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Dans "L’Arabe du futur 5", Riad Sattouf raconte son secret de famille le plus sombre

Riad Sattouf

Riad Sattouf - Joel Saget - AFP

Riad Sattouf publie le cinquième tome de son autobiographie dessinée. Un album qui raconte en détail son secret de famille le plus sombre: le "crime" commis par son père au début des années 1990.

Il y a deux ans, le quatrième tome de L'Arabe du futur de Riad Sattouf se terminait sur un cliffhanger aussi insoutenable qu’imprévisible: un secret de famille qu’il est impossible de révéler ici et que Riad Sattouf qualifie pudiquement de "coup d’état".

Les conséquences de ce "crime" commis par son père, un professeur d'université fasciné par le panarabisme et les dictateurs du Moyen-Orient, sont évoquées dans le cinquième tome de L'Arabe du futur, disponible en librairie à partir de ce jeudi 5 novembre.

Couvrant les années 1992-1994, cet album drôle et sombre raconte le désarroi de la mère de l’auteur face au comportement erratique de son mari. Au lieu d’évoquer cette histoire personnelle dès le premier tome de L'Arabe du futur, et d’axer le récit entièrement sur celle-ci, le dessinateur a préféré attendre la fin de la série (le prochain tome, prévu en 2021 ou 2022, sera le dernier) pour surprendre ses lecteurs.

"J'ai choisi de ne pas y faire référence dès le départ, car la chose n'était pas arrivée dans la chronologie et je voulais que le lecteur vive l'histoire comme je l'avais vécue", commente simplement Riad Sattouf. "Je préfère ne pas trop en dire, il faut laisser une part de mystère et ne pas tout expliquer", ajoute-t-il encore.
Couverture de "L'Arabe du futur 5"
Couverture de "L'Arabe du futur 5" © Allary Editions

Peut-être est-ce lié au sujet, mais le dessinateur confie avoir rencontré un peu plus de difficultés lors de la création de ce nouvel Arabe du futur 5 que lors des précédents: "Certains aspects de l'histoire étaient compliqués à retrouver", concède-t-il. "Ils n'étaient pas forcément très agréables à revivre, mais il était nécessaire pour moi de repasser par ces chemins."

Ce nouvel album se distingue également des précédents tomes par sa couverture. Là où les précédentes faisaient référence au rouge, au noir et au vert des drapeaux syriens et libyens, celle du tome 5 laisse apparaître comme dans un album de Tintin un ciel bleu pétant. Symbole de calme et de sérénité, le bleu fait ici écho au drapeau de la France, où se déroule l’action, tout en étant le commentaire ironique d’une situation qui s’avère en réalité dramatique et traumatique.

Histoire de fantômes

En lisant ce nouvel album de L’Arabe du futur, le lecteur comprendra que le véritable sujet de la série n’est pas l’enfance entre deux continents de son auteur, ni les conflits de civilisation entre la France et la Syrie, mais bien l’emprise exercée par sa famille sur lui.

Qu’il s’agisse de l’emprise de son père après son "coup d’état" ou celle de ses cousins syriens rigoristes, Riad Sattouf décrit avec précision dans L’Arabe du futur la difficulté de se construire face à des personnalités aussi étouffantes - et permet aussi de comprendre certaines obsessions de cet auteur qui revendique en interview son côté "control-freak". Riad Sattouf dit pour autant n’avoir aucun plan pour sa série et assure se laisser guider par son inconscient:

"Une grande part du récit, son écriture, est gouvernée par l'inconscient, au sens psychologique. Il est important pour moi de laisser une grande part d'improvisation, L’Arabe du futur est presque écrit en écriture automatique! C'est la seule façon selon moi de laisser entrer une vitalité et une nature organique dans le récit. Je fais un premier jet, puis j'examine ce qui est venu, et le réadapte, le tords, je mets en avant et pousse certains thèmes apparus... Je ne décide jamais à l'avance des thématiques que je vais aborder", précise l’auteur, qui a pu être qualifié d’hypermnésique par la presse à la sortie du premier tome.
Riad Sattouf découvre Lovecraft dans "L'Arabe du Futur 5"
Riad Sattouf découvre Lovecraft dans "L'Arabe du Futur 5" © Allary Editions

L’Arabe du futur 5 est une histoire de fantômes. C'est aussi l’album de Riad Sattouf comportant le plus grand nombre de scènes terrifiantes et de monstres réels ou fantastiques. Un aspect assez inattendu dans son œuvre, où l’humour l’emporte toujours sur le drame, et qui correspond à la période de sa vie dépeinte dans l’album:

"L'adolescence est la période où l'on découvre l'univers des récits 'adultes', des chimères et des cauchemars littéraires et artistiques... Il y a un éveil à la noirceur de l'être humain qui se passe à cet âge là, par l'accès à ces récits plus matures."

"Les ados, des créatures perdues entre deux mondes"

L’Arabe du futur 5 raconte justement sa découverte des littératures de l’imaginaire, des récits horrifiques de Lovecraft aux BD hallucinées et psychédéliques de Philippe Druillet. Il s’agit aussi de l’album de la série où son inconscient est le plus malmené et le plus assailli par des cauchemars ou les conseils de son cousin.

Difficile d’y voir un hasard au vu des thématiques de l’album, bien que Riad Sattouf refuse pour l’heure d’avancer sur ce terrain: "Arrive l'âge où l'on doit se confronter au monde, où l'on quitte l'enfance et où l'on n'est pas encore un adulte. Les adolescents sont des créatures perdues entre deux mondes, je voulais illustrer cela."

Riad Sattouf découvre la BD dite "adulte" dans "L'Arabe du Futur 5"
Riad Sattouf découvre la BD dite "adulte" dans "L'Arabe du Futur 5" © Allary Editions

Après avoir réalisé un "remake" dessiné de Ma Circoncision (2004) dans le troisième tome de L’Arabe du futur, Riad Sattouf semble refaire cette fois Retour au collège (2005) et La Vie secrète des jeunes (2007). Encore une fois, c’est son inconscient qui parle: "J'ai souvent la sensation que mes livres viennent d'eux-mêmes, ce sont eux qui choisissent leur contenu et leur forme. Je dois m'adapter et respecter leurs choix!"

Reste le plaisir du dessin, intact depuis l’enfance. Dans une scène amusante, un de ses camarades, qui dessine aussi bien que lui, explique qu'être dessinateur c'est s’exposer à "une grosse vie de merde". Presque trente ans plus tard, Riad Sattouf ne regrette pas son choix: "J'aime ça chaque jour de plus en plus. Ayant commencé à faire des bandes dessinées jeune, je me suis rendu compte que j'avais passé la plus grande partie de ma vie comme auteur! C'est un grand bonheur pour moi."

L’Arabe du futur 5 (1992-1994), Riad Sattouf, Allary, 176 pages, 22,90 euros.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV