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"Une chance sur deux", la "gifle monumentale" de Belmondo et Delon au box-office

Alain Delon, Vanessa Paradis et Jean-Paul Belmondo dans "Une chance sur deux" de Patrice Leconte

Alain Delon, Vanessa Paradis et Jean-Paul Belmondo dans "Une chance sur deux" de Patrice Leconte - Studio Canal

Dans les coulisses des comédies françaises (5/12) - Cet été, BFMTV vous dévoile les secrets de films comiques hors-normes, cultes ou insolites. Aujourd’hui, Une chance sur deux.

"C'était une fausse bonne idée à laquelle j'ai cru." Une chance sur deux, l'ultime film avec Jean-Paul Belmondo et Alain Delon ensemble à l'écran, est un souvenir doux-amer pour son réalisateur Patrice Leconte. Échec au box-office en 1998, cette comédie d'action représente surtout leur chant du cygne au cinéma.

Tout commence dans le courant de l'année 1994. Le producteur Christian Fechner fait venir dans son bureau Patrice Leconte, avec qui il a signé plusieurs succès dans les années 1980, comme Les Spécialistes. Connu pour avoir organisé en 1976 le retour de Louis de Funès dans L'Aile ou la cuisse, Christian Fechner aime marquer les esprits.

Sa nouvelle idée semble tout aussi impossible à réaliser: reformer le duo Belmondo-Delon, que l'on n'a plus vu au cinéma depuis Borsalino en 1970, et l'enrôler pour un film dans la veine des Spécialistes (1985). "C'est un film de producteur", insiste Hervé Truffaut, producteur exécutif et proche collaborateur de Christian Fechner pendant 27 ans.

Patrice Leconte accepte aussitôt. Bruno Tardon, scénariste des Spécialistes, débute l'écriture, avant d'être remplacé par le réalisateur et son producteur: "Il nous a proposé une histoire qu'on a trouvée pas mal, mais on pensait qu'on pouvait trouver mieux. Le scénario original était très différent de ce qu'est devenu le film."

Un plagiat des "Compères"?

L'histoire est simple: à sa sortie de prison, Alice, une jeune délinquante, apprend que sa mère a aimé deux hommes en même temps et que l'un des deux est son père. Alice part aussitôt sur la Côte d'Azur pour les rencontrer... Un scénario qui fait un peu penser à celui des Compères (1983) de Francis Veber:

"Quand tout a été terminé, j'ai reçu un coup de fil de Francis Veber qui m'a dit, 'Vous savez, je ne vous fais pas un procès, mais je voulais juste vous demander si vous aviez pensé à mon film Les Compères quand vous avez écrit votre film?'. Très sincèrement, on n'y avait jamais pensé", assure Patrice Leconte.

S'ils conditionnent leur accord à la qualité du scénario, Belmondo et Delon ont pleinement confiance en Patrice Leconte. "Bébel" avait été séduit par Les Spécialistes - et il avait entendu grand bien sur lui de [Jean-Pierre] Marielle et [Jean] Rochefort après Les Grands ducs. Delon, de son côté, avait adoré Ridicule, qu'il considérait "comme un petit chef-d'œuvre".

Patrice Leconte fait appel à Patrick Dewolf, également scénariste des Spécialistes, pour fignoler chaque détail. Ils placent les deux stars en rivaux, et même cocus l'un par l'autre: "On voulait que ce soit moderne, drôle, qu'il y ait une part d'autodérision, que ce ne soit pas un film mâchoires serrées, maxillaires immobiles: que ce soit un film léger."

Pas assez d'autodérision

Les dialogues font référence à leur carrière. Avec Serge Frydman, son complice des Grands ducs, Leconte se régale, mais hésite à bousculer ses stars: "Quand on écrivait, on se disait qu'ils ne voudraient jamais jouer ça. Avec Delon, on marchait sur des œufs, et en fait, il était partant. Sinon, on y serait allé à fond."

Les deux stars acceptent d'autant mieux l'autodérision que le projet ne cherche pas à les tourner au ridicule. "Ils avaient envie de ce film", poursuit le réalisateur. "Pas un mot de dialogue n’a été rajouté. Ils n'ont fait aucune remarque. Je n'ai reçu ni critique ni contestation pour le scénario. Ça leur a plu. On a tourné."

Patrice Leconte s'autorisera quelques ajouts de dernière minute. Sur le plateau, le réalisateur improvisera notamment un clin d'œil à Borsalino dans la scène où les deux compères pénètrent dans une cache d'armes. Alors qu'ils s'emparent d'armes des années 1930, quelques notes de la bande originale de Claude Bolling retentissent.

La question du nombre de gros plans attribués à chaque star - qui avait fait les choux gras de la presse à l'époque de Borsalino - n'est pas mentionnée dans les contrats. Fechner leur propose d'ailleurs un cachet rigoureusement identique. "C'était équilibré de manière incroyable dès le départ", confirmera Belmondo à la sortie.

"Une lumière de film américain"

Pour Alice, Patrice Leconte suggère Vanessa Paradis: "Ça me plaisait qu’il y ait une autre génération. Avoir une personne acidulée comme Vanessa entre eux, je trouvais ça précieux et intéressant pour l'imagination." "Ils n'auraient pas accepté de se réunir dans un film où ils n'auraient été que tous les deux", assure Hervé Truffaut.

La simple promesse de retrouver à l’écran Delon et Belmondo enthousiasme chaînes de télévision et distributeurs. "Je ne dis pas que ça a été une partie de plaisir à monter financièrement, mais les gens avaient envie de voir le film", se souvient Hervé Truffaut. "Il n'y avait plus beaucoup de couples de cinéma aussi prestigieux que celui-là."

Le budget total, estimé à 150 millions de francs (33 millions d'euros), est aussi colossal que ses stars. "Christian Fechner voulait qu'il y ait les moyens", glisse Hervé Truffaut. Patrice Leconte souhaite ainsi "une lumière de film américain" et fait appel au chef opérateur Steven Poster, dont il a aimé le travail sur Traquée (1987) de Ridley Scott.

Fechner déploie aussi de grands moyens pour que ses stars ne manquent de rien: garde du corps, chauffeur, habilleuse, maquilleuse, coiffeur... "Quand on tournait au fin fond du Verdon, où il n'y avait personne à part nous, les gardes du corps se tournaient les pouces. Je me demandais pourquoi on les payait", soupire Leconte.

Sous haute sécurité

Avant le tournage, l'équipe se retrouve pour une lecture du scénario. "Delon déployait des trésors de jeu, comme pour prouver qu'il était vraiment sur le coup. Et Belmondo - par esprit de contradiction ou goguenardise - lisait comme un enfant qui a appris à lire le mois dernier. On était à deux doigts du fou rire avec Vanessa", se souvient Leconte.

Le tournage, prévu pour durer dix semaines, débute le 5 mai 1997 au Grisy Apples, une boîte de nuit située à Grisy-Les-Plâtres (Val d'Oise). La première scène filmée est celle où les personnages de Belmondo et Delon se rencontrent pour la première fois et s'affrontent à mains nues, comme dans Borsalino.

"C'était le bon diapason pour lancer le film", commente Patrice Leconte. "Je voulais aussi me débarrasser de cette scène, parce que je n'aime pas filmer des gens qui se tapent dessus. Je fais ça très peu, et à chaque fois, ça m'angoisse. Je n'y connais rien. Je ne suis pas bagarreur."

Le plateau est sous haute protection, pour préserver le secret. Durant trois jours, même Pierrot Coveliers, le patron du Grisy Apples, doit montrer patte blanche pour entrer dans son établissement. "On n'avait pas de contact direct avec eux", se souvient son fils Ronny Coveliers, alors âgé de 22 ans. "Il n'y avait que l'équipe du film qui pouvait accéder à la discothèque."

En hélicoptère

Le tournage, qui se poursuit sur la Côte d’Azur (Nice, Antibes, Monaco, Le Castellet), se déroule à merveille. Sur le plateau, Belmondo et Delon rattrapent le temps perdu et discutent pendant de longues heures de sport et de boxe.

"C'était deux vieux galopins contents de faire du cinéma ensemble", confirme Patrice Leconte. Le réalisateur se souvient aussi d'une "compétition manifeste" entre les deux hommes, qui "déployaient des trésors de gentillesse et d’humour" vis-à-vis de Vanessa Paradis. "Ils l'ont vraiment prise sous leur aile."

La bonne ambiance est aussi maintenue grâce à l'énergie de Patrice Leconte, se rappelle Jacques Roman, qui incarne l'avocat véreux Me Varinot: "On a l'impression avec lui que tout se fait dans une danse légère, mais on sent bien sa capacité d'autorité." "Il me rappelle Truffaut et Renoir", lance même Belmondo sur le plateau.

"Je me vante, mais tant pis: j'avais bien préparé le film et je savais exactement ce que je voulais", répond l'intéressé. "J'avais l'impression [chaque matin] d'être à la tête d'un train électrique géant. Aujourd'hui, je n'en suis toujours pas revenu."

Entre les prises, Belmondo se montre très chaleureux, fidèle à sa légende. Chaque matin, il serre la main des techniciens. Le midi, il mange à la table des cascadeurs. Accompagné de son chien, une sorte de loup des Abruzzes, Delon est lui aussi fidèle à sa légende: plus distant, il s'isole dans sa caravane et se déplace en hélicoptère.

"Dès qu'il avait fini un truc, il prenait un hélico et redescendait à Nice. Il était gentil, mais ce n'était pas pareil qu'avec Bébel, qui rigolait tout le temps avec nous", note Francis Bataille, l'un des cascadeurs. "A Monte-Carlo, il y avait beaucoup de monde. Belmondo signait des autographes. Delon restait à part", ajoute Jacques Roman.

Suspendu à un hélicoptère

Comment diriger deux légendes? En bousculant légèrement leurs habitudes de jeu. "J'avais envie que ça aille à cent à l'heure, tout le temps", réagit Patrice Leconte. "C'est vrai que parfois j'avais besoin de leur dire qu'il fallait jouer plus vite, que ça pulse, mais ils étaient en demande, à l'écoute. J'obtenais ce que je voulais. Ils étaient très dociles."

Pour les cascades, Belmondo est en revanche moins docile et fonce à toute vitesse au volant de bolides pour réaliser des cascades coordonnées par le spécialiste du genre Rémy Julienne. "Il aimait tout faire lui-même", confirme Francis Bataille. "On avait juste à lui expliquer les détails, comme à un cascadeur, et il se lançait."

Lors du climax, "Bébel" doit également se suspendre à un hélicoptère, comme dans Le Guignolo (1980). Il insiste pour être sur tous les plans, même ceux où on le voit à peine: "C'est la dernière fois de ma vie que je fais ça, alors laissez-moi y aller!", lance-t-il. Les assurances refusent pourtant de le couvrir, au grand dam de la production.

"Pour un mec comme lui, 64 ans, c'était la force de l'âge. Il était en pleine forme physique", s'exclame Hervé Truffaut. Le jour de la cascade, par superstition, Fechner préfèrera ne pas se rendre sur le plateau. "Christian ne tentait pas le diable", sourit Hervé Truffaut. "Il ne voulait pas porter la poisse."

"Patrice, on va faire un carton!"

La plus grande cascade du film reste celle où Belmondo et Delon dévorent goulûment - sans doute pour la première fois de leur vie - des Big Mac chez McDonald's. "Ils n'y allaient pas de main morte", s'amuse Patrice Leconte. Tout du long du tournage, qui se termine en juillet, Christian Fechner répète comme un mantra: "Patrice, on va faire un carton!"

La post-production se déroule sans interventionnisme des deux stars, insiste Patrice Leconte: "On leur a montré le film quand il était terminé, au mixage, quand on pouvait faire des modifications éventuelles, mais ils n'ont fait aucune remarque. Ils aimaient le film. Ils étaient contents de l'avoir fait."

Satisfaits, Leconte et Fechner décident "de ne pas trop montrer le film afin de lui conserver toute sa fraîcheur". Ils le projettent à certains médias comme Studio et Première qui accueillent le film de manière contrastée. Assailli d'un "petit doute" à l'approche de la sortie, Leconte organise une ultime projection pour la presse régionale, qui adore.

"Comme un bulldozer"

Une chance sur deux sort le 25 mars 1998 dans 536 salles, accompagné par une imposante campagne marketing. "La sortie a été très bien orchestrée", salue Patrice Leconte. "Fechner pensait vraiment que ce film serait comme un bulldozer." Belmondo et Delon participent activement et sincèrement à la promotion.

