BFMTV
Le village d'Espezel dans l'Aude, le 4 janvier 2019.

Jcb-caz-11 /CC BY-SA 4.0

Bombe, freins coupés... Qui en veut à Josiane, 85 ans? Plongée dans une enquête entre argent et rancœur

Un couple de retraités de 68 et 69 ans a été mis en examen au début du mois de février, suspecté d'avoir tenté d'assassiner une octogénaire à Espezel, dans l'Aude. Le mobile se trouverait dans une question d'héritage familial contesté par la belle-fille de cette ex-institutrice.

Le

Espezel, 196 âmes au dernier recensement, niché sur les collines de l'Aude. C'est dans les ruelles de ce village aux toits de tuiles orangées, situé au pied des Pyrénées, que se déroule un drame familial. Qui peut bien en vouloir à Josiane Rouzaud, 85 ans, et ancienne institutrice du bourg? Lettres anonymes de dénonciation, chantage, rumeurs, câbles de freins de sa voiture sectionnés et même une bombe artisanale découverte dans son jardin. Autant d'ingrédients à faire pâlir les rois du suspense Boileau et Narcejac.

Ces éléments ne sont pas issus d'un bon polar mais sont bien ceux sur lesquels travaillent les gendarmes de la section de Montpellier depuis juillet 2023. C'est à cette date qu'ils découvrent d'un système explosif dans le jardin de l'octogénaire. Les six mois d'enquête ont conduit les enquêteurs sur la piste de l'entourage familial de la vieille dame et surtout sur les enfants de son mari. Elle avait épousé Clément Siffre quelques mois avant son décès après avoir été son amante pendant de nombreuses années.

La fille de ce dernier et son mari ont été mis en examen début février pour "tentative d'assassinat", comme l'a révélé La Dépêche du Midi. "Ca lui fait de la peine qu'ils aient été arrêtés", confie à BFMTV.com le frère de la victime, Christian. "Elle s'en remet difficilement, elle a peur qui lui arrive quelque chose. Et si ce n'était pas eux?"

Câbles de freins sectionnés

Josiane Rouzaud a accepté pendant 56 ans de rester dans l'ombre. L'institutrice était la maîtresse officielle, au vu et au su de tous, du médecin et maire du village. Un homme apprécié de tous, un médecin à l'ancienne qui soignait "à la fois le corps, la tête, qui rédigeait les factures", selon les mots de Christian. Dans sa classe, Josiane s'est elle occupée de tous les enfants du village, y compris l'une des deux filles de son amour de jeunesse.

En 2015, l'institutrice à la retraite s'installe chez Clément Siffre. Son épouse, la mère de ses enfants, est décédée depuis plusieurs années, et le vieux monsieur, déjà âgé de 96 ans, ne peut plus rester seul.

"Ma sœur a toujours soigné son mari de façon exemplaire", se souvient son frère Christian. "Ils ont eu une vie d'amour."

Les premières tensions entre Josiane et les deux filles de l'ancien maire et ses deux gendres apparaissent. En septembre 2020, Josiane Rouzaud dépose une première plainte. Les câbles de freins du véhicule de son compagnon, qu'elle a l'habitude d'utiliser, ont été sectionnés.

Le garagiste, nouveau maire du village, est catégorique: il s'agit d'un sabotage. Sans les citer nommément auprès des gendarmes, l'octogénaire oriente les soupçons vers l'une des filles de l'ancien maire, Isabelle, et son mari Georges.

Ces derniers étaient, à cette période-là, au domicile d'Espezel pour s'occuper du vieil homme pendant qu'elle s'était absentée. Ils avaient donc accès au véhicule. Mais l'enquête n'a rien donné à l'époque.

Un mariage en toute discrétion

La rancœur familiale va s'accentuer à partir du 15 octobre 2020 et le mariage en catimini de Josiane Rouzaud avec Clément Siffre. La femme de ménage et une secrétaire de mairie font office de témoins pour une cérémonie à domicile dirigée par le maire et garagiste, à huis clos, sans famille, à l'exception des proches de Josiane. Une fois l'union civile et religieuse célébrées, les enfants du marié dénoncent ce qu'ils considérent comme une manœuvre de la vielle dame pour mettre la main sur le patrimoine du centenaire.

Clément Siffre décède en juin 2021 à l'âge de 102 ans. L'heure de l'héritage a sonné. Les deux filles du défunt, Isabelle et Corinne, reçoivent chacune leur part, composée notamment de propriétés de l'ancien médecin. On parle alors de plusieurs centaines de milliers d'euros.

Josiane Rouzaud, qui a dédié sa vie à Clément Siffre, se privant d'avoir des enfants, reçoit un quart de l'héritage, et notamment les quelque 250.000 euros d'assurance-vie. Le changement de bénéficiaire avait été réalisé avant même le mariage du vieux monsieur. De quoi susciter la colère et même la haine des deux filles et des deux gendres, selon leurs propres termes.

Une procédure pour contester l'héritage est lancée. Les instigateurs sont Corinne et son mari, qui vivent dans la région de Bordeaux. Mais un conciliateur leur donne tort: l'argent revient bien à Josiane Rouzaud. "Ma sœur a eu le quart financier qui lui était dû, certains ont cru qu'elle avait fait des faux", déplore le frère de Josiane.

Isabelle, la seconde fille de Clément Siffre, et son mari -ce dernier répétant à qui le veut que la famille de l'ex-institutrice a déjà spolié dans le passé d'autres familles- auraient-ils opté pour la manière forte pour faire reculer l'ancienne institutrice? C'est ce que la justice soupçonne.

Tentative d'assassinat

Il y a d'abord les deux lettres anonymes reçues par Josiane Rouzaud. L'une en septembre 2021, où le corbeau laisse aller sa haine contre elle, et l'autre en avril 2023. Les missives lui sont adressées à son domicile, contenant des fautes d'orthographe notamment au nom de famille de la destinataire.

À cette époque, les messages de colère laissent place au chantage. L'auteur du courrier la qualifie de "tueuse", de "voleuse", et lui réclame une rançon de 500.000 euros en échange de son silence sur son présumé mariage fictif avec l'ancien maire.

L'endroit pour déposer l'argent a tout de symbolique puisqu'il s'agit de la Croix des Morts, un endroit bien connu par les habitants de la région. Les plus anciens savent que c'est là que des marchands qui traversaient les Pyrénées par l'Ariège ont été assassinés.

Josiane Rouzaud ne paie pas cette rançon. Le 9 juillet 2023, deux mois après ces menaces, vers 9 heures, l'octogénaire va prendre un bain dans sa piscine. Comme tous les matins. Devant la porte de qui donne accès au bassin, elle aperçoit une tenaille. Un outil qui visiblement a servi à découper le grillage de la propriété pour s'y introduire dans la nuit. La vieille dame laisse la pince à sa place. "Si elle l'avait pris ma soeur ne serait plus là", soupire Christian.

Car la tenaille était reliée à un fil de fer long de 70 centimètres permettant de déclencher un système de mise à feu se trouvant dans une boîte métallique enterrée et siglée OAS pour Organisation de l'armée secrète. En clair, une bombe, qui pouvait causer de gros dégâts. "Cette histoire est lunaire, exceptionnelle, incroyable, on peut le dire car il n'y a pas de mort", s'étonne une source proche du dossier.

"Ma sœur n'a jamais fait de mal à personne et quelqu'un a voulu la supprimer", poursuit le frère de la victime, encore choqué qu'un tel projet ait pu être imaginé.

Fautes d'orthographe et "système mafieux"

Pendant six mois, les gendarmes demandent à Josiane Rouzaud et à ses proches de rester discrets. Ils orientent leur enquête vers les belles-filles de l'octogénaire. Corinne et son mari sont écartés. Restent Isabelle et surtout Georges. Quand la bombe a été installée, il se trouvait à une vingtaine de kilomètres dans la maison secondaire du couple. Il s'y trouvait seul, ce qui pouvait arriver. Surtout son téléphone a été éteint sur cette période, une situation inhabituelle. Sa géolocalisation montre également qu'il a pu envoyer la deuxième lettre de menaces.

Dans leurs écoutes téléphoniques, les gendarmes entendent Georges et Isabelle s'inquiéter de leur prochaine convocation à l'été 2023 après la découverte de la bombe. Le mari qualifiait à plusieurs reprises Josiane Rouzaud de "diable", expression retrouvée dans les lettres de menace. Tout comme le "système mafieux" dont il l'accuse.

Surtout quand les enquêteurs lui demandent d'orthographier le nom de l'octogénaire, il fait la même faute que le corbeau. Tous ces éléments ont conduit le juge d'instruction de Narbonne en charge du dossier à mettre en examen le couple. De quoi consterner tout un village.

Le couple conteste les faits

Une demande de mise en liberté a été examinée jeudi 29 février par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier. L'ancien miroitier de 68 ans, qui a dû être hospitalisé en raison de problèmes de santé, et son épouse, une petite dame aux cheveux blancs -"une petite mamy qui fait des gâteaux pour ses petits-enfants", comme nous l'a décrit une source proche du dossier- nient catégoriquement les accusations et mettent en avant le fait qu'ils n'ont aucune compétence dans la fabrication de bombe.

"Il faut faire attention aux conclusions hâtives sur le mobile", prévient Me Alexandre Martin qui défend, avec Me Emmanuelle Franck, Isabelle. "L'héritage était scellé depuis 2021."

Sa cliente a été remise en liberté, mais la justice a maintenu en détention son époux Georges. "Qu'il ait pu avoir de la rancoeur, ce n'était pas le seul", martèle Me Pierre Alfort, son avocat. "Il n'y a pas d'éléments probants, le maintien en détention n'est pas justifié. L'enquête dure depuis six mois, il n'y a pas de risque de concertation, de destruction des preuves ou de réitération des faits."

L'enquête va se poursuivre notamment avec des analyses graphologiques sur les courriers de menaces, des analyses sur les empreintes, des analyses sur leur téléphone et ordinateur. Des experts doivent aussi se prononcer sur le caractère létal de la bombe. Isabelle et Georges devraient être rapidement réentendus.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV