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Police-Justice

"En six mois, sa vie a complètement changé": le parcours du rappeur MHD décortiqué aux assises

Ce mercredi, la troisième journée du procès du rappeur MHD et 8 coaccusés pour un meurtre dans un règlement de comptes avec une bande rivale était consacré à l’enquête de personnalité de l’artiste.

Ce n’est pas la première fois que la vie de MHD est passée au crible. Mais cette fois-ci, c’est une cour d’assises qui l’a décortiquée. Ce mercredi, le troisième jour du procès du rappeur et huit coaccusés pour un meurtre dans un règlement de comptes avec une bande rivale était consacré à l’enquête de personnalité de l’artiste, de son vrai nom, Mohammed Sylla.

Depuis lundi, neuf hommes – dont un en fuite – sont jugés pour le meurtre en 2018 de Loïc K., victime collatérale de rivalités entre bandes de la cité de la Grange-aux-Belles (10e arrondissement de Paris) et de celle des Chaufourniers, surnommée la "cité rouge (19e). Le jeune homme de 23 ans a été percuté volontairement par une Mercedes -identifiée comme appartenant au rappeur - puis frappé à mort dans le 10e arrondissement, dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018.

Dans cette affaire, plusieurs témoins ont mis en cause l'artiste, originaire des Chaufourniers, affirmant qu'il figurait parmi les individus ayant lynché à mort la victime. Les enquêteurs ont par ailleurs établi que la Mercedes ayant percuté volontairement Loïc K. lui appartenait. Depuis le début, MHD conteste les faits, assurant notamment qu'il prêtait régulièrement sa voiture à son entourage.

Un parcours "lisse"

À la reprise de l'audience, ce mercredi après-midi, c'est une enquêtrice de personnalité qui s'est avancée en première à la barre de la salle Voltaire, pleine à craquer. Pendant près d'une heure, sous une chaleur étouffante, malgré les quelques fenêtres ouvertes et les quatre ventilateurs, elle a détaillé le parcours de vie du rappeur, qu'elle a rencontré en 2019 à la prison de la Santé à Paris. Si le jeune homme s'est montré "coopérant", il a fait preuve d'une "certaine pudeur" sur sa vie sentimentale, selon elle.

Né à la Roche-sur-Yon, en Vendée, MHD est arrivé à Paris à trois ans, avec ses parents, ses deux frères et ses deux sœurs. La famille est "unie, soudée et joyeuse", explique-t-elle. À l'adolescence, Mohammed Sylla est "calme", "timide", "casanier", il préfère les "jeux vidéo" aux sorties". À l'école, il est "plutôt sérieux", son cursus est "classique" et ses "résultats corrects". Le collégien ne va pas jusqu'au bout de sa scolarité et se lance dans un BEP cuisine, dont il sera diplômé en 2012. Pendant trois ans, il travaille "pour diverses enseignes de restauration rapide".

Mais le jeune homme a "toujours eu un intérêt pour la musique". "Dès 2010, il commence à écrire des textes mais reste discret de peur de décevoir ses parents", raconte-t-elle encore. En 2015, c'est une simple vidéo postée sur les réseaux sociaux, vues plusieurs millions de fois, qui lance sa carrière. Âgé d'à peine vingt ans à l'époque, le jeune homme signe chez la célèbre maison de disques Warner et sort, en 2016, son premier album, "un succès international". À partir de ce moment-là, il devient l'inventeur auto-proclamé de l'"Afrotrap", mélange de rap et de musiques africaines. "Ça change son quotidien, mais il reste quelqu’un de simple", poursuit l'enquêtrice.

"Mohammed Sylla présente un parcours lisse, sans événement particulier, hormis sa carrière artistique", donne-t-elle en conclusion.

"Est-ce qu’il essaye de se donner une bonne image ou, à l'inverse, de cacher quelque chose?", demande alors la présidente. "Ce que je veux dire, c'est qu'il n’y a pas d’éléments notables dans son parcours, pas de drame dans sa vie, une scolarité classique", répond alors l’enquêtrice de personnalité.

"En six mois, sa vie a complètement changé"

Quelques minutes plus tard, c'est au tour de son producteur, Adel Kaddar, de prendre place à la barre. L'homme de 41 ans, polo beige, pantalon noir et petites lunettes rondes, explique qu'il découvre le jeune prodige en 2015, avec cette fameuse vidéo. Directeur artistique chez Warner, il prend contact avec lui. Car avec son style, le fameux "Afrotrap", MHD propose "quelque chose de très nouveau, de très original, qui ne ressemblait à rien d’autre", raconte le producteur.

"En six mois, sa vie a complètement changé, il est passé de livreur de pizzas à star internationale. Mais il a géré ça de manière très intelligente", poursuit Adel Kaddar.

Mais entre la promotion, la tournée et les collaborations, le rythme est effréné. À tel point qu'en 2018, ils ont "dû passer seulement 30 ou 40 jours à Paris", décrit-il. Le 15 janvier 2019, tout est stoppé net. MHD est interpellé et placé en garde à vue. "Le jour où il a été arrêté, on était tous ensemble en train de préparer un concert à Amsterdam. On ne savait pas s’il allait ressortir ou pas", raconte le producteur. Il faut alors tout mettre en pause.

Pendant sa détention, l'homme, qui se dit "proche" de lui, va le voir à plusieurs reprises, fait le lien avec sa famille. À sa sortie, il lui propose même de l'héberger dans sa résidence secondaire de Montpellier. Si depuis, le rappeur a sorti son troisième album, Mansa, et plusieurs titres cet été, il est n'est "plus invité" dans les festivals en France.

"On a eu beaucoup de propositions de l'étranger, mais nos demandes de sortie du territoire ont été refusées avec son contrôle judiciaire. En France, rien, il est considéré comme coupable", regrette le producteur.

L'homme l'a d'ailleurs côtoyé entre les faits et son interpellation. "Vous souvenez-vous d’un détail?", demande l'avocate de MHD, Me Elise Arfi. "Il est venu me voir en me disant qu'il y avait eu un problème avec sa voiture, qu'elle avait été retrouvée calcinée dans le 19e arrondissement", raconte-t-il, ajoutant lui avoir dit de se manifester lui-même auprès des autorités.

"Il prêtait énormément sa voiture, c’était un sujet de discorde entre nous. Ça m'inquiétait car ses potes n'étaient pas assurés. Je lui faisais la morale dessus, mais je ne suis pas son père", poursuit Adel Kaddar.

"Je me suis senti très seul et isolé"

Il a fallu attendre 18 heures passées pour voir le rappeur de 28 ans, jean, polo et baskets noires, s'avancer à la barre. La présidente tente de comprendre les liens qui unissent le rappeur et ses coaccusés. "C’est l’année de mon succès qu’on s’est rapprochés", explique-t-il, notamment car ses copains de quartier, qu'ils considèrent aujourd'hui comme ses "amis", ont participé à ses clips, "sans demander de rémunération".

Mais pourquoi avoir déménagé à Neuilly-sur-Seine, loin de sa famille, dont il est si proche, et de ses amis, l'interroge la présidente? "Je voulais avoir mon indépendance", répond-t-il d'abord, avant d'ajouter : "Je voulais continuer ma vie de star à Neuilly-sur-Seine". Et pour la Mercedes, c'est à peu de chose près, la même chose:

"C’était pour le kiff, on est encore dans ce monde magique de star, je voulais une Mercedes, j’ai eu une Mercedes", poursuit le rappeur.

Quant à son incarcération, ça a été "un choc". Le rappeur, qui explique ne pas avoir eu le droit aux visites pendant plusieurs mois, s'est "senti très seul et isolé". À sa sortie, il s'interroge sur la suite de sa carrière: faut-il attendre "que le procès se termine pour reprendre la musique?". Mais un an plus tard, il sort un nouveau morceau.

"Médiatiquement, j'avais déjà pris un gros coup", avance-t-il.

À plusieurs reprises durant l'audience, l'une des deux avocates de la partie civile, Me Mathilde Robert, mentionne une vidéo publiée par le rappeur sur Snapchat, en septembre 2018, trois jours avant la sortie de son deuxième album. Il y explique vouloir mettre un terme à sa carrière. Ces déclarations, faites quelques semaines seulement après le meurtre de Loïc K, interroge l'avocate. Plus tôt dans la journée, son producteur, Adel Kaddar, avait mentionné "un burn-out". "Ça arrive à tous les artistes", avait-il répondu.

"C’était une période où j’étais fatigué, j’en avais marre de ce train de vie là, d’être toujours au studio", justifie MHD, de nouveau interrogé sur cette vidéo.

"J’ai reçu des messages de motivations. J’ai quand même des contrats en cours, je travaille avec des personnes, même si j’étais fatigué, j’ai quand même des engagements à honorer", ajoute le rappeur, visiblement agacé.

Manon Aublanc