L'affiche d'"Une chance sur deux"
L'affiche d'"Une chance sur deux" © Studio Canal

Les critiques sont mitigées. Si Le Figaro loue "l'élégance" de "cet hommage ludique et courtois au cinéma populaire", Le Monde estime qu'Une chance sur deux "ressemble à un spectacle de vieux clowns pétomanes". "On peut en dire du mal puisque, de toute façon, ça va marcher", lancera Monique Pantel dans Les Grosses Têtes sur RTL.

C'est l'inverse qui va se produire. Au terme de son premier jour, Une chance sur deux totalise seulement 16.682 entrées à Paris. Catastrophée, la production annule la soirée pour célébrer les premiers chiffres. Impossible de joindre Fechner, qui reste cloîtré chez lui. "Il était très meurtri, parce c'était son ambition. Il l'a pris de plein fouet."

Le lendemain, Patrice Leconte oublie la déconvenue en tournant au parc Montsouris une publicité pour les yaourts de fruits allégés. Une offre qu'il avait acceptée quelques semaines plus tôt pour lui permettre "de penser à autre chose" et surtout l'empêcher de rester chez lui "sur le canapé à fumer des clopes et en regardant le plafond".

"Une gifle monumentale"

Les chiffres de la première semaine ne font que confirmer leurs craintes: avec 430.015 entrées, Une chance sur deux ne décroche que la seconde place d'un box-office encore dominé par Titanic. Malgré l'ajout de 23 salles pour sa deuxième semaine, le film est relégué à la cinquième place, avec 274.317 entrées.

Une chance sur deux termine sa carrière avec 1.056.810 entrées. Il aurait fallu dépasser les trois millions pour le rentabiliser. "J'ai eu le sentiment d'une gifle monumentale", résume Patrice Leconte. "Quand vous battez le tambour, et qu'à l’arrivée personne ne vient, vous avez l'air d'un con."

Jean-Paul Belmondo, sa compagne Natty, Alain Delon, sa compagne Rosalie van Breemen et Vanessa Paradis à l'avant-première d'"Une chance sur deux" au UGC Normandie à Paris le 13 février 1998
Jean-Paul Belmondo, sa compagne Natty, Alain Delon, sa compagne Rosalie van Breemen et Vanessa Paradis à l'avant-première d'"Une chance sur deux" au UGC Normandie à Paris le 13 février 1998 © PATRICK KOVARIK

Le cinéaste écrit un mot à Belmondo, puis téléphone à Delon. "J'avais envie de leur dire que j'avais adoré faire ce film avec eux, que ça ne marchait pas, qu'on était tous infiniment tristes et que ce n'était pas de leur faute, mais [lié] au manque d’envie des spectateurs. Et quand il n'y a pas l’envie, vous pouvez toujours sortir les avirons…"

Avec un duo comme Lanvin-Giraudeau ou Reno-Clavier, le film aurait-il mieux marché? Difficile à dire. Mais il est certain que la formule Belmondo-Delon avait fait son temps: deux semaines après Une chance sur deux, Taxi déboule sur les écrans. Son succès en fera un modèle du genre pour la décennie à venir.

"Je ne me sentais pas légitime"

Une chance sur deux marque le chant du cygne de Belmondo et Delon. Le premier, terrassé par un AVC en 2001, réduira ses apparitions à l'écran. Le second aussi, après avoir annoncé qu'il envisageait de prendre sa retraite après la sortie. "Je crois que j'ai tout dit au cinéma", avait-il déclaré sur TF1. "Je n'ai plus envie de dire des choses."

Homme de parole, Alain Delon refusera toutes les propositions qu'on lui enverra et ne jouera plus qu'à deux reprises pour le cinéma, notamment dans Toute ressemblance (2019) de Michel Denisot le temps d'une scène muette tournée en moins de deux heures, au théâtre du Rond-Point à Paris.

Patrice Leconte, lui, rebondira vite. Contacté pour être juré au Festival de Cannes, il refuse. "Je ne me voyais pas sortant d’un échec en train de juger le travail de mes confrères. Je ne me sentais pas légitime." Il préfère se consacrer à La fille sur le pont, projet qu'il tourne dans la foulée, en août, et qui lui vaudra un beau succès en salles.

Retrouvez l'intégralité de la série "Dans les coulisses des comédies françaises" dans notre dossier. Notre podcast original Comédies Club est disponible sur toutes les plateformes.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV