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Lou Reed: l'esprit du rock s'en est allé

Lou Reed au festival des Vieilles charrues en juillet 2011.

Lou Reed au festival des Vieilles charrues en juillet 2011. - -

"Sex, drugs and Rock'n roll", la phrase colle bien à Lou Reed dont, avec le recul, la carrière fut d'une étonnante longévité. Retour sur le parcours d'une étoile du rock pas aussi filante que d'autres.

Une noirceur à faire passer les Stones pour des enfants de chœur, le tout sans jamais se départir d'une élégance artistique dont des générations se sont inspirées, telle est la légende de Lou Reed. Figure tutélaire de la musique rock, le chanteur est mort dimanche âgé de 71 ans, dans sa ville de New York à Long Island. Il avait bénéficié d'une greffe de foie en mai dernier, mais des complications l'ont finalement emporté.

Imprévisible, indomptable, irascible, les qualificatifs ne manquent pas pour celui qui cherchait le succès sans en vouloir et qui a hanté les platines pendant une cinquantaine d'années. Au cours de l'un des derniers entretiens accordés avant sa mort au Times début septembre, le musicien avait revendiqué un statut à part. "Je n'ai jamais vendu beaucoup de disques. Bon, d'accord, ça m'est presque arrivé, une fois (avec l'album Transformer). Mais j'ai toujours été à la marge, je le suis encore, je n'ai jamais fait ce qu'ils voulaient", expliquait-il. C'est vrai, Lou Reed, bisexuel, toxicomane, artiste provocateur et sans concession, capable de succès éclatants et de bides retentissants, n'a ménagé, ni son public, ni les critiques.

Comme souvent, la personnalité est moins à l'emporte-pièce que la légende. Retour sur une carrière exceptionnelle.

Amour de l'art et électrochocs

Louis Allan "Lou" Reed est né en 1942 à Brooklyn. Petit-fils d'immigrés juifs, Lou a fait américaniser son nom de Rabinowitz à Reed. La famille vit à Long Island.

Si son père est comptable à Manhattan, le jeune Lou Reed montre très tôt une nette appétence artistique. Dès cinq ans, il apprend le piano, mais préfère rapidement la guitare. Il se passionne pour la littérature, le jazz, le rock des débuts et le Doo-wop, sous-branche du Rythm and Blues.

Durant ses études à l'université de Syracuse dans l'Etat de New York, Lou Reed est marqué par le poète Delmore Schwartz, qui fut son mentor et à qui il dédiera plus tard, en 1966, la chanson European Son.

Son enfance prend un tour tragique, quand à l'âge de 17 ans, un psychiatre convainc ses parents de tenter de le "guérir" de tendances homosexuelles par électrochocs. De cette expérience traumatisante, Lou Reed tirera une chanson en 1975 intitulée Kill Your Sons (Tuez vos enfants) dans l'album Sally Can't Dance. C'est à partir de cette période que sa vie commence à déraper. Lou Reed commence devient dépendant aux médicaments.

Après un premier disque pour le label Pickwick, dans lequel il invente une dance absurde "The Ostrich" - qui consiste à danser sur la tête en essayant d'écraser cette dernière- Lou Reed crée son premier groupe à la fin des années 60. Le Velvet Underground, qui s'est d'abord appelé The Primitives puis The Warlocks, est né. Il le fonde avec des personnalités hautes en couleurs: le guitariste Sterling Morrison, le violoniste John Cale et Maureen Ann Tucker à la batterie. Leur premier album sorti en 1967, en association avec la chanteuse Nico, est un flop. Trois opus plus tard, Lou Reed commence sa longue très longue carrière solo.

L'année de la révélation

C'est l'album Transformer qui en 1972 marquera la reconnaissance de Lou Reed par le grand public. Son deuxième album solo réalisé au Royaume-Uni est produit par l'un de ses disciples européens, un certain David Bowie. Il comprend des titres inoubliables tels Vicious, Perfect Day ou le grand classique Walk on the Wild Side. Ce dernier lui a été inspiré par Andy Warhol, le pape du Pop Art. Dans cette chanson, il dresse le portrait d'habitués de la Factory, le laboratoire artistique du plasticien.

En 1974, l'album Sally Can't Dance marque un double retour: celui du chanteur dans sa ville de New York et celui du succès. Le disque est classé dans le top 10 des ventes aux Etats-Unis.

Echecs et cocaïne

D'un point de vue musical, le plus grand revers de Lou Reed est lié à l'album Berlin. Non seulement il fut à sa sortie un échec commercial retentissant, mais sa gestation a eu le don d'enrager les producteurs de RCA.

Pour sa réalisation Lou Reed s'était enfermé pendant des semaines dans un studio londonien avec six musiciens et de la cocaïne à volonté. Le résultat, qui ne sera apprécié à sa juste valeur que plus tard est qualifié de "désastre" et "pire album d'un artiste majeur de l'année" par le magazine Rolling Stone en 1973.

D'une manière générale, la drogue célébrée dans la chanson Heroin et l'alcool ont été des problèmes récurrents dans la vie de Lou Reed. En 1992, il écrivait "J'ai essayé de me débarrasser de la drogue en buvant. Mais ça n'a pas marché", admettait-il.

Provocateur

Lou Reed était la bête noire des journalistes. Réponses laconiques, agacement perceptible, impatience patente et remarques désagréables… il avait le don de rendre ses interviewers mal à l'aise en critiquant au premier chef la pertinence de leurs questions. Au Figaro il demandait par exemple le 23 novembre 2012: "Vous avez d'autres questions de ce niveau?"

La presse, come le rappelle le magazine Rolling Stone, lui rendait bien aussi. Après la sortie de l'album live Take No Prisoners de 1978 dans lequel il vilipendait nommément des critiques rock de l'époque, Robert Christgau, l'un des mis en cause lui répondait: "Lou excelle à trouver de nouvelles façons de chier sur les gens". Ce à quoi le rockeur répondait dans lors d'une interview accordée au journaliste Lester Bangs: "Mes conneries (bullshit) ont plus de valeur que les diamants d'autres personnes".

Une suffisance qu'il savait aussi distiller dans la musique, lorsque Lou Reed se faisait professeur. "Un accord suffit. Deux permettent de le mettre en valeur. Avec trois accords, c'est déjà du jazz", déclarait-il ainsi. Ironie de l'histoire, celui qui n'a pas toujours été compris par ses contemporains est finalement un de ceux qui a le plus influencé le punk, le rock alternatif et glam.

La sagesse sur le tard

Des années plus tard, l'héritage de Lou Reed est immense. Le critique, animateur et écrivain Philippe Manœuvre résume le mieux la singularité sur personnage: "A une époque où le rock parlait de fumer ses premiers pétards, lui avec son Velvet Underground était déjà passé à l'héroïne avec son mentor Andy Warhol le pape de la pop, qui l'a vraiment influencé plus que tout."

A noter tout de même que sur la fin, en couple depuis de nombreuses années avec l'artiste new-yorkaise Laurie Anderson, Lou Reed s'était quelque peu assagi, devenant entre autres un adepte assidu du taï-chi.

David Namias