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LIGNE ROUGE - Brigitte Bardot, confidentiel

BFMTV retrace le parcours de cette icône qui a toujours fait l'objet de controverses. D'abord comme symbole de la libération des femmes, puis comme militante de la cause animale aux propos réactionnaires.

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Difficile de résumer la vie de Brigitte Bardot. Elle a été une icône du cinéma français, un symbole de l'érotisme mondial, une pionnière de la libération des femmes, avant de tout abandonner pour dévouer sa vie à la cause animale. Aujourd'hui, loin du glamour des caméras, ce sont ses prises de paroles controversées et réactionnaires qui la font régulièrement sortir de la vie anonyme qu'elle a choisi de mener, à Saint-Tropez.

L'image de la pin-up 60's qu'elle a été reste indissociable de cette commune du Var, où s'érige une sculpture dorée de Brigitte Bardot. La statue est l'une des attractions de la ville... tout comme l'ancienne actrice elle-même: régulièrement, des vacanciers du monde entier s'embarquent pour des excursions en bâteau sur la baie des Canoubiers dans l'espoir de l'apercevoir.

La statue tropézienne de Brigitte Bardot, basée sur une illustration de l'artiste italien Milo Manara
La statue tropézienne de Brigitte Bardot, basée sur une illustration de l'artiste italien Milo Manara © Valery Hache - AFP

Le clou de ces promenades d'une heure, c'est une maisonnette au ras de l'eau. La madrague de Brigitte Bardot, propriété qu'elle a achetée en 1958, et dont elle a fait don en 1992 à la fondation qui porte son nom. Devant l’entrée de sa maison, même l’écorce des arbres porte les marques d’affection d'admirateurs qui y ont gravé des mots d'amour ou simplement ses initiales, "BB".

"Elle était venue pour le calme et la tranquillité", explique la guide aux vacanciers qui prennent part à la balade. "Malheureusement, elle l'a perdue depuis un bon moment car il y a souvent plein de bateaux qui viennent s'agglutiner devant chez elle."

À 88 ans, Brigitte Bardot vit désormais recluse avec son mari Bernard d'Ormale et refuse les interviews télévisées. Bien loin de l'image sulfureuse qu'elle a incarnée il y a un demi-siècle et des passions qu'elle a déchaînées toute sa vie.

Plus scandaleuse que Marilyn

Les simples images de son arrivée au Festival de Cannes, le 12 mai 1967, permettent de prendre la mesure de la fascination qu'elle inspirait alors. Ce soir-là, elle se présente au bras de troisième époux, le playboy multi-millionnaire Gunther Sachs... et manque de provoquer une émeute.

Des centaines de photographes se précipitent autour de la star, dont les frasques et les amants passionnent les journalistes, l'empêchant de progresser au sein du Palais des festivals.

Ce mouvement de foule agit comme une nouvelle brique pour bâtir la légende du mythe Bardot, né dix ans auparavant dans un film à scandale de Roger Vadim.

"Et Dieu... créa la femme fut une déflagration planétaire, un succès incroyable dans le monde entier", rappelle Yves Bigot, auteur de Brigitte Bardot, la femme la plus belle et la plus scandaleuse au monde (éditions Don Quichotte).

À ce moment-là, Brigitte Bardot est encore brune. Elle n’est âgée que de 21 ans mais elle a déjà tourné dans une dizaine de films. Roger Vadim, son époux, va lui créer un rôle sur-mesure, inspiré de scènes vécues. Elle se teint en blonde pour incarner Juliette, jeune femme sensuelle, assoiffée de liberté, et convoitée par trois hommes.

Le film est tourné en partie en extérieur à Saint-Tropez, ce qui renforce l’impression de naturel. Mais c’est une scène en intérieur, dans laquelle elle danse pieds nus, qui va lui faire accéder à la postérité.

"Elle danse de manière totalement abandonnée, on n'a jamais vu ça", décrypte Yves Bigot. "Ça n'a rien à voir avec Marilyn Monroe, qui reste dans les codes hollywoodiens."

"Bardot, c'est la sexualité féminine d'un seul coup exposée dans toute sa folie, libérée aux yeux du monde. Une transgression absolument ultime."

Dans la société ultra-corsetée des années 1950, la sortie du film est une gifle. Interdit au moins de 16 ans, il est condamné par l’Église. De quoi attiser encore plus la curiosité du grand public: "Pour un film pareil, la perspective de se trouver interdit par des ligues de vertu est une bénédiction", explique Samuel Blumenfeld, critique de cinéma au Monde. Ça crée un débat qui lui permet d'accomplir une carrière encore plus importante."

Égérie féministe

Hier actrice, Brigitte Bardot devient symbole. Simone de Beauvoir la présente même comme un emblème du féminisme. "La contraception et l'avortement ne sont pas encore légaux à l'époque", rappelle Ginette Vincendeau, professeure d'études cinématographiques et spécialiste du féminisme.

"Pour une femme, assumer sa sexualité, c'est très compliqué (...) Lorsque Brigitte Bardot exprime ce désir d'émancipation sexuelle des femmes, elle est en avance sur son temps."

La révolution Bardot passe aussi par les vêtements, plus provocants. Les femmes copient ses coiffures et ses fameuses robes Vichy. BB affiche sa sensualité et multiplie les scandales. D’autant qu’à partir de l’été 1956, sa vie privée devient complètement publique. Ses aventures avec des hommes souvent célèbres, de Jean-Louis Trintignant à Gilbert Bécaud, la drapent de la même aura de liberté que ses personnages.

Brigitte Bardot et Roger Vadim à Stockholm en 1973 sur le tournage de "Don Juan 73"
Brigitte Bardot et Roger Vadim à Stockholm en 1973 sur le tournage de "Don Juan 73" © AFP

Parmi eux, Serge Gainsbourg, qui lui écrira la chanson Je t'aime moi non plus. Brigitte Bardot y chante le sexe en soupirant lascivement dans le micro. Son image est si sulfureuse qu'elle génère aussi une "agressivité inédite", comme le rapporte Samuel Blumenfeld.

Dans Vie privée (1962), dont elle tient le rôle principal, Louis Malle la met en scène dans une agression qu'elle a vraiment vécue. En empruntant l'ascenseur d'un hôpital, Brigitte Bardot se retrouve un jour enfermée avec une infirmière qui, lorsqu'elle la reconnaît, la couvre d'insultes et tente de la défigurer avec une fourchette, qui atterrira finalement dans la manche du manteau de la star.

Un tabou après l'autre

Mais Brigitte Bardot va bientôt de nouveau bousculer la société française en faisant tomber un autre tabou: celui du rejet de la maternité. Dans ses mémoires publiées en 1996, Initiales BB (Grasset), elle raconte avec une grande violence le jour où elle a donné naissance à son fils unique, Nicolas, à l'âge de 26 ans:

"C'était comme une tumeur qui s’était nourrie de moi, que j’avais portée dans ma chair tuméfiée, n’attendant que le moment béni où l’on m’en débarrasserait enfin", y écrivait-elle.

"Le cauchemar arrivait à son paroxysme, il fallait que j’assume à vie l'objet de mon malheur."

Ce fils, elle l'a eu avec Jacques Charrier. Elle tombe amoureuse de cet acteur qui a lui aussi une petite notoriété: les deux stars forment un couple qui ravit la presse. Les photographes sont là, en 1959, pour immortaliser leur mariage - le deuxième de l'actrice.

Jacques Charrier et Brigitte Bardot le jour de leur mariage, à Louveciennes, le 18 juin 1959
Jacques Charrier et Brigitte Bardot le jour de leur mariage, à Louveciennes, le 18 juin 1959 © AFP

Lorsque Brigitte Bardot tombe enceinte, elle souhaite avorter. Mais la procédure est interdite à l'époque; elle l'a déjà subie clandestinement à deux reprises, et cette fois ce sera impossible.

"Elle dit, plus ou moins, qu'elle était trop célèbre pour qu'un médecin se risque à faire cette intervention", explique Ginette Vincendeau. "Il y a avait une pression à la fois familiale et sociétale."

Traitement "inhumain" des médias

À cette pression s’ajoute la tension qui règne dans le couple. Dans ses mémoires, Brigitte Bardot raconte la jalousie de son époux à son égard, et l'accuse d'agression.

"Il est très jaloux, il est violent avec elle", rapporte Pascal Louvrier, biographe, auteur de Vérité BB (Tohu-Bohu Éditions), se référant aux écrits de l'ancienne actrice. "Elle raconte que quand elle était enceinte de de Nicolas, il l'a frappée, elle est tombée, a heurté une table et a eu un un traumatisme crânien."

D’autant qu’elle va passer des mois entiers comme prisonnière, traquée par la presse. Le couple habite un duplex au 7e étage de l’immeuble situé au 71 avenue Paul Doumer, dans le 16e arrondissement. Des centaines de photographes et de journalistes du monde entier sont dépêchés pour couvrir la naissance.

"Je me suis retrouvé dans la meute de presque 200 journalistes qui planquaient en bas de chez elle", raconte l'ex-journaliste Christian Brincourt, ami de Brigitte Bardot.

"La photo de Brigitte enceinte de 8 mois et demi était sur le marché à plus de 100 millions de francs", se remémore-t-il. "C'était complètement invraisemblable."

"J'ai vu de faux employés du gaz essayer de franchir sa porte, des journalistes déguisés en bonnes soeurs pour venir faire la quête pour les petits orphelins, des faux ramoneurs qui passaient par les toits pour essayer de l'approcher... c'était hallucinant", poursuit-il.

"Ça a été inhumain, ce qu’on m’a fait subir", a confié Brigitte Bardot des années plus tard en interview.

"Je n’avais plus ni la possibilité de marcher ni la possibilité de sortir, ni même d’aller chez mon médecin", explique l'actrice. "Je n’ai même pas pu aller accoucher dans une clinique. Il a fallu qu’on fasse chez moi une salle d’accouchement, parce que j’étais cernée."

Accouchement, rejet, divorce

Le 11 janvier 1960, elle accouche sans analgésiques. La douleur est si intense qu’elle se roule en boule sur le plancher. "Tel un animal blessé à mort, je hurlais sans aucune retenue", écrit-elle dans son livre. Lorsqu’on pose le bébé sur son ventre, elle le repousse. Quand on lui annonce que c’est un garçon, elle explose: "Je m’en fous, je ne veux plus le voir."

Et pourtant, cinq jours après sa naissance, lorsque Nicolas Charrier est présenté au monde devant les caméras de l’émission Cinq colonnes à la une, Brigitte Bardot affiche le visage d’une mère comblée.

"Brigitte Bardot est une actrice", rappelle Yves Bigot. "Elle sait qu'elle doit jouer le rôle de l'épouse et de la mère parfaite."

Si elle accepte de jouer le jeu devant les caméras, elle demande très vite le divorce et cède la garde de son fils. Ce qui, à nouveau, choque l'opinion publique: "Elle a été méprisée, menacée pour ça", continue le spécialiste. "Une femme qui est une mauvaise mère, dans les années 1960 et même 1970, c'était impensable. S'imaginer une mère qui n'aime pas son enfant, c'est presque le crime ultime."

"J'avais besoin d'une mère, pas d'un enfant"

Trois ans après sa naissance, Nicolas est officiellement confié à son père. Un choix que Brigitte Bardot a toujours assumé.

"Je n'ai pas élevé Nicolas parce que je n'en étais pas capable", confie-t-elle à la télévision des années plus tard."

"J'avais besoin qu’on s’occupe de moi", assure-t-elle. "J'avais besoin d’avoir une mère, pas un enfant. J'avais besoin d’un soutien, d’une épaule, d’une racine, je ne pouvais pas être cette racine puisque j’étais moi-même complètement déracinée, déséquilibrée, perdue dans ce monde de folie furieuse. Je ne savais pas à quoi me raccrocher, et je ne pouvais pas me raccrocher à un petit enfant qui venait de naître."

Wendy Bouchard, journaliste et amie de Brigitte Bardot, souligne la portée précurseure de ces propos: "Brigitte Bardot était aussi avant-gardiste sur des sujets très perturbants, très bouleversants, comme le refus de maternité."

Brigitte Bardot, Jacques Charrier et leur fils Nicolas, le 13 janvier 1960
Brigitte Bardot, Jacques Charrier et leur fils Nicolas, le 13 janvier 1960 © AFP

Une transgression dont Brigitte Bardot a dû payer le prix. Jacques Charrier ne digère pas les propos qu’elle a tenus sur lui et son fils dans ses mémoires de 1996, et va lui répondre publiquement dans un livre. Lui et son fils intentent un procès à Brigitte Bardot pour violation de la vie privée, diffamation et injures. Elle sera condamnée à payer 250.000 francs de dommages et intérêts.

Aujourd'hui arrière-grand-mère, Brigitte Bardot a apaisé sa relation avec Nicolas Charrier, établi en Norvège: "Elle le voit tous les ans: il vient en France avec toute sa famille une fois par an", déclare Bernard d'Ormale.

Brigitte Bardot, la militante radicale

Déçue par les hommes, traquée comme une bête par les photographes, Brigitte Bardot va fuir les humains pour dédier sa vie aux animaux. Personne ne l'attendait dans ce rôle-là. Pourtant, le 9 janvier 1962, sur le plateau de Cinq colonnes à la une, l'icône se fait avocate. Et plaide, à grand renfort d’images sanglantes, pour faire arrêter la souffrance des bêtes tuées dans les abattoirs.

"Les petits animaux, les veaux, les moutons, les chèvres, ils sont égorgés vivants", dénonce-t-elle.

"On leur coupe la gorge et le sang s’écoule en entraînant la mort", déplore-t-elle. "Ça dure quelques fois 3, 4, 5 minutes et pendant ces minutes la bête est vivante et souffre."

"C'est tellement à rebours!", souligne aujourd'hui Samuel Blumenfeld. "Ce n'est absolument pas à la mode! De la part, justement, de la star de l'époque... (À ce moment-là, tout le monde) se demande ce qui lui traverse l'esprit."

"Elle était pionnière"

Dans le contexte des trente glorieuses, le sujet est même à contre-courant, alors que la consommation de viande monte en flèche après les privations de la guerre. Pour enfoncer le clou, Brigitte Bardot est accompagnée sur le plateau d'un jeune homme qui s'est fait embaucher dans un abattoir, et qui raconte ce qu'il y a vu.

"Elle utilise déjà des techniques très novatrices, pour l’époque", analyse Jérôme Segal, historien spécialiste de la cause animale.

"Cette méthode d'infiltration, c'est exactement ce que fait aujourd'hui L214. Elle était tout à fait pionnière, avec 46 ans d'avance."

Ce premier combat précurseur porte déjà la marque de fabrique de l’activiste Brigitte Bardot, militante radicale, prête à tout pour défendre la cause animale. Ce qu'elle prouvera en abandonnant le cinéma, à 38 ans, au sommet de sa gloire.

Premières victoires

Les fans restent incrédules. Pour défendre sa cause, Brigitte Bardot ne va pas hésiter à jouer les bulldozers et à se rendre en terrain hostile. Son combat le plus célèbre se déroule en 1977, au Canada, où elle se rend pour dénoncer le massacre des bébés phoques écorchés vivants pour leur fourrure.

Suivie par des journalistes, elle se rend au contact des chasseurs, soumet l'idée de produire des fourrures synthétiques, et va même jusqu'à proposer de compenser la perte financière qu'occasionnerait l'arrêt de la chasse. Après trois jours de blizzard, elle parvient sur la banquise et se fait photographier avec un bébé phoque. L'image fera le tour du monde.

La célèbre photo, présentée lors d'une conférence de Christophe Marie, directeur adjoint de la Fondation Brigitte Bardot (2006)
La célèbre photo, présentée lors d'une conférence de Christophe Marie, directeur adjoint de la Fondation Brigitte Bardot (2006) © Stéphane de Sakutin - AFP

Son combat est régulièrement moqué à la télévision de l'époque, mais elle obtient un victoire lorsque Valéry Giscard d'Estaing prend la décision d'interdire l'importation des peaux de bébés phoques en France.

Pour celle qui a déjà abandonné le cinéma, ce n'est qu'un début. Afin de financer sa lutte, elle prend la décision de vendre ses affaires personnelles. Le 17 juin 1987, la Maison de la Chimie est pleine craquer pour une vente aux enchères regroupant ses robes de luxe, ses œuvres d'art et ses souvenirs de cinéma:

"Elle était très émue, parce que c'étaient des objets qui avaient tous une histoire", se souvient Allain Bougrain-Dubourg, son ancien compagnon. "Ce qui pourrait apparaître (...) comme un sacrifice, elle n'en souffre pas, (...) ça participe de son combat."

"J'ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes", confie Brigitte Bardot ce jour-là. "Je donne ma sagesse, mon expérience et le meilleur de moi-même aux animaux."

Ultime don, Brigitte Bardot cède sa madrague à la fondation: "Elle a été au bout du bout", estime aujourd'hui Christophe Marie, directeur adjoint de l'organisme. "Elle a fait don de l'un des biens les plus précieux à ses yeux pour faire une assise financière forte pour sa fondation."

Créée en 1986, elle est aujourd'hui soutenue par 70.000 donateurs et emploie près de 200 salariés. Brigitte Bardot est en lien quotidien avec ses équipes... et la répartition des rôles est très claire: "Son arme, c'est qu'elle va pousser un coup de gueule et nous, derrière, allons construire quelque chose avec le politique apostrophé pour essayer d'arriver à un résultat." Et les coups de gueule seront nombreux.

La bête noire des politiques

"Apostropher" pourrait être qualifié d'euphémisme, tant la militante n'hésite pas à employer des mots très crus pour se faire entendre. Le 11 avril dernier, elle qualifie Emmanuel Macron de "Poutine de la nature et des animaux", un "destructeur sanguinaire méprisable et méprisé" dans une lettre ouverte.

En 2016, c'était Stéphane Le Foll qui se voyait renommé "ministre de la Souffrance". Six ans plus tôt, c'étaient les ministres de Nicolas Sarkozy, "aussi inutiles que lâches", qui en prenaient pour leur grade.

"Ça les embête, ce n'est pas bon électoralement", assure son époux Bernard d'Ormale. "Il y a plein de gens qui suivent Brigitte. Si demain, elle dit 'Surtout, ne votez pas pour ce connard', il va perdre plein de voix."

Mais du coup de colère aux propos controversés, il n'y a qu'un pas que Brigitte Bardot va souvent franchir.

Condamnation pour incitation à la haine raciale

Le 19 mars 2019, la militante de la cause animale écrit au préfet de la Réunion pour dénoncer l’utilisation de chats ou de chiens vivants comme appâts pour la pêche aux requins. Un courrier truffé de propos injurieux à l’égard des réunionnais: l'ancienne actrice fustige "une population dégénérée, imprégnée des coutumes ancestrales qui sont leurs souches".

"Tout ça a des réminiscences de cannibalisme des siècles passés et devrait être interdit", y écrit-elle. "J'ai honte de cette île, de la sauvagerie qui y règne encore".

Pour Philippe Pressecq, avocat de la Licra, il n'y a pas d'ambiguïté: "On est vraiment sur des injures racistes dans toute leur horreur", dénonce-t-il. "La lettre passe complètement à côté de la plaque, et à côté du but recherché, puisqu'en réalité on ne parle absolument pas de la souffrance animale. On parle des Réunionnais, qui y sont qualifiés comme une catégorie infra-humaine."

Le courrier est également envoyé à plusieurs médias de l’île, et suscite aussitôt l’indignation de la population et des autorités. "C’est purement scandaleux", avait déclaré la ministre des Outre-mer de l'époque, Annick Girardin. "Dire de tels propos mérite une plainte, et je peux dire que ce sera fait."

Des associations antiracistes se constituent parties civiles et portent plainte. Brigitte Bardot, elle, plaide le coup de colère d’une lanceuse d’alerte. Malgré des excuses, elle sera condamnée à 20.000 euros d’amende pour incitation à la haine raciale.

Rencontre avec Jean-Marie Le Pen

Comment celle qui a incarné la liberté est-elle passée du statut d’icône à celui de pamphlétaire aux propos nauséabonds? Brigitte Bardot a grandi dans une famille bourgeoise de la droite conservatrice. Admiratrice du général de Gaulle, elle fait campagne pour Valéry Giscard d'Estaing en 1974.

Elle rencontre de nombreux hommes politiques au cours de sa carrière, et son chemin croise celui de Jean-Marie Le Pen. "Paris était petit, à l'époque", rappelle sa fille Marine Le Pen. "Mon père connaissait Alain Delon, par exemple. Il a eu l'occasion de croiser Brigitte Bardot. De mémoire, ils étaient allés ensemble dans un hôpital pour rendre visite à des soldats blessés. Je pense qu'ils se sont connus comme ça."

Cette proximité avec le Front national se renforce après son mariage en 1993 avec Bernard d’Ormale, un ami du leader d’extrême-droite.

"Il était effectivement très proche du couple que forment mon père et sa femme Jany", explique la candidate malheureuse de la dernière élection présidentielle.

Pour autant, l'intéressé se défend de toutes accointances idéologiques: "Sa femme est une copine, on n'a pas besoin de faire de la politique pour connaître Le Pen", déclare Bernard d'Ormale. "Je n'ai jamais fait partie du Front national, je n'ai jamais fait de politique de ma vie."

Présenté pourtant par certains comme conseiller de Jean-Marie Le Pen, a-t-il eu une influence sur sa femme? C’est en tout cas ce que pensait Régine, interrogée en 1996 par Anne Sinclair: "C'est comme la femme du médecin qui ouvre la porte et prend les rendez-vous", avait déclaré la chanteuse. "Elle a épousé d’Ormale, eh bien elle a le langage du Front national!".

"Les personnages autour du Front national font partie en fait de sa constellation quotidienne", analyse