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Enseignante tuée à Saint-Jean-de-Luz: comment l'abolition du discernement est-elle déterminée?

Une clinique psychiatrique en France, en avril 2021

Une clinique psychiatrique en France, en avril 2021 - JEFF PACHOUD © 2019 AFP

Le principal suspect dans l'assassinat de la professeure d'espagnol a déclaré avoir entendu une voix l'enjoignant à passer à l'acte. Il a, à ce stade, été déclaré "accessible à une responsabilité pénale". Mais d'autres expertises psychiatriques devraient intervenir au cours de l'enquête, avec de possibles changements dans les conclusions sur son état de santé mentale.

Le lycéen soupçonné d'avoir poignardé sa professeure d'espagnol à Saint-Jean-de-Luz est-il responsable de ses actes? La question de son état de conscience au moment des faits qui lui sont reprochés se pose dans la mesure où, durant sa garde à vue, il a évoqué "une petite voix qui lui parle".

"Un être qu'il décrit comme égoïste, manipulateur, égocentrique, qui l'incite à faire le mal et qui lui aurait suggéré de commettre un assassinat", a résumé le procureur de la République de Bayonne, Jérôme Bourrier.

L'adolescent de 16 ans a donc été soumis à un examen psychiatrique au cours de sa garde à vue, révélant chez lui "des traits de personnalité anxieuse, une forme d'anxiété réactionnelle pouvant perturber son discernement", a détaillé le magistrat. Cependant, l'expert psychiatre n'a, à ce stade, détecté "aucune maladie mentale de type schizophrénie, état maniaque, mélancolie ou retard mental, ni aucune décompensation psychiatrique aigüe".

Le suspect apparaît donc "accessible à une responsabilité pénale sous réserve des expertises qui devront être ordonnées" par la suite, a souligné le procureur. Car la position des experts sur l'état de santé mentale de l'adolescent est susceptible d'évoluer au cours de l'enquête, ouverte sous le chef d'assassinat.

Des psychiatres pourraient, en effet, estimer que son discernement était altéré ou aboli lors de son passage à l'acte. Dans le premier cas, le mis en cause est accessible à une sanction pénale, dans le second, il est considéré comme "irresponsable".

Déceler la maladie mentale

Afin de faire le distinguo entre l'altération et l'abolition du discernement, les experts psychiatres doivent se poser plusieurs questions. Roland Coutanceau, psychiatre et expert judiciaire auprès des tribunaux, nous les détaillait dans un article précédent:

"D'abord, le sujet est-il atteint d'une maladie mentale telle que la schizophrénie, la psychose paranoïaque ou le délire chronique qui mettent les gens en dehors de la réalité?"

"Ensuite, si une maladie mentale est décelée, on se demande si au moment des faits, cette pathologie était en poussée aigüe, c'est-à-dire: le patient était-il en proie à une bouffée délirante? Enfin, on se demande si ces éléments délirants ont sous-tendu le passage à l'acte. Ce serait l'exemple d'une personne qui a l'impression que son voisin est possédé par le diable, il ne le voit plus comme un être humain. Dans son délire, il veut s'attaquer au diable", poursuit-il.

Ainsi, pour prononcer l'abolition du discernement, et donc l'irresponsabilité pénale, il faut que "des éléments délirants aient sous-tendu le passage à l'acte du sujet. La personne doit avoir agi sous emprise, ce qui ne lui permettait pas de comprendre la portée de ce qu'il faisait", complète auprès de BFMTV.com l'ancien expert psychiatre, Gérard Rossinelli.

L'abolition du discernement, un "cas rare"

Reste que, "la plupart des gens violents ne sont pas des malades mentaux", souligne Roland Coutanceau.

"Ils peuvent avoir des troubles de la personnalité mais cela n'abolit pas leur discernement. Les cas qui en relèvent sont très rares", explique-t-il.

Un avis partagé par le Dr Rossinelli qui constate que l'irresponsabilité pénale liée à l'abolition du discernement est "de moins en moins prononcée".

Les experts psychiatres qui seront amenés à analyser l'adolescent suspecté d'avoir tué sa professeure devront donc se poser, à leur tour, les questions évoquées ci-dessus. Ses déclarations, ainsi que son histoire, son parcours, viendront nourrir leurs expertises.

Selon les premiers éléments, le lycéen était déjà "suivi par un médecin psychiatre" et avait fait, en octobre, "une tentative de suicide médicamenteuse". "Il faisait depuis l'objet d'une prescription d’antidépresseurs", a indiqué le procureur de la République. Le suspect a par ailleurs admis ressentir "une forme d'animosité à l'égard de sa professeure d'espagnol", seule matière où ses résultats n'étaient pas bons.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV