BFMTV
Police-Justice

Château, maison... Comment les "Bonnie and Clyde" de l’escroquerie ont arnaqué grâce à leur "normalité"

Le couple a notamment escroqué la propriétaire du château de Sauvage à Emancé dans les Yvelines.

Le couple a notamment escroqué la propriétaire du château de Sauvage à Emancé dans les Yvelines. - Wikimedia

Michael B. et Céline L. étaient jugés pour avoir escroqué les propriétaires de maisons, dont un château, en leur faisant croire à un achat prochain. Aucun loyer payé, factures qui n’ont pas été acquittées, vente des meubles… ils ont été décrits comme des "pros de l’escroquerie".

"Ils sont très très forts." Dans une salle bondée du tribunal judiciaire de Versailles, des enquêteurs sont venus garnir les rangs du public ce jeudi 29 février. Deux escrocs de cet acabit, ils n’en avaient jamais vus dans leur carrière. À leurs côtés, d’autres personnes qui ont croisé leur chemin, et elles sont nombreuses, échangent aussi sur leur expérience malheureuse. "Lui, c’est un beau parleur", souffle l’une d’elles. Et elle, "elle fait sa victime mais pouvait être menaçante".

Michael B. et Céline L. ont comparu ce jeudi pour avoir escroqué deux propriétaires de maisons, à qui ils ont fait miroiter un achat, et des artisans à qui ils ont fait faire des travaux, sans autorisation. Le premier a écopé de quatre ans de prison, dont deux avec un sursis probatoire de trois ans. La seconde de 18 mois de prison, dont un an avec sursis. La partie ferme est aménageable. Ils sont surtout condamnés à indemniser leurs victimes.

Un accusé qui "assume" mais n'explique pas

Dans le box, Michael B. ne s'est pas laissé impressionner. Lui, aux 10 condamnations inscrites à son casier judiciaire, a fait de l’escroquerie sa profession. "Je reconnais les faits et j’assume entièrement seul les faits", martèle-t-il à chaque question, mains croisées dans le dos, torse bombé, voix puissante, avec son crâne rasé et sa longue barbe poivre et sel. Il faut dire qu'il a réussi à séduire deux propriétaires de biens immobiliers dans les Yvelines, au point de le laisser s’installer avec sa femme et le fils de cette dernière avant même la signature officielle de la vente.

À Montfort-l’Amaury, Michael B. s’est présenté, sous le nom de son épouse, comme chef d’une entreprise basée au Royaume-Uni. Il cherche une maison pour y loger avec sa famille. Il jette son dévolu sur une bâtisse de 5 étages, les anciens cachots de la ville, vendue à 990.000 euros. Pourquoi utiliser son deuxième prénom et le nom de son épouse? La faute à Internet. "Le droit à l’oubli n’existe pas en France", se plaint-il. "Si on tape mon nom, vous savez très bien que tout ressort sur Google."

Avec le propriétaire de la maison de Monfort-l'Amaury, le courant passe bien, les deux hommes se tutoient rapidement. L’acheteur présente bien, étale ses compétences en matière d’acquisition immobilière et fait miroiter un virement qui tarde en raison des domiciliations des fonds en Grande-Bretagne.

"On cherchait un bien depuis plusieurs mois, on n’avait pas l’occasion de trouver ce bien. On a vécu dans des conditions merdiques. Quand j’ai appelé pour la première fois, mon seul but dans un premier temps était de louer ce bien", se défend-il à l’audience.

Le propriétaire, père de famille résidant dans le XVIe arrondissement de Paris, le laisse alors s’installer en novembre 2022 avant de signer l’acte de vente. "Il n’avait pas négocié le prix de vente, ça me paraissant logique de les laisser pendant un mois dans la maison", explique-t-il au tribunal. Lui se défend d’avoir voulu louer. La famille va rester sept mois dans la maison, sans payer de loyers, ni même s’acquitter des factures. Et encore moins verser un centime pour l’achat du bien. S'ensuivent des échanges quasi quotidiens: lui assure que le virement va être fait, puis laisse son épouse gérer les "menaces véritables".

Mythomanie et escroqueries en série

Au mois de mars 2023, le propriétaire change les serrures, profitant de leur absence. La famille trouve alors refuge à Emancé, au château de Sauvage, un bien donné par Louis XIV à l'une de ses filles naturelles. Sa propriétaire, une veuve de nationalité allemande, veut vendre le domaine, rêve de son mari défunt. Là aussi elle les laisse s'installer.

Michael B. évoque bien les travaux qu'il souhaiterait faire dans la demeure. La vieille dame accepte que des entreprises viennent faire des devis. Quand elle récupère la propriété en juillet, sans avoir été payée, les boiseries d'époque ont été décolorées, les tentures décollées. Les artisans n'ont pas été payés et les meubles vendus.

Devant le tribunal correctionnel de Versailles, Michael B. assume mais n’explique pas. Pourquoi avoir fait croire qu’il allait acheter cette maison comme le château de Sauvage quelques semaines plus tard en avril 2023? Pourquoi l’avoir fait en ayant conscience qu’il n’avait pas les moyens de payer la somme de 990.000 euros, et encore moins les 9 millions pour le château d’Emancé? De certaines de ses explications ressort une forme de revanche sur les personnes les plus aisées.

"Les dégradations, je m'en excuse mais pour la propriétaire, je n'ai aucune excuse. Elle sait de quoi je veux parler, de son évasion fiscale", lance Michael B., cinglant.

Michael B. vit en effet de cette manière depuis plusieurs années. Sa première condamnation pour escroquerie remonte en 2004. En 2012, une expertise psychiatrique met en lumière son "caractère hystérique et obsessionnel", doublé d'une incapacité "à se remettre en question" et une "mythomanie qui le pousse dans ses extrêmes concernant ses besoins personnels". "Pour le château, mon but c’était de trouver des investisseurs. Mon but, ce n'était pas de tromper. En aucun cas mon but c’est de faire du mal aux gens", finit par se défendre l'homme de 47 ans, voulant tout assumer et présentant ses "excuses".

Un "couple bien rodé"

Témoignages après témoignages, le rôle de Céline L. est lui aussi largement établi. Dans le box, l'ancienne assistante sociale assure avoir été "naïve". Derrière le rideau que forment ses cheveux aux reflets rouges, elle pleure beaucoup, surtout pour elle-même. "Je m’excuse pour les victimes mais il y a moi aussi, il y a mon fils", se lamente-t-elle.

"Monsieur veut protéger son épouse, mais c’est un couple bien rodé", tranche le propriétaire de Monfort-l'Amaury.

Tous décrivent une femme "menaçante", qui prend "le relais" dans l'escroquerie quand son mari Michael disparaît.

À certains, elle s'est présentée comme policière à la brigade des mineurs, à d'autres comme travaillant au rectorat de Versailles. "C’est monsieur qui me disait de répondre cela. À la fin, il disparaissait et c’est moi qui devais gérer", dit-elle en parlant de son mari.

"Si l’escroquerie est allée jusqu’au bout c’est parce que c’est un couple qui s’est présenté, un couple calme, qui s’exprime bien, avec un enfant. Un couple qui a toutes les apparences d’une famille normale", conclut le procureur.

Avant ces faits, Michael B. s'est fait passer comme programmateur de Stromae ou Robbie Williams. Il a escroqué un club de football, d'autres étaient dans son viseur. Et si les escroqueries sont aussi allées jusqu'au bout, c'est aussi en raison de la normalité de cet homme, de la normalité de ce couple, bien loin des clichés sur les escrocs.

On les a présentés comme des "Bonnie and Clyde", ils ont plutôt une allure de monsieur et madame tout le monde. Elle comme lui n'ont en effet rien de flamboyant. Dans la salle, le nombre de personnes ayant croisé leur route fait pourtant redouter l'existence de bien d'autres victimes.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV