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Comment révoquer les fonctionnaires radicalisés? L'Intérieur ouvre le débat sur ce casse-tête administratif

Laurent Nunez et Christophe Castaner à l'Assemblée nationale ce mardi.

Laurent Nunez et Christophe Castaner à l'Assemblée nationale ce mardi. - BFMTV

Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a ouvert le débat sur la possibilité de rendre automatique la révocation des fonctionnaires en cas de radicalisation. Actuellement, la radicalisation n'étant pas un délit, des motifs connexes sont utilisés pour écarter des agents.

"Il y a un véritable angle mort juridique quant à la révocation pour radicalisation". Dans un récent rapport parlementaire, les députés Eric Diard et Eric Poulliat mettaient en évidence les limites de la lutte contre la radicalisation dans les services publics. Interrogé ce jeudi matin par la Commission des lois du Sénat, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a émis l'idée d'ouvrir une discussion sur la possibilité de révoquer de manière automatique un fonctionnaire en cas de radicalisation. 

"On peut avoir une réflexion plus globale sur le fait de savoir si le motif de radicalisation pourrait susciter pour l'ensemble des fonctionnaires un motif de révocation, a précisé le ministre. Moi je vous le dis, je ne trouverais pas illégitime qu'il y ait ce débat."

Des motifs "connexes" invoqués

Une vingtaine d’agents ont été écartés de la police lorsque "le risque de radicalisation a été caractérisé de façon suffisante", a énoncé Christophe Castaner en début de semaine. Et pourtant, derrière cette réalité se pose la question de la définition de la radicalisation. En décembre 2018, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les services publics face à la radicalisation avait interrogé les responsables de la préfecture de police de Paris sur cette situation. Le préfet de police de l'époque, Michel Delpuech, évoquait son impuissance quant à la révocation des agents radicalisés.

Thibaut Sartre, alors secrétaire général de l'administration, énonçait la solution trouvée par la préfecture pour se séparer de ces fonctionnaires révoqués à la suite de leur radicalisation. "Il a fallu utiliser des motifs connexes, comme la faute professionnelle, car la radicalisation en elle-même ne permet pas leur éviction, explique-t-il. Détaillant alors trois cas comme celui de ce policier en contact avec la mouvance jihadiste en Syrie, via son frère. Il avait formulé des demandes très suspectes d'accès à certains fichiers, qui n'a pas été le motif de sa révocation. Il a été écarté pour une altercation dans le cadre privé.

Définition de la radicalisation

Quelques mois plus tard, la question de la révocation en cas de radicalisation est posée cette fois-ci aux responsables de l'IGPN. Brigitte Julien, la patronne de la "police des polices", reconnaît qu'il "n'y a aucune révocation pour radicalisation". Mais estime que la police dispose tout de même de moyens pour écarter des agents. Elle évoque alors une liste de 22 manquements, déclinés en 68 sous-manquements. Citant ces manquements, elle liste le fait de manquer au devoir de neutralité, la consultation intempestive de fichiers de police ou encore la manifestation sur Internet d'opinions comme motif pour un renvoi vers une commission disciplinaire.

Ainsi, si un fonctionnaire fait l'apologie du terrorisme ou exprime une opinion contraire aux valeurs républicaines, il peut déjà être sanctionné par sa hiérarchie. "La réglementation protège statutairement les agents, ils ont des droits mais aussi des devoirs, et l'un d'eux c'est de représenter l'Etat, rappelle David Lecocq, secrétaire général de la branche CGT au ministère de l'Intérieur. Dans les faits, si un agent contrevient à ces obligations déontologiques, il passe en commission disciplinaire et est sanctionné. Pour cela, il faut un dossier qui contient des éléments factuels."

Toute la difficulté du débat lancé repose alors sur le fait que la radicalisation n'est pas un délit et donc ne peut être un motif de révocation. Si cela était utilisé en tant que tel, l'agent pourrait ainsi attaquer devant un tribunal administratif son éviction. "Il faut savoir ce que l'on met derrière le terme de radicalisation, estime Me Laurent Rabbé, avocat au barreau de Paris. Le débat porte sur une question d'appréciation. Où place-t-on le curseur?" Reste aussi la question de la détection.

Problème de confidentialité

Le débat pose aussi la question de la confidentialité des documents sur lesquels se base l'administration pour ne pas donner d'agrément ou pour sanctionner des agents radicalisés. Dans son rapport, le député LR Eric Diard estime qu'il faut réfléchir à la possibilité d'introduire dans la procédure une forme de contradictoire dit "asymétrique". Cela consisterait à donner au juge, mais pas au requérant, accès à certaines notes confidentielles des services de renseignement. Le magistrat devra alors être habilité au secret-défense.

"Compte-tenu des faits actuels et du fait que maintenant le fer et le feu ont été portés au sein même des services, il faut trouver une solution" plaide le député LaREM Jean-Michel Fauvergue. 

Une question qui pourrait être étudiée dans le cadre de la commission d'enquête sur l'attaque de la préfecture de police de Paris qui va être créée à l'Assemblée nationale à la demande des élus du parti Les Républicains.

Justine Chevalier