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Dans la tête d'une fan des One Direction

Des fans du groupe One Direction, à Londres en 2013.

Des fans du groupe One Direction, à Londres en 2013. - Andrew Cowie - AFP

Alors que les groupies de One Direction sont au plus mal après le départ de Zayn Malik, le sociologue Gabriel Segré, spécialiste des fans, décrypte le phénomène pour BFMTV.com.

Elles sont effondrées dans leur chambre d'ado, le coeur brisé, les yeux rougis par les larmes. Les fans de One Direction, le boys band américain au succès planétaire, encaissent mal le départ de l'un des membres, Zayn Malik. Et si la nouvelle n'empêche pas grand monde de dormir, la terre a cessé de tourner pour les "Directioners". Qui sont ces fans éplorées? Le sociologue Gabriel Segré, maître de conférence à l'université de Nanterre, et auteur de Fan de... Sociologie des nouveaux cultes contemporains décrypte pour BFMTV.com la ferveur des fans, leurs codes et leurs motivations. Interview.

C'est quoi être fan?

Pour aller vite, le fan a pour passion un objet de la culture médiatique ou "de masse", il se définit lui-même et souvent revendique ce "statut". Le fan vit souvent collectivement sa passion et fait partie d’un groupe. Plusieurs pratiques le définissent, comme le suivi de la vedette- physiquement, sur Internet ou dans les médias-, les achats d’articles liés à celle-ci, la participation aux tournées, une forme de militantisme, d’expression souvent ostentatoire de l‘admiration.

Le fan se définit aussi par un certain niveau d’engagement dans la passion (en temps, en argent, en efforts, en affect…). L’attachement du fan à la vedette est exclusif, la passion ne permet pas la dispersion. Et il connaît et maîtrise l’univers de la vedette, tant esthétique que biographique et privé.

S'engager dans une passion pour une vedette fait partie d'un processus normal de construction de soi à l'adolescence. Cela va de pair avec le désir de s'émanciper de la culture parentale, et d'acquérir une culture propre à sa génération. L'adolescence valorise la passion vécue à fond. Chez l'adolescent, le mode d'expression de la passion est beaucoup moins distancié que chez l'adulte. Quand on a 13 ans, on porte le t-shirt à l'effigie des One Direction, on crie. Et puis à 17-18 ans, on passe à autre chose.

C'est aussi un âge auquel on veut s'essayer au sentiment amoureux. Le fait d'aimer comme cela, de façon éperdue, une vedette permet d'expérimenter le sentiment amoureux sans le risque du passage à l'acte. C'est une relation amoureuse virtuelle, développée en toute sécurité, qui permet d'éprouver des sentiments bien réels.

Des fans des One Direction à New York
Des fans des One Direction à New York © Noam Galai - Getty Images - AFP

Certaines fans vont jusqu'à parler suicide, faut-il s'en inquiéter?

Depuis les premières vedettes, il y a eu quelques épisodes dramatiques, des passages à l'acte, mais ils sont extrêmement rares. Il y a chez les fans de One Direction une expression exagérée de la passion. Il ne faut pas les prendre au premier degré. Il peut y avoir des passages à l'acte, mais c'est le cas de personnes qui souffrent par ailleurs d'un déséquilibre, d'une pathologie.

Pour la très grande majorité des fans, ces messages sont les témoignages de leur passion. C’est le propre du fan que d’être engagé, investi corps et âme, démonstratif dans sa passion. Ce type de démonstration prouve la sincérité de la ferveur. Si cela paraît excessif, c'est aussi de l'ordre de la mise en scène. Ce sont des comportements valorisés au sein de la communauté des fans et qui témoignent de l'authenticité de leur engagement, de leur l'investissement. 

Pourquoi les One Direction font-ils l'objet d'une telle idolâtrie?

On peut souligner l'efficacité du star-système, de la télévision, des médias, de l'émission de télé-crochet X-factor, dont sont issus les One Direction, de la télé-réalité comme mode de construction des vedettes. Le sociologue Edgar Morin a ainsi montré que le star-système américain faisait de l'acteur ou du chanteur une marchandise qui était sélectionnée, standardisée, manufacturée, apprêtée, puis lancée sur le marché, diffusée et promue.

One Direction a été façonné comme une marchandise. Et cela fonctionne très bien, parce que c'est un objet bien conçu, une marchandise de qualité, parfaite pour séduire un public de pré-adolescents. Ils sont très beaux, ils bougent bien, ils chantent bien. Les compositions, une pop un peu sucrée, correspondent bien aux attentes et aux goûts des pré-adolescents. Ils sont parfaitement diffusés, parfaitement promus.

Et puis ils sont des objets d'identifications efficaces, dans la mesure où ils partagent avec leur public l'âge, les codes vestimentaires, la culture, le langage. Ils sont très proches de leur public. One Direction profite de ce désir adolescent d’une culture propre, qui a fait le succès avant eux d’Elvis, des Beatles, de Johnny, de Bruel, de Justin Bieber, etc.

Les réseaux sociaux ont-ils modifié le phénomène des fans?

Cela accentue le phénomène et accélère le succès. Les One Direction ont à peine cinq ans d'existence et déjà une carrière époustouflante. Ils ont très vite enregistré un album, fait une tournée, ils sont déjà objets de plusieurs biographies... Les réseaux sociaux accentuent le processus de la notoriété, mais aussi la communication des fans. Ils permettent de renforcer la communauté, la relation entre ses membres. Les adolescents sont soumis à ce que la sociologue Dominique Pasquier appelle la "tyrannie de la majorité". Les réseaux sociaux accélèrent aussi le travail de prescription de la communauté. 

Les réseaux sociaux permettent enfin au groupe -les One Direction- de communiquer avec les fans et de contribuer à la construction de cette relation affective forte. Le fan a l'impression de connaître intimement les membres du groupe. Avant, cela passait par l'achat des disques, la lecture des journaux, maintenant les stars peuvent raconter ce qu'elles mangent au petit déjeuner, ce qu'elles aiment. Cela favorise la construction de cette relation intime, qui est un point central dans l'explication de la passion, et de la détresse, quand il y a mort ou départ d'un membre, comme l'a fait Zayn Malik.

Une fan de One Direction aux Philippines.
Une fan de One Direction aux Philippines. © Noël Celis - AFP
Propos recueillis par Magali Rangin