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Netflix raconte les mille vies de Bernard Tapie en série: "Il voulait construire sa propre légende"

Laurent Lafitte dans la mini-série "Tapie"

Laurent Lafitte dans la mini-série "Tapie" - Copyright Netflix

Netflix dévoile ce mercredi un biopic de l'homme d'affaires mort en 2021. Une mini-série avec Laurent Lafitte qui explore la fascination de l'ex-patron de l'OM pour les médias et la célébrité.

L'irrésistible ascension de Bernard Tapie, c'est ce que promet de raconter Netflix avec sa nouvelle mini-série Tapie, évocation en sept épisodes de la vie du célèbre homme d'affaires disparu en 2021. Créée par Tristan Séguéla (Un homme heureux) et Olivier Demangel (Novembre), elle retrace à travers ses réussites et ses échecs "le destin romanesque d’un personnage hors du commun", selon la plateforme de streaming.

Laurent Lafitte incarne le célèbre homme d'affaires aux milles vies, qui fut chef d'entreprise, ministre de la Ville mais aussi acteur, chanteur et propriétaire de l'Olympique de Marseille. Le comédien, qui a refusé tout mimétisme, donne la réplique à Fabrice Luchini, Joséphine Japy, Camille Chamoux, Patrick D'assumçao, Antoine Reinartz ou encore Hakim Jemili.

"Laurent évoque l'image qu'on a pu garder de Bernard Tapie et en même temps c'est une recréation", précise Tristan Séguéla rencontré fin août. "Il a pris beaucoup de plaisir, parce que je lui ai laissé beaucoup de liberté." Anciennement appelée Wonderman (le titre a été modifié à cause de Marvel), la mini-série a suscité l'ire de la famille Tapie, choquée par l'utilisation du mot "escroc" en amont de la promotion.

Opposé de son vivant

Bernard Tapie lui-même, de son vivant, s'était opposé au projet. Mais celui-ci n'est pas contraire à la loi. "On n'a juste pas le droit d'être diffamatoire ou de porter atteinte à la vie privée", précise Tristan Séguéla.

"La série n'est pas méchante, c'est Tristan Séguéla qui l'a faite, c'est le fils de Jacques [le publicitaire Jacques Séguéla, ndlr] qui est un ami de la famille", a d'ailleurs indiqué ce mardi le fils de Bernard Tapie, Laurent sur RMC.

Sans diaboliser Bernard Tapie, la série retrace ainsi son ascension jusqu'à son incarcération en 1997 dans le cadre de l'affaire VA-OM, un scandale de corruption pour lequel il a été emprisonné pendant près de six mois.

Chaque épisode met en scène un moment marquant de son parcours. Avec comme ambition de ne jamais le glorifier. A la fois redoutable en affaires et porté par un désir presque révolutionnaire de changer la France et la vie des Français, le Tapie de Lafitte a souvent des allures de grand enfant décontenancé dès lors qu'il se risque en politique ou sur le terrain judiciaire. Sa confrontation avec le procureur Éric de Montgolfier, qu'il tente d'amadouer pour étouffer l'affaire VA-OM, le montre bien.

La mini-série explore avant tout la fascination de l'homme d'affaires pour la célébrité. Une course à la célébrité qui a fait de lui l'une des personnalités françaises les plus marquantes des quarante dernières années tout en le conduisant à sa perte. Ses deux créateurs le réalisateur Tristan Séguéla et le scénariste Olivier Demangel racontent à BFMTV.com les coulisses de leur mini-série événement.

Comment est née cette série?

Tristan Séguéla: Au tout début, il y a la rencontre avec Laurent Lafitte et ce désir pour lui d'être Bernard Tapie à l'écran, et pour moi de raconter cette histoire au cinéma ou à la télévision. On se l'est dit sur le tournage de 16 ans ou presque (2013), mon premier film. Le premier jour, je lui ai dit qu'il ressemblait beaucoup à Tapie. Aussitôt après, j'en ai parlé à Olivier, avec qui je travaillais sur un film qui ne s'est jamais monté.

Olivier Demangel: Je connaissais son histoire, mais ce qui m'a tout de suite captivé, c'est comment Tapie s'est inventé une vie presque à l'américaine. Il y a tellement de romanesque, de rebondissements, d'aventure dans sa vie que c'est vertigineux. Je me demandais comment c'était possible d'avoir vécu autant de choses en même temps: le ministère, l'OM... Avec ce personnage, il y avait aussi la possibilité de raconter l'histoire de la France de la deuxième moitié du XXe siècle. Il n'y a pas beaucoup de personnages qui incarnent aussi bien un pays que lui.

Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie"
Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie" © Netflix

TS: On a tous grandi avec ce mec qui passait à la télévision, qui en a fasciné beaucoup, et en a rebuté d'autres. Dans mon cas, c'était aussi doublé d'une autre chose: j'ai eu la chance de le côtoyer quelques fois, surtout dans mon enfance. Ça a décuplé mon envie de raconter des histoires au cinéma.

Quels souvenirs avez-vous de Bernard Tapie?

TS: C'était quelqu'un de jovial, qui à la différence d'autres amis de mes parents mettait tout le monde sur un pied d'égalité - peut-être pour écraser son monde (rires). Tout le monde avait le droit à la controverse avec lui. Je me suis embrouillé gentiment avec lui! J'avais 11-12 ans. Il me prenait à partie. On parlait de foot, du Tour de France. Surtout de sport et plus tard de politique. C'était ses sujets de prédilection.

Tapie a-t-il toujours été envisagé comme une série?

OD: Très vite, on a pensé que ça ne pouvait pas être un film. L'histoire de Tapie, c'est l'histoire de la télévision. C'est l'histoire d'un homme qui vendait des télévisions, qui voulait entrer dedans et qui a fini par devenir la télévision. Par ailleurs, même un biopic de 2h15 ne nous laissait pas énormément de place pour évoquer ses multiples vies. Il aurait fallu faire d'autres choix. Ça n'aurait pas pu être ce biopic qui couvre une large période, avec un "rise and fall" [l'histoire de son ascension et de sa chute", NDLR] le plus complexe possible.

Pourquoi avoir choisi d'axer la série sur son désir de célébrité?

OD: On ne voulait pas raconter l'histoire d'un type qui rêvait de devenir milliardaire pour s'acheter un yacht et un hôtel particulier. Ce qui nous a intéressés, c'est son rapport à la gloire médiatique. On le montre dès la première scène. À 20 ans, une émission lui promet le succès dans la chanson. Face à lui, il y a Polnareff à qui on promet l'échec! Et c'est Polnareff qui deviendra une superstar, pas Tapie. On a voulu raconter comment il s'était relevé de ça pour obtenir la gloire médiatique.

Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie"
Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie" © Netflix

TS: Ce que provoque la télévision chez les gens, il veut en être. Ce qui est passionnant, c'est que sa soif du vedettariat a formidablement servi son ascension dans des proportions que même lui n'a pas anticipé. Il a créé une bulle de fascination autour de lui.

OD: Cette bulle a percuté un pays en mal de repères et de héros pour le sauver de la crise. C'est pour ça qu'il a plu à tant de gens et qu'il a tant déçu aussi par la suite. Il a incarné le héros qui allait sauver les gens, leur donner la volonté de s'en sortir, d'aller plus loin. Il y a eu trahison avec le foot, mais ce qu'il a incarné était vraiment de l'ordre du rédempteur.

Sa promesse, dans la série, c'est qu'il va changer la France.

TS: Il y a une scène dans le premier épisode où Tapie est face à un chariot de pâtisseries dans un bistrot. Il demande au garçon de café s'il peut tous les goûter. C'est quelqu'un qui veut goûter à tous les plats, qui veut tout essayer et qui croit être capable de tout faire. Et en fait sa vie prouve qu'il était capable de beaucoup, mais pas de tout faire. Il y a eu quelques ratés.

OD: Ce que les gens retiendront de lui, et ce qu'ils retiendront de la série, c'est sa dimension plus romanesque que révolutionnaire. Il n'a pas été au bout des révolutions qu'il avait lui-même initiées. Il était sincère, mais il n'a pas été au bout de ce cheminement qu'il voulait incarner. C'est comme Icare. Il a voulu toucher le soleil, il s'est brûlé les ailes et il est tombé.

La série se termine avec une chanson de Polnareff. Est-ce une manière d'ironiser sur le parcours de Tapie?

OD: Il y a de l'humour, mais pas d'ironie dans la série. On n'a jamais voulu se situer par-dessus lui. On voulait être par-delà le bien et le mal et raconter l'histoire d'un petit gamin de banlieue qui n'avait pas grand espoir de devenir quelqu'un d'immense dans la vie et qui a tout mis pour y arriver, que ce soit positif ou négatif.

Vous ne présentez d'ailleurs jamais Bernard Tapie comme un escroc.

OD: On ne voulait jeter aucun jugement moral sur lui. Et Tapie est une figure beaucoup plus complexe que ça. On voulait faire un portrait intime de ses aspirations et de ses désirs. Évidemment, il fait plein de choses dans la série qui sont affreuses, mais on ne voulait pas s'arrêter là-dessus.

Sauf lors de la confrontation entre Tapie et le procureur de Montgolfier...

OD: Cette scène est chargée d'énormément de symboles. Tapie n'est pratiquement jamais assis de la série. Il est toujours en mouvement. Et là, c'est la première fois où il est obligé de s'asseoir. Cette contrainte d'immobiliser ce personnage, mais aussi le spectateur, nous plaisait. Ça nous permettait de confronter Tapie à la réalité de ses choix. Ça évoque Crime et châtiment de Dostoïevski. On a beaucoup relu la scène de Raskolnikov chez son juge pour construire notre scène.

TS: Éric de Montgolfier a pas mal raconté ce qui s'était passé avec Tapie. On a repris quelques véritables formules du procureur comme 'Vous auriez pu être un météore et vous n'avez été qu'une nébuleuse' ou 'Vous êtes né par l'image, vous périrez par l'image.' Ce qui collait parfaitement au portrait que l'on voulait faire de Tapie.

Pourquoi la série se termine-t-elle en 1997 après son incarcération?

OD: C'était la fin naturelle par rapport au portrait de lui qu'on voulait faire. C'est évidemment un échec pour lui, mais c'est en même temps une immense réussite: il est devenu une légende. Il voulait construire sa propre légende.

Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie"
Laurent Lafitte dans la mini-série de Netflix "Tapie" © Netflix

TS: Dans la série, d'ailleurs, tout est vrai à 50%. On n'avait pas vocation à faire un biopic façon Wikipédia. Dès lors qu'on s'engage sur le terrain de la fiction, l'idée-même de vérité est louche. Les événements n'ont pas été inventés, mais la façon dont ils ont été vécus, oui.

Chaque épisode commence avec un carton précisant que le rôle de Dominique Tapie est fictionnel...

OD: En l'écrivant, la contrainte était d'inventer ce personnage. On ne voulait pas raconter la femme derrière l'homme, dans les coulisses, mais qu'elle interagisse avec lui. Faire de Dominique et Bernard Tapie un couple presque à la Bonnie et Clyde.

TS: Il y a quand même des éléments biographiques connus sur lesquels on s'est appuyés. Ils ont tout fait ensemble. Elle a été son prête-nom. Quand il s'engage en politique, elle le voit d'un mauvais œil et ça provoque beaucoup de remous entre eux. Elle ne s'en est jamais cachée et ça nous a beaucoup inspiré.

OD: Dominique Tapie, dans cette série, est clairement un personnage de fiction. On s'est inspiré de quelques éléments, car on ne voulait pas raconter n'importe quoi. En réalité, on ne sait rien du vrai personnage. Si ça se trouve, notre personnage n'a rien de la vrai Dominique.

TS: Elle va bientôt voir la série. On le saura.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV