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"Les Feux de l'amour c'est comme les tragédies grecques"

Victor (Eric Braeden) et Nikki (Melody Thomas Scott) deux personnages des "Feux de l'amour'.

Victor (Eric Braeden) et Nikki (Melody Thomas Scott) deux personnages des "Feux de l'amour'. - -

Quarante ans de "Feux de l'amour" et pas une ride. Quelles sont les recettes du succès de la série préférée des maisons de retraites? Le philosophe et spécialiste des séries télé Vincent Colonna nous éclaire.

Comment expliquer les quarante ans d'idylle entre le soap opéra Les Feux de l'amour et son public? Vincent Colonna, philosophe, sémiologue, spécialiste des séries télé et auteur de L'art des séries télé ou comment surpasser les Américains, nous explique pourquoi Les Feux de l'amour font toujours rêver les foules.

Y a-t-il un ingrédient secret dans les Feux de l'amour?

La recette de tous ces feuilletons, c'est d'arriver à faire rêver. Dans les Feux de l'amour, il y a les grandes familles, la vie dorée, un style de vie riche. Mais en même temps, ces familles sont confrontées à des problèmes que tout le monde pourrait connaître. On est à la fois proches et lointains.

Le rythme de diffusion y est-il aussi pour quelque chose?

Cela se passe en quotidien, donc quand vous êtes accro, ça devient une vraie came. Vous organisez votre emploi du temps, votre vie s'organise autour de ça. C'est très populaire, mais n'importe qui peut tomber là-dedans. Il suffit d'être obligé de regarder une semaine ou deux pour devenir accro.

La clé, c'est l'identification aux personnages?

C'est comme un bon film, on trouve des personnages à aimer, et d'autres à haïr. C'est un système où on se projette, mais pas de façon naïve. On reste extérieur au personnage. On est à la fois dans lui et on est en même temps capable de se retirer immédiatement si on n'est pas d'accord avec lui.

L'histoire et ses multiples rebondissements a-t-elle une importance?

On s'attache aux émotions. Dès l'instant que les émotions sont "vraies", dès l'instant que les émotions sont justes, on est prêt à accepter presque n'importe quoi. Dès l'instant où c'est juste en ce sens que ça pourrait être vécu, même si le langage n'est pas le même, même si c'est un décor, un autre milieu, même si ce n'est pas très bien écrit, ça fonctionne.

L'intrigue avance doucement, mais ce n'est pas grave. L'intrigue c'est la tige de la brochette. Ce qui compte, c'est les petits morceaux de viande, toutes ces scènes qui sont extrêmement banales. Même dans des situations extrêmes, on arrive à se projeter. Il y a des situations limites, mais auxquelles on a tous été confrontés. Mais le carburant de base, ce sont des choses extrêmement banales. C'est ça le secret. Et c'est pour ça que ça n'avance pas, et c'est pour ça que ça dure quarante ans!

Pourquoi ça marche en France?

Ca s'adapte aux évolutions de la société. Ce n'est pas seulement de la psychologie et de la vie quotidienne. En France on a plus de mal à le percevoir, parce que ça suit les grandes évolutions de la société américaine. Si une année, on va parler beaucoup de l'avortement, vous pourrez être sûr qu'il y aura dix avortements dans la série.

Cet univers doré, les gens riches, américains, fait que ça fonctionne d'autant mieux. C'est un mélange de proximité et de distance.

Quelle différence avec Plus belle la vie?

Plus belle la vie, c'est très français, ça se passe à Marseille, mais les fans disent "c'est trop proche, j'ai l'impression que c'est mon voisin". La distance, c'est ce qui permet de se projeter sans s'en rendre compte. Ca fonctionne mieux sur le plan inconscient.

C'est comme la tragédie grecque. Ou Racine, ou Corneille. Il y a des rois, des princes. Et comme c'est très lointain, on ne se rend pas compte qu'on se laisse aller complètement. On n'est pas en train de juger.

Les feuilletons dorés touchent plus les gens qui veulent s'évader, il y a un aspect dépaysement qu'on ne trouve pas dans les séries réalistes comme le feuilleton anglais Eastenders et Plus belle la vie. Mais le secret, c'est quand même la quotidienneté et la proximité.