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Police-Justice

Face à l'argument d'une justice plus rapide, avocats et magistrats sont opposés aux tribunaux criminels

Les cours d'assises jugent les crimes dit "les plus graves".

Les cours d'assises jugent les crimes dit "les plus graves". - AFP

La ministre de la Justice a annoncé la création de tribunaux criminels, professionnels, pour juger les crimes passibles d'une peine allant jusqu'à 20 ans de prison. Une idée loin de plaire aux avocats et à certains magistrats qui y voient une justice low-cost.

Nicole Belloubet a repris sa place en terme de justice. Alors qu'Emmanuel Macron s'est chargé lui-même de dévoiler la refondation pénale voulue par le gouvernement ou que Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat à l'Egalité femme-homme, s'occupe de défendre l'idée de pénaliser le harcèlement de rue, la ministre de la Justice a dévoilé vendredi les grands axes de la réforme pénale avec une annonce surprise: la création de tribunaux criminels départementaux qui se substitueront aux cours d'assises pour les crimes d'une peine allant jusqu'à 20 ans de prison. Ils seront composés uniquement de magistrats professionnels. Une loi de programmation devrait être présentée en conseil des ministres le 11 avril.

"Cette alternative (la création de tribunaux criminels, NDLR) nous la proposons pour le justiciable, a promis la garde des Sceaux ce dimanche sur BFMTV. Ce que nous remarquons, c’est que la cour d’assises, en raison de ses qualités, de ses caractéristiques, est un lieu de justice qui prend énormément de temps."

"Abattage"

"Le temps, c'est un luxe indispensable", réagit Christian Saint-Palais, qui dit avoir découvert cette annonce "surprise" lors de la présentation faite par la ministre. Comme de nombreux autres pénalistes interrogés sur l'idée de la Chancellerie, le président de l'Association des avocats pénalistes est contre les tribunaux criminels départementaux et y voit un grand bouleversement des principes fondamentaux - et nécessaires - de la justice pénale. Aujourd'hui, les cours d'assises interviennent pour juger des auteurs de crimes, les infractions les plus graves comme les meurtres, assassinats, viol, enlèvement ou vol à main armée. Composée d'un président et de deux assesseurs, la cour s'appuie également sur six jurés populaires, tirés au hasard sur les listes électorales. Neuf lors des procès en appel.

"Les cours d'assises permettent de rendre une justice pour le peuple mais surtout par le peuple", rappelle Me Christian Saint-Palais. Lorsque l'on voit l'application avec laquelle les jurés écoutent les témoins, les experts, et suivent les débats, cela donne à la justice une image de qualité. Ce nouveau regard nous oblige tous à faire des efforts."

L'introduction de citoyen pour juger dans les tribunaux repose sur une procédure orale - les jurés n'ont pas accès au dossier - où les faits sont réexpliqués, revus, réexaminés. Ils jugent enfin sur leur "intime conviction" comme le prévoit l’article 353 du code de procédure pénale. "L'introduction de tribunaux composés de magistrats professionnels pourra réduire le temps d'examen des affaires", critique Katia Dubreuil, du Syndicat de la Magistrature. Là où un procès pour viol peut durer quelques jours devant une cour d'assises, il pourrait prendre que quelques heures devant un tribunal criminel. "On va pouvoir faire de l'abattage", craint-elle, estimant que cette réforme pourrait jouer sur la qualité de la justice rendue.

"En créant des tribunaux criminels, on crée des catégories de sous-crime, surenchérit Christine Féral-Schuhl, la présidente du Conseil national des barreaux. Nous assistons à une démarche ironique. Quelques années après fait juger les viols en cours d'assises, on est en train de détricoter des années de lutte." Si la présidente comprend le but de cette proposition faite sans aucune concertation, elle refuse qu'on touche à un principe fondamental, constitutionnel et craint que l'on touche aux droits de toutes les parties.

Manque de moyens

L'objectif affiché du gouvernement est clair: réduire le délai pour juger les crimes passibles d'une peine allant jusqu'à 20 ans de prison alors que les cours d'assises sont embouteillées et que les délais de procès atteignent un an pour les détenus, voire deux pour les personnes libres. "Réduire le temps d'écoute ne va pas résoudre le problème, tranche Christine Féral-Schuhl. Comment faire l'économie de l'instruction du dossier? Si les délais sont longs c'est aussi que la justice a besoin de magistrats, de secrétaires, de greffiers, de moyens informatiques, de moyens tout court."

En 2016, la France compte deux fois moins de juges par habitant que la moyenne européenne. La tendance serait même à la baisse alors qu'il y a moins de magistrats aujourd'hui qu'en 2009. Côté policier, on plaide pour une simplification de la procédure pénale. "Le policier ne sera pas en mesure de dire si un acte doit être jugé en cour d'assises ou dans un tribunal criminel, reconnaît Philippe Capon, du syndicat UNSA. Assouplir la procédure, l'harmoniser au niveau national, travailler dans le modernisme ou rétablir le système de confiance entre les chaînes permettraient d'agir sur la fin de la boucle, les policiers."

Eviter la correctionnalisation

Selon les calculs de la chancellerie, 54 % des affaires aujourd’hui jugées aux assises seraient traitées par le tribunal criminel, rapporte Le Monde. Une manière de lutter aussi contre la correctionnalisation des faits, c'est-à-dire faire juger des crimes passibles de la cour d'assises par un tribunal correctionnel afin d'accélérer les délais de jugement. "Beaucoup d'affaires de viol sont correctionnalisées car les audiences peuvent être très pénibles pour les victimes qui doivent, devant un cour d'assises, livrer des détails qui touchent à l'intime", estime Jacky Coulon, de l'Union syndicale des magistrats (USM), seule organisation à soutenir le projet. 

"Cela permettrait alors de respecter une égalité entre tous les citoyens", poursuit-il.

Dans les tribunaux criminels, seuls des magistrats professionnels, qui connaîtront les dossiers, jugeront. Quid des magistrats? "C'est l'une des difficultés du projet", reconnait Jacky Coulon, qui reconnait qu'il faudra embaucher. Parmi les cinq magistrats qui devraient siéger dans les tribunaux criminels pourraient être des magistrats honoraires ou des magistrats à titre temporaire. Si la loi est votée, l'expérimentation de cette nouvelle juridiction sera réalisée dans deux départements à partir de 2019 probablement. Avant cela, organisation de magistrats ou association d'avocats consultent le texte de loi. Certains ont rendez-vous avec la ministre de la Justice cette semaine.

Justine Chevalier