Au procès Krombach, l'histoire d'un trio amoureux tragique

par Thierry Lévêque

PARIS (Reuters) - Au procès du médecin allemand Dieter Krombach, accusé à Paris du meurtre d'une adolescente française en 1982 en Bavière, les jurés ont entendu jeudi le récit d'un improbable trio amoureux, toile de fond du drame.

Danielle Gonnin, 66 ans, la mère de la victime, Kalinka, en a fait le récit à la barre, debout entre ses deux anciens maris. Le premier, André Bamberski, 73 ans, père de Kalinka, est sur le banc des parties civiles. Le second, Dieter Krombach, 75 ans, est dans le box des accusés. Ils se font face sans se regarder.

C'est André Bamberski qui a fomenté en 2009 l'enlèvement et le transfert en France de Dieter Krombach, ce qui a amené ce procès, près de trente ans après la mort de Kalinka.

L'audience suscite un malaise juridico-diplomatique entre Paris et Berlin. L'Allemagne juge le procès illégal car elle considère l'affaire comme close. Elle critique aussi l'enlèvement musclé de son ressortissant.

L'ambassade d'Allemagne a deux observateurs au procès et sa justice refuse toute coopération mais la cour française a décidé mercredi de juger l'affaire, rejetant ses arguments.

Danielle Gonnin vivait au Maroc, à Casablanca, avec son mari André Bamberski et leurs deux enfants, Nicolas et Kalinka, quand elle a rencontré en 1974, à une réunion de parents d'élèves, Dieter Krombach, qui vivait aussi là avec sa seconde épouse et ses deux enfants.

"UN HOMME QUI AIMAIT L'INTERDIT"

"Dieter Krombach a flashé sur moi et ensuite, il ne m'a plus lâchée", a raconté Danielle Gonnin. Le médecin allemand lui fait une cour incessante et pressante, raconte-t-elle.

"Peu à peu, on s'est rapprochés. M. Krombach était un homme charmant, très intelligent, très cultivé, qui savait parler aux femmes, savait y faire". Une liaison commence, André Bamberski l'apprend. Ce Français d'origine polonaise a été déporté durant l'Occupation.

"M. Bamberski avait la haine des Allemands depuis la guerre. Manque de chance, c'est un Allemand qui m'a séduite, ça n'a pas arrangé les choses." André Bamberski vend sa maison et fait ses valises pour la France, pour éloigner son épouse de son rival.

Danielle Gonnin va pourtant vite le revoir. "Arrivé à Algésiras (en Espagne), j'étais seule un instant dans la voiture, j'ai vu arriver de nulle part Dieter Krombach, chapeau et lunettes noires." Il lui jure de ne jamais la laisser partir. Le couple se voit clandestinement à Toulouse, où les Bamberski sont rentrés et où le médecin allemand s'installe aussi.

En 1976, Danielle Gonnin quitte finalement André Bamberski et va vivre à Lindau en Bavière, avec Dieter Krombach, qu'elle épouse en 1977. Après une bataille judiciaire, elle fait retirer à André Bamberski la garde de Nicolas et Kalinka, qui viennent donc vivre en Bavière, avec les enfants du médecin allemand.

"C'était une vie heureuse, mes enfants se plaisaient beaucoup en Allemagne." Le bonheur conjugal se trouble pourtant, car Dieter Krombach est infidèle, raconte Danielle Gonnin. "C'est un homme qui aimait l'interdit."

COMBAT DE TRENTE ANS

Au début, elle passe l'éponge.

Survient en 1982 la mort brutale de Kalinka, 14 ans, alors que Dieter Krombach vient de lui faire une mystérieuse injection de solution ferrique censée aider à bronzer. Malgré des traces suspectes sur son corps, la police allemande n'enquête pas.

André Bamberski commence un combat de trente ans contre son rival, reprend la garde de son fils Nicolas. De son côté, Dieter Krombach poursuit ses infidélités. Danielle Gonnin le quitte en 1984, mais ne le soupçonne jamais pour la mort de Kalinka.

Jusqu'en 2010. Elle se constitue partie civile et lit dans des dépositions au dossier judiciaire français que Dieter Krombach avait, quand elle dormait, des rapports sexuels au domicile conjugal avec une adolescente de 16 ans.

Elle prend aussi connaissance du jugement qui l'a condamné en 1997 pour le viol dans son cabinet d'une patiente, âgée de 16 ans également, qu'il avait au préalable droguée.

Que ressent-elle aujourd'hui pour l'accusé ? "J'éprouve de la pitié de le voir comme ça. D'un autre côté, je suis venue ici pour savoir la vérité. S'il est coupable, il faut qu'il paye. Ça fait trente ans que ça dure, c'est trop douloureux pour tout le monde."

Vendredi, la cour abordera la mort de Kalinka.

Edité par Patrick Vignal