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Eurovision: quand la géopolitique affleure sous les paillettes

Les candidats roumains à l'Eurovision 2015, pendant la demi-finale à Vienne, en Autriche.

Les candidats roumains à l'Eurovision 2015, pendant la demi-finale à Vienne, en Autriche. - Dieter Nagl - AFP

Au-delà de la vitrine qu'offre l'Eurovision sur la variété sirupeuse internationale, le concours porte de véritables enjeux géopolitiques, comme une sorte de miroir grossissant des relations entre les pays.

Né en pleine Guerre froide, le concours de l'Eurovision reste marqué par les considérations géopolitiques, qui percent régulièrement sous le strass et les paillettes, malgré le caractère officiellement "apolitique" de l'émission.

Avec 40 pays en lice cette année, dont 27 se retrouveront en finale à Vienne samedi, le rendez-vous fétiche de l'Union européenne de radio-télévision (UER) recouvre inévitablement son lot d'amitiés et d'inimités nationales, quand ce ne sont pas des conflits ouverts.

Candidates russes sifflées

En 2014, l'ex-champion de boxe ukrainien Vitali Klitschko avait ainsi appelé les Européens à voter pour son pays, alors que la Crimée venait d'être annexée par la Russie. L'Ukraine - absente cette année en raison du conflit - ne l'avait pas emporté. Mais les candidates russes avaient été copieusement sifflées et la victoire de la diva barbue autrichienne Conchita Wurst avait été interprétée comme un pied-de-nez au président russe Vladimir Poutine, qui l'avait d'ailleurs critiquée.

Mardi en demi-finale, la nouvelle candidate russe, Polina Gagarina, a recueilli des applaudissements nourris avec un titre vantant l'amour universel. Mais certains ont jugé "cynique" le contenu de la chanson alors que se poursuit le conflit en Ukraine.

Chansons à double sens

Un peu plus loin à l'est, l'Arménie a été obligée de modifier le titre de son opus: Don't deny (Ne niez pas) a été considéré comme une injonction trop directe à la Turquie, qui refuse de reconnaître comme génocide les massacres d'Arméniens de 1915. La chanson a finalement été rebaptisée Face the shadow (Faites face à l'ombre).

La Turquie ne répliquera pas sur la scène de l'Eurovision cette année: son gouvernement islamo-conservateur a claqué la porte du concours en 2012, un an après que la Suède a transmis les images de deux danseurs s'embrassant. Ankara a toutefois promis un retour en 2016.

En 2009, l'Eurovision avait déjà retoqué la chanson de la Géorgie We don't wanna put in, dont le titre en forme de jeu de mot apparaissait ouvertement comme un rejet du président russe. Deux ans plus tôt, en revanche, Israël avait réussi à passer entre les gouttes avec Push the button (Appuyez sur le bouton), un hymne interprété comme une invitation à bombarder l'Iran.

Miroir des relations entre l'Ouest et l'Est

Il est à noter par ailleurs que si plusieurs pays arabes sont membres de l'UER, aucun ne participe au concours. Les incidents peuvent être énumérés presque à l'infini, du boycott par l'Autriche en 1969 de l'Eurovision organisé en Espagne franquiste, au refus de l'Arménie de participer à l'édition 2012 en Azerbaïdjan.

Mais c'est la Guerre froide qui a le plus durablement marqué l'Eurovision, selon le chercheur Dean Vuletic, de l'université de Vienne. "L'Eurovision a représenté un formidable miroir des relations entre l'Ouest et l'Est durant cette époque", indique-t-il. Créé en 1955 par les télévisions publiques occidentales, le concours avait été rejoint dès 1961 par la Yougoslavie, dans ce qui était apparu comme un geste fort d'indépendance de Tito vis-à-vis de Moscou.

Printemps de Prague

L'URSS avait alors créé son propre concours, "Intervision". En 1968, en plein écrasement du Printemps de Prague par les chars russes, l'Autriche avait également manié le symbole en se faisant représenter par un chanteur tchèque, Karell Gott. A la chute du Rideau de fer, l'adhésion à l'Eurovision avait été l'un des premiers mouvements des anciens pays du bloc soviétique.

"C'était la première organisation occidentale que les anciens pays communistes pouvaient rejoindre" immédiatement, note Dean Vuletic. L'intérêt de ces pays pour le concours a d'ailleurs nettement décliné à mesure qu'ils intégraient des structures comme l'Otan ou l'Union européenne, relève le chercheur. En tout état de cause, "les prises de positions nationalistes ne paient guère" pour ceux dont l'objectif est de gagner le concours, rappelle-t-il. "Avoir un bon message politique ou social au bon moment peut aider, mais il faut qu'il soit universel".

M. R. avec AFP