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En attendant Godot: rire pour ne pas pleurer

Une pièce sans intrigue ni action

Une pièce sans intrigue ni action - Bouffes du Nord

La mise en scène fidèle et burlesque de Jean-Pierre Vincent est reprise au théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au 27 décembre.

L'histoire

Deux vagabonds, Vladimir et Estragon, attendent au bord d'une route un certain Godot, qui ne vient pas.

L'auteur

L'irlandais Samuel Beckett (1906-1989) écrivit En attendant Godot en français fin 1948-début 1949. La pièce fut publiée en 1952 et jouée en 1953, rencontrant immédiatement un immense succès.

C'est la pièce la plus connue du théâtre de l'absurde: il n'y a ni intrigue, ni action. A première vue hermétique et incompréhensible, la pièce a donné lieu à de multiples interprétations. La plus répandue est que Godot serait Dieu (God), mais cette interprétation a été réfutée par Beckett lui-même: "Si j'avais voulu faire entendre cela, je l'aurai appelé Dieu, pas Godot".

Ici, le metteur en scène Jean-Pierre Vincent pense que "Godot est un God not. Il est le nom que Vladimir et Estragon donne au fait qu'ils attendent".

Dans sa note d'intention, il ajoute: "le moteur d'origine [de la pièce] est qu'on sort des horreurs et des charniers de 39-45". En effet, Beckett avait raconté s'être engagé dans la résistance car il "étais révulsé par les nazis et d’abord par la façon dont ils traitaient les Juifs". Et plusieurs répliques de la pièce pourraient être des allusions à la Seconde Guerre mondiale, notamment à la Shoah. Au début du premier acte, Vladimir dit à Estragon: "Sans moi, tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est". Au début du deuxième acte, Estragon dit: "Pour bien faire, il faudrait me tuer, comme l'autre [...] Comme des billions d'autres". Toujours dans le deuxième acte, les deux vagabonds se demandent: "D'où viennent tous ces cadavres? Ces ossements? [...] Un charnier". La mise en scène de Jean-Pierre Vincent creuse cette piste. Son Estragon (que Beckett voulait initialement appeler Lévy) a un léger accent du Sentier. Et il transforme un radis noir en moustache postiche similaire à celle d'Hitler.

En 2008, deux auteurs, Valentin et Pierre Temkine, avaient même avancé que les deux vagabonds étaient deux juifs en fuite durant la guerre attendant un passeur nommé Godot.

Ce qu'on en pense

Les indications de Beckett (didascalies) sont si nombreuses et précises que la marge de manoeuvre du metteur en scène est toujours réduite. D'autant que Jean-Pierre Vincent choisit ici de les respecter à la lettre, notamment les quelques 200 pauses et silences stipulées par l'auteur, qui voulait que le spectateur s'ennuie quand même un peu... C'est donc un Godot délibérément long (2h45 avec entracte) que Jean-Pierre Vincent a créé en avril au théâtre du Gymnase à Marseille, et qui est repris jusqu'au 27 décembre aux Bouffes du Nord.

Mais l'on rit, grâce à l'absurdité des répliques, mais aussi aux mimiques et gags visuels rajoutés par Jean-Pierre Vincent. Celui-ci rappelle que Beckett adorait les comiques américains du temps du muet, comme Buster Keaton et surtout Laurel et Hardy, qui sont, avec leurs costumes noirs et leurs chapeaux melons, "les frères jumeaux" de Vladimir et Estragon.

Jamal Henni