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Police-Justice

Mort d'Adama Traoré: une bataille d'expertises au coeur de l'affaire

L'affaire Adama Traoré est devenue une bataille entre experts: entre ceux qui écartent la responsabilité des gendarmes et les médecins choisis par la famille qui balayent leurs conclusions en estimant que le jeune homme est mort du placage ventral exercé par la police. Au vu du nouveau rapport d'expertise commandé par la famille et divulgué ce mardi, les avocats des deux parties défendent leurs points de vue sur notre antenne.

Quatre ans après la mort du jeune Adama Traoré après son arrestation dans le Val-d'Oise, les avocats des deux parties, la famille d'une part et les gendarmes d'autre part, s'écharpent sur le contenu des expertises judiciaires relatives à la mort du jeune homme. D'un côté, les expertises commandées par le juge d'instruction écartent la responsabilité des militaires. Mais de l'autre, les médecins choisis par la famille balayent leurs conclusions. 

Une querelle d'experts qui intervient dans un contexte de manifestations aux Etats-Unis après la mort de George Floyd, un homme noir américain de 46 ans mort asphyxié par un policier blanc aux Etats-Unis la semaine passée.Et alors qu'un rassemblement était organisé pour réclamer "justice pour Adama" ce mardi soir dans la capitale, qui a rassemblé plus de 20.000 personnes et à la fin duquel plusieurs incidents ont éclaté. 

"La mort d'Adama Traoré résulte de ce placage ventral"

Me Yassine Bouzrou, l'avocat de la famille d'Adama Traoré, a qualifié d'"expertises de complaisance" celles "commandées par les juges d'instruction" ce mardi sur notre antenne. Ces rapports d'expertises, ordonnées par les magistrats, écartaient il y a quelques jours la responsabilité des gendarmes, alors que la contre-expertise commandée par la famille de la victime a conclu ce mardi qu'Adama Traoré était mort d'"un syndrome asphyxique par plaquage ventral".

Pour l'avocat, les expertises commandées par les juges ont été réalisées "par des médecins qui n'ont aucune compétence en cardiologie, et qui se sont permis d'inventer à Adama Traoré une pathologie cardiaque. Il se trouve qu'un cardiologue, désigné par les juges d'instruction il y a deux ans, avait estimé qu'il avait un coeur d'athlète, en bonne santé", a-t-il déploré.
"Ceci nous démontre que (...) les juges n'avaient qu'une envie, dans ce dossier, c'était de prononcer un non-lieu", avance encore l'avocat, qui poursuit: "Car comme par hasard, quand on désigne des professeurs de médecine de renom qui exercent dans des hôpitaux parisiens, leur avis est diamétralement opposé, puisqu'ils mettent en avant le placage ventral et le poids de trois policiers sur Adama Traoré, soit 250 kilos sur son corps. Adama Traoré leur a dit qu'il n'arrivait pas à respirer, ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les gendarmes. Donc aujourd'hui, nous avons la certitude que le décès d'Adama Traoré résulte de ce placage ventral", conclut Me Bouzrou.

"Une instrumentalisation de la situation américaine"

Une théorie qui n'est pas de l'avis de Me Rodolphe Bosselut, l'avocat de deux des trois gendarmes impliqués dans l'arrestation et donc la mort du jeune homme de 24 ans. Pour lui, la famille Traoré essaye de "trouver un avantage sur le plan médiatique qu'elle ne trouve pas sur le plan judiciaire" et elle "instrumentalise la situation américaine pour essayer de faire rebondir le dossier".

"Ce (nouveau) rapport (d'expertise) est versé au dossier et il est une pièce de la procédure mais il n'a pas la valeur d'une expertise judiciaire", défend de son côté Me Bosselut.
"Une expertise judiciaire se réalise avec des médecins experts, agréés par le tribunal, auquel on peut poser des questions et auquel toutes les parties ont accès pour éventuellement faire des demandes de contre-expertise, des demandes complémentaires. Là, ça n'est pas possible. 

L'avocat de deux des trois gendarmes a qualifié ce nouveau rapport d'"avis médical demandé par la famille dans des conditions obscures". "En tout cas je suis très circonspect", a-t-il déclaré sur notre antenne ce mardi soir. Et d'ajouter: "Comment cet expert a eu connaissance du dossier? De quelle façon a-t-il été rémunéré? Nous n'en savons rien". 

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré est mort dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d'Oise, au terme d'une course-poursuite et après avoir échappé à une première interpellation un jour de canicule. Ni témoins, ni vidéos n'ont rendu compte de la scène de l'interpellation, uniquement connue par le témoignage des trois gendarmes et les conclusions des médecins.

Jeanne Bulant