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Police-Justice

Corinne Lepage : "Total a déjà perdu une fois"

Corinne Lepage est l'avocate d'une dizaine de communes du littoral touchées par le désastre de l'Erika

Corinne Lepage est l'avocate d'une dizaine de communes du littoral touchées par le désastre de l'Erika - -

Corinne Lepage est l'avocate d'une dizaine de communes du littoral touchées par le désastre de l'Erika. Elle nous livre sa réflexion après la décision favorable de la Cour de cassation.

Une "victoire totale". La joie exprimée par la présidente de Cap 21 à l'énoncé de la décision de la Cour de cassation dans l'affaire du naufrage du pétrolier Erika, est à la hauteur de l'enjeu. De fait, il existait un risque pour que la haute juridiction invalide un combat juridique de plus de douze ans. Mais au-delà de la joie ressentie par les parties civiles (communes, Etat, conseils généraux, ligue de protection des oiseaux, associations), quelle portée réelle revêt cette décision ? Nous avons interviewé Corinne Lepage sur ces questions.

Si la victoire n'avait pas au rendez-vous aujourd'hui, d'autres recours auraient-ils été possibles ?

J'aurais envisagé de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. J'aurais également essayé de voir au niveau européen si un consensus était possible entre les Etats afin qu'ils décident de la compétence de leurs tribunaux en cas d'accident sur leurs côtes. Mais la question, heureusement, ne s'est pas posée.

Pensez-vous que la jurisprudence établie par cette décision est solide ?

Il faudrait vraiment être gonflé, pardonnez-moi l'expression, pour considérer qu'un arrêt rendu par la chambre plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation n'est pas solide.

Maître Daniel Soulez Larivière (NDR : l'avocat de Total) ne conteste-t-il pourtant pas, le bien-fondé juridique de cette décision ?

Oui, il a déclaré que ce n'était pas du droit. Il a dit la même chose hier (lundi) parce qu'il a perdu dans l'affaire AZF. Ce n'est pas parce que l'on perd que la juridiction qui rend une décision a tort. Quant à l'argument de la compétence territoriale…, il a perdu devant le tribunal correctionnel, il a perdu en appel, il a encore perdu devant la Cour de cassation avec un arrêt très motivé. Il y a 300 pages d'arrêt qui expliquent clairement pourquoi la convention de Montego Bay permet à un Etat de réglementer sur les pollutions de ses côtes.

Vous pensez donc que Total n'a plus aucun recours possible ?

J'ai entendu parler de la Cour de justice européenne, ce qui ne veut rien dire. S'il s'agit de la Cour de justice de l'Union européenne, alors je ne vois pas sur quel fondement. Une partie privée ne peut y aller, sauf sur question préjudicielle, mais il n'y en a pas. Deuxièmement, Total a déjà perdu une fois, car j'ai gagné contre eux dans l'affaire commune de Mesquer au civil où la Cour de justice de l'Union européenne m'a donné raison et a condamné Total, en tant qu'affréteur, à nettoyer le littoral.

Le deuxième recours que l'on pourrait envisager, ce serait devant la Cour européenne des droits de l'homme, mais alors là, cela m'amuserait beaucoup. Premièrement parce que une entreprise n'est pas recevable devant cette cour, deuxièmement parce que le droit de polluer n'est pas encore un droit de l'homme et troisièmement car le fait que Total demande la protection de la Cour européenne des droits de l'homme ferait rire beaucoup de gens.

Quels grands chantiers du droit de la mer reste-t-il à ouvrir, selon vous ?

Je suis présidente de l'Intergroupe mers et zones côtières au Parlement européen et nous travaillons à un "Erika IV", notamment pour mettre bien à plat les questions de la responsabilité des affréteurs. Mais je dirais la législation d'aujourd'hui –les trois paquets Erika - a fait beaucoup progresser le droit de la mer. Le problème est que la totalité de ces dispositions n'a pas été transcrit, notamment par la France.

Quand je vois certains dire, notamment à EELV que le droit de la mer actuel n'est pas suffisant, je dis "arrêtons". Il est suffisant puisque la Cour de cassation a rendu l'arrêt que l'on connaît.