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Queer et politique, "Miraculous" la série pour enfants qui combat les stéréotypes

Les personnages de Zoé et Marinette dans la série "Miraculous"

Les personnages de Zoé et Marinette dans la série "Miraculous" - TF1

Le programme pour enfants, dont l'adaptation cinématographique est sortie mercredi en salles, remet en question les stéréotypes de genre et aborde des sujets politiques. Attention spoilers.

Représentation queer, féminisme intersectionnel, dénonciation de la tyrannie et des injustices sociales... Véritable phénomène de société diffusé dans plus de 150 pays, la série Miraculous, destinée aux 4-10 ans, a été saluée pour son discours inclusif et son regard progressiste sur la société et ses évolutions.

Le programme imaginé par Thomas Astruc fait écho depuis cinq saisons aux sujets de société les plus brûlants du moment. "L'avantage d'une série, c'est que ça ne s'arrête quasiment jamais", indique Jérémy Zag, producteur de la série. "On s'adapte à notre époque. La série traite de problèmes du quotidien."

"On traite surtout de l'acceptation de l'autre, d'être soi-même", ajoute-t-il. "On est très fier de l'avoir fait. On traitera toutes les thématiques qui peuvent aider le monde à s’aimer. L’important, avec les contenus Zagtoon (société qui produit Miraculous), c’est de se découvrir à travers l’histoire. On veut raconter des histoires qui aident les gens à débloquer quelque chose en eux."

Un cas inédit

Une démarche qui résonne particulièrement auprès des fans de la série, dont fait partie Daphné, très active sur les réseaux sociaux. "On sent que l'équipe d'écriture veut mettre en scène des profils de personnages différents pour montrer que c'est normal", nous livre-t-elle.

"Même si ça n'est pas toujours explicite, c'est une série qui ouvre une brèche", insiste la sociologue des médias Mélanie Lallet, co-autrice d'une étude sur l'appropriation du féminisme intersectionnel par la production et les fans de la série. On y trouve des personnages noirs, autistes, asexuels, gays, lesbiens. Du jamais vu en France:

"Quand on interroge les fans et les professionnels de l'animation, ils ont plein d’exemples de séries qui ont souhaité ouvrir des brèches sur ces questions de représentation de groupes minorisés: ils vont citer She-Ra, Steven Universe... Mais en France, et avec un tel succès, c'est un cas inédit.

"Dire ce qu'on ressent"

Le 7 mai dernier, Zoé, une adolescente originaire de New York, a ainsi fait son coming out dans l'épisode 17 de la saison 5, intitulé Adoration. La jeune femme a révélé qu'elle n'aimait pas Adrien, mais Marinette: "Tu as raison, ça fait du bien de dire ce qu'on ressent", lui a-t-elle dit.

Miraculous multiplie les exemples. Le 27 mai dernier, dans l'épisode Collusion, diffusé pour l'instant seulement en Suisse, la professeure Mme Bustier a aussi fait son coming out. Elle est en couple avec Gisèle, personnage encore mystérieux qui semble être une conductrice de moto aguerrie selon le wiki officiel de la série.

Caline Bustier et Gisèle sont le second couple LGBT officiel de la série avec le couple Olympia Hill et Barbara Keynes, qui avait été révélé dans l'épisode spécial Miraculous World: New York, les Héros Unis (2020). Le baiser échangé entre Caline Bustier et Gisèle est le premier entre deux personnes du même sexe de la série.

Les séries animées pour enfants font l'objet de telles contraintes qu'elles ne sont jamais les premières à accueillir les innovations, souligne Mélanie Lallet: "A partir du moment où ça a été testé dans une série live - comme Plus belle la vie -, le sentiment de prendre un risque décroît et il est possible d’aller plus loin dans l’explicite."

Ce genre de scènes est devenu courante ces derniers mois dans les programmes pour enfants. Vera a fait son coming out en octobre 2022 dans Scooby-Doo, Waylon Smithers a déclaré sa flamme à Mr Burns dans Les Simpson et Peppa Pig a introduit en septembre 2022 dans sa saison 7 un couple de mères lesbiennes.

Univers queer absent du film

Il reste de nombreuses références discrètes dans Miraculous: "dans la classe, Juleka et Rose ne sont pas officiellement présentées comme des petites amoureuses, mais elles sont souvent montrées en train de se tenir la main ou être là l'une pour l'autre, si bien que pour beaucoup dans le fandom, elles sont vues comme un couple", note Daphné.

"Nat et Marc restent aussi discrets. Ils ne sont jamais montrés ensemble dans la série, mais ils sont a priori un couple", complète-t-elle. "Il y a aussi Alix et Max qui sont asexuels. La team d'écriture a enfin révélé une fois en convention que Kim, l'un des garçons de la classe, aurait deux papas."
Juleka et Rose dans la série "Miraculous"
Juleka et Rose dans la série "Miraculous" © Zagtoon

Sans oublier le personnage d'Alec, le présentateur TV, au centre d'un épisode de la saison 4, Exauceur, ajoute-t-elle: "Son 'akumatisation' [nom qui désigne le super-pouvoir spécial, NDLR] a une esthétique queer drag très marquée est assumée et à la fin de l'épisode il assumera totalement son identité, la personne qu'il est au fond de lui."

Cette dimension queer est cependant absente du film. "Tout l'univers queer traverse la série, mais le film représente vraiment la vision de Jérémy Zag", déplore cette fan. "L'équipe d'écriture de la série n’a pas du tout participé à l’écriture du film", précise-t-elle encore.

L'investissement des fans

Comme le note Mélanie Lallet, nombreux sont les spectateurs et les spectatrices à s'être reconnus dans la galerie de personnages queer mis en scène dans Miraculous.

Alec dans la série "Miraculous"
Alec dans la série "Miraculous" © Zagtoon

"Les fans se sont saisis de ces représentations, qui restent le plus souvent discrètes et implicites dans la série, pour les faire advenir de manière plus explicite dans des fan fictions", note cette maître de conférence, également autrice de Libérées, délivrées?, une analyse des représentations de genre dans les dessins animés français.

"On est vraiment sur le schéma assez classique de se servir d’un univers super-héroïque pour explorer des identités qui sont d’une façon générale marginalisées et peu représentées", complète-t-elle. Une histoire que les fans peuvent facilement s'approprier. "On a constaté un pic de fan fictions écrites en polonais par des fans polonais", souligne-t-elle ainsi.
Majestia et Knightowl dans l'épisode spécial de "Miraculous" "Les Héros Unis"
Majestia et Knightowl dans l'épisode spécial de "Miraculous" "Les Héros Unis" © Zagtoon

"Ils utilisent l'univers de Miraculous et l'idéal un peu libertaire qu'ils projettent sur la ville de Paris et cette série française pour aborder des thématiques qui font l'objet d'un débat fortement polarisé ces derniers temps sur les questions de genre et de sexualité comme le coming out et l'avortement", commente encore la spécialiste.

Réflexion sur la tyrannie

La série Miraculous aborde aussi des sujets politiques. Déjà sous-jacents dès le début de la deuxième saison 2, le sujet revient plus frontament à partir du premier épisode de la saison 5, Illusion, avec la création de la Résistance, un groupe formé par Nino Lahiffe pour aider Ladybug et Chat Noir dans leur lutte contre Monarque, le "super-vilain" de la série.

La saison 5 voit Ladybug et Chat Noir affronter Chloé Bourgeois, alliée de Monarque qui s'empare de Paris après un coup d'Etat (après avoir donné un discours devant la Pyramide du Louvre, comme Emmanuel Macron après son élection en 2017). "Il y a dans la saison cette idée de renverser l'ordre établi", poursuit Daphné.

Elle note ainsi deux références au fameux tableau de Delacroix La Liberté guidant le peuple: "Une première fois dans le final de la saison 2, avec les Parisiens qui se révoltent contre l’armée du Papillon écarlate. Et une seconde fois dans le final de la saison 5 avec une fresque qui représente tous les personnages de la série."

Aller plus loin

Le message est clair: l'avenir est entre les mains des enfants. Mais l'équipe créative de Miraculous se heurte parfois aux contraintes imposées par les chaînes aux programmes pour enfants. TF1 a ainsi retiré une séquence de l'épisode Qilin, en 2022, où la mère de Marinette est menottée par la police dans un bus pour défaut de ticket.

La scène, inspirée par la répression des manifestations de Gilets jaunes en 2019, avait été retirée à la demande de la première chaîne pour ne pas donner une mauvais image des institutions aux enfants, pour qu'ils puissent avoir confiance en elles, selon Thomas Astruc.

Selon Mélanie Lallet, Miraculous ne devrait pas perdre ses spécificités malgré ce cas de censure. "Ils iront aussi loin qu'ils en ont la possibilité", assure-t-elle. Reste à voir si ce modèle sera suivi: "On peut s'attendre à voir différentes productions, pour les chaînes privées ou le service public, aborder plus frontalement ces thématiques."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV