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La rumeur, c'est un lien social

La rumeur intrigue, amuse, agace et surtout... fait parler, évidemment.

La rumeur intrigue, amuse, agace et surtout... fait parler, évidemment. - -

Rumeur du 93, liaisons présidentielles, théorie du genre... Est-il possible d'établir une typologie des rumeurs? BFMTV.com a interrogé Pascal Froissart, auteur de "La Rumeur. Histoires et fantasmes".

Elle se faufile sur Twitter, est relayée par SMS, discutée devant la machine à café et éclate parfois dans les médias. La rumeur intrigue, amuse, agace et surtout fait parler. Nous avons interrogé un spécialiste du phénomène, Pascal Froissart, auteur de La Rumeur. Histoires et fantasmes et enseignant-chercheur à Paris VIII, lui demandant de se pencher sur trois rumeurs qui ont fait les gros titres ces derniers jours, pour en expliquer les mécanismes: la rumeur du 93, la rumeur sur la théorie du genre et enfin la rumeur sur la liaison entre Barack Obama et la chanteuse Beyoncé Knowles.

> La rumeur du 93

• De quoi s'agit-il?
Depuis environ deux ans, la "rumeur du 93" véhicule l'idée, selon laquelle certaines municipalités, comme celles de Tulle, Niort ou Châlons-en-Champagne, mettraient à disposition de "Noirs importés du 93", des logements sociaux, en échange de contreparties financières.

• Comment l'interpréter?
La rumeur du 93 est liée à un fantasme d'invasion migratoire, qui n'est né qu'avec le concept de "race" en science, une invention datant des années 20 en France, qui coïncide aussi avec la naissance d'un antisémitisme institutionnel.

"Il y a aussi, dans cette rumeur, un fond de contestation politique assez démogagogique et populiste, sur l'air de 'tous pourris', 'on nous ment'. C'est quelque chose qui est présent aussi dans des rumeurs conspirationnistes, les rumeurs de complots. Lorsque l'on renvoie dos à dos tous les gens qui nous gouvernent en pointant leur éloignement du peuple".

"Surtout, ce qui est intéressant, c'est que cette rumeur a éclaté dans la sphère publique, pas tellement parce qu'elle y circulait, mais parce que des édiles politiques l'ont démentie. A partir du moment où vous démentez dans la sphère publique, vous touchez des gens qui n'étaient pas au courant. Automatiquement, vous créez la suspicion. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas démentir".

> La théorie du genre

• De quoi s'agit-il?
Fin janvier, une légende urbaine propagée par SMS prétend que la théorie du genre serait enseignée en toute discrétion aux élèves. Le message appelle au boycott de l'école un jour par mois.

• Comment l'interpréter?
"Ce n'est pas une rumeur, c'est de l'activisme, une action concertée. En effet ce n'est pas un hasard, mais une campagne organisée par des militants très précis, très bien identifiés. Ce n'est pas quelque chose d'incontrôlable, c'est au contraire très bien contrôlé. Ce sont des militants que l'on n'a pas l'habitude de voir agir comme cela, mais il va falloir s'y habituer".

> Obama-Beyoncé

• De quoi s'agit-il?
Le 9 février dernier, un paparazzi français prétend sur Europe1 que le président américain Barack Obama entretient une liaison avec la chanteuse Beyoncé Knowles.

• Comment l'interpréter?
"Pour moi, c'est juste un coup médiatique d'un photographe. Sortie par un autre média qui n'aurait eu ni le nom ni l'audience, ce serait passé inaperçu. C'était sur une grande antenne, ce n'était pas n'importe quel photographe, pas n'importe quel sujet, pas n'importe quel moment. Le timing est parfait. Mais ça s'appelle un coup de com', pas une rumeur. Et tous les articles de presse attestant de cette rumeur, la relayant sans la vérifier, ont contribué à la faire circuler".

> Y a-t-il des typologies de rumeurs?

"Certains de mes collègues, comme Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, ont essayé de faire des typologies thématiques. Ils distinguent par exemple les 'technopeurs', les peurs alimentaires, les animaux sauvages, le surnaturel..."

"D'autres, comme moi, les analysent plutôt par support. Il y a les rumeurs infra-médiatiques et les rumeurs médiatiques. Il y a une différence entre un ragot colporté entre soi et une rumeur diffusée par les médias traditionnels. On ne reconnaît une rumeur qu'à partir du moment où elle franchit la barrière médiatique, lorsqu'elle éclate dans la sphère publique".

> Que disent les rumeurs sur nous?

"Les rumeurs reflètent la manière que l'on a de considérer notre société. C'est souvent une manière pour ceux qui en parlent de se plaindre du fonctionnement social, que la nature humaine n'est intéressée que par le futile et la noirceur. Le discours qui accompagne la rumeur est également signifiant".

"On oublie que ce sont des récits qui servent également à créer de la 'réassurance sociale'. On se sert de ces récits pour échanger de la connivence. Ces récits servent à faire en sorte que l'on se sente entre soi. Pour échanger sur une rumeur, il faut avoir quelque chose en commun. C'est une théorie du lien social beaucoup plus qu'une maladie du système social".

"Il n'y a pas de rumeurs xénophobes, il y a des xénophobes qui se servent de ces rumeurs-là pour se retrouver entre eux. Sur les sites extrémistes, il n'y a pas de volonté de conviction, tout le monde est déjà convaincu à l'avance".

Magali Rangin