMTV
Police-Justice

Homophobie: quand les agresseurs piègent leurs victimes sur les sites de rencontre

Une manifestation à Rouen après une agression homophobe, le 3 novembre 2018.

Une manifestation à Rouen après une agression homophobe, le 3 novembre 2018. - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

En mars dernier, Kevin a été la cible d’un coup monté. Se rendant à un rendez-vous fixé via un site de rencontre, il s’est finalement retrouvé pris au piège, frappé puis poignardé. Un cas qui n’est pas isolé, s’inquiètent les associations de lutte contre l’homophobie.

"Si j’étais arrivé 15 minutes plus tard à l'hôpital, je serais mort". Kevin a été violemment agressé en mars dernier à Drancy, en Seine-Saint-Denis, lors de ce qu’il pensait être son premier rendez-vous avec un homme rencontré sur un site de rencontre. L’alarme de sa voiture l’a sauvé de peu, avertissant le voisinage et poussant ses agresseurs à la fuite. Ces derniers ont depuis été arrêtés et seront bientôt jugés pour "tentative de meurtre avec préméditation en raison de l’orientation sexuelle, vol avec arme et association de malfaiteurs".

Ce guet-apens monté depuis les réseaux sociaux est loin d’être un cas isolé d’après l’association STOP Homophobie, qui observe une inquiétante progression du phénomène depuis 2018.

Rien de louche

Le scénario est presque toujours le même. La prise de contact se fait sur une application ou un site de rencontre: Grindr, Hornet ou Coco pour la communauté gay, mais également ceux s’adressant aux hétéros. Pour Kevin, 32 ans, il n’était pas question "d’une histoire de cul", tient-il à nous préciser d’emblée. Ce dernier discute pendant trois jours "non-stop" avec son interlocuteur qui se confie notamment sur ses aspirations professionnelles et son rêve d’ouvrir un restaurant.

"Tout était fait pour que je ne trouve rien de louche", constate-t-il avec du recul.

Le soir du 4 au 5 mars, celui qui prétendait travailler dans la restauration lui propose de le rejoindre après son service du soir à son appartement, à Drancy. "A cause de ses origines", ce dernier lui demande de se faire discret s’il croise un voisin. Kevin n’en aura pas l’occasion. À 00h52, il est pris à partie par trois individus à la sortie de son véhicule:

"Ils m’attrapent, je reçois un premier coup à la tête. L’un d’eux me montre un couteau. Je tente de m’enfuir mais un autre me fait un croche-pied. A partir de là, je suis roué de coups. Je me protège le visage mais reçois une violente charge dans les oreilles qui assourdit tout".

30% des agressions homophobes en Ile-de-France

L’agression n’a duré que quelques dizaines de secondes. L’alarme de la voiture déclenchée durant l’attaque a réveillé des voisins, faisant fuir ses agresseurs qui ont au préalable pris le soin d’écraser son portable et de lui voler ses clés de voiture. Kevin tente alors de se relever. "Je vois tout blanc, puis m’évanouis sur le capot", se souvient-il auprès de BFMTV.com.

Secouru par une habitante, il est rapidement transporté à l’hôpital puis transféré au bloc opératoire. Au réveil, les médecins lui expliquent qu’il a le poumon gauche perforé d’une entaille de dix centimètres de profondeur. Il s’en est sorti de justesse.

1200 agressions physiques à l’encontre de personnes homosexuelles ont été recensées en France en 2018 par STOP Homophobie. Parmi elles, près de 700 ont eu lieu en Ile-de-France et 30% de ces dernières étaient des guet-apens depuis les réseaux sociaux. Des statistiques peu représentatives de la réalité, déplore Terrence Katchadourian, président de l’association:

"Sur les réseaux sociaux, les agresseurs privilégient des personnes dont ils savent qu’ils n’iront pas porter plainte après. Parce qu’elles sont mariées ou que leur homosexualité n’est pas connue."

Adresse IP et bornage du portable

Kevin, lui, n’a eu "aucun tabou" à tout raconter aux enquêteurs de la police judiciaire de Drancy, qui sont passés le voir "régulièrement" durant son hospitalisation. La caméra embarquée de son véhicule a mis très vite les policiers sur la piste de ses agresseurs: "Dans mon malheur, j’ai eu une chance énorme", ironise-t-il, amer. L’argent en liquide de son portefeuille et la voiture n’ayant pas été volés, l’agression homophobe ne fait aucun doute.

Maître Étienne Deshoulières, qui a défendu plusieurs victimes de guet-apens, précise à BFMTV.com que les enquêtes sont facilitées par "l’identification de l’adresse IP et le bornage du téléphone portable", qui permettent de localiser rapidement les individus derrière les faux profils. Il note aussi que policiers et gendarmes "ont une meilleure compréhension du phénomène".

Dans le cas de Kevin, trois jeunes ont été interpellés 10 jours après l'agression, puis mis en examen et placés sous mandat de dépôt. La date du procès n’est pas encore connue. La Chancellerie nous indique que, d’après des données provisoires, 31 condamnations pour "atteintes aux personnes aggravées en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre" ont été prononcées en 2017 mais qu’il n’est pas possible de savoir, parmi elles, combien ont été commises "avec préméditation ou guet-apens."

Un nombre de condamnations bien éloigné de celui des plaintes recensées par STOP Homophobie. "De nombreuses affaires n’aboutissent pas", avance Terrence Katchadourian.

Coming-out à la barre

Qu’est-ce qui pousse des individus à un tel acte? Maître Etienne Deshoulières indique que deux profils reviennent régulièrement: le multirécidiviste et l’homosexuel refoulé. "L’année dernière, j’ai assisté à deux coming-out à la barre", se souvient d’ailleurs l’avocat, avant d’expliquer que l’auteur revient parfois agresser la personne avec qui il a eu une expérience après une rencontre sur Internet.

De son côté, le président de STOP Homophobie souligne que "souvent les agresseurs sont mineurs mais qu’il existe aussi un meneur, qui lui est majeur". Les trois individus mis en examen pour l’agression présumée de Kevin ont effectivement 15, 17 et 18 ans.

Terrence Katchadourian ajoute qu’ils sont fréquemment sous l’emprise d’alcool ou de drogue. La violence est alors encouragée et les auteurs n’hésitent pas à se vanter de l’agression en amont sur les réseaux sociaux, puis à se filmer en direct pendant l’attaque via des applications comme Periscope. "Ils s’amusent à faire monter le buzz auprès de spectateurs qui les encouragent", regrette-t-il.

Un guide de sécurité "juste au cas où"

Face à ces faux profils, le législateur français entend, avec la loi Avia, apporter une réponse en obligeant les plateformes à supprimer tous les contenus violents en 24 heures. En attendant, les bénévoles de STOP Homophobie multiplient les messages de prévention sur les applications de rencontre concernant les profils suspects.

Les applications ont bien conscience du problème et tentent de rassurer leurs membres. L’une des plus populaires d’entre-elles, Grindr, assure à BFMTV.com que "la sécurité de ses utilisateurs" lui "tient à cœur" et que ses services "bannissent les comptes qui violent les lignes directrices de la communauté".

Elle a également rédigé un guide de sécurité à l’intention de ses utilisateurs dans lequel il est recommandé de "ne rencontrer que des amis d’amis", de se "rencontrer d’abord sur Skype ou dans un endroit sûr" ou "d’informer un ami de votre lieu de rencontre, juste au cas où."

Des recommandations que suivra Kevin, lorsqu’il aura de nouveau envie de faire des rencontres. Pour l’instant, il est davantage occupé à "remettre sa vie en ordre". Travaillant dans le secteur dentaire, il a perdu de nombreux clients après son hospitalisation. Des difficultés financières qui l’ont obligé à rendre la maison dont il était locataire. Il vient également d’entamer un suivi psychologique: "Ça m’a atteint beaucoup plus que ce que je ne pensais", reconnaît-il, avant d’ajouter: "Si ça m’est arrivé à moi, ça peut arriver à n’importe qui".

quand les réseaux sociaux dopent la délinquance

De Facebook à Grindr, les réseaux sociaux sont devenus le terrain de jeu d’une nouvelle délinquance qui n’a, elle, rien de virtuelle. Dérive marginale ou phénomène répandu? BFMTV.com présente en cinq épisodes différents visages de cette criminalité numérique. Voici le troisième épisode.

1 - 2 - 4 - 5

Esther Paolini et Ambre Lepoivre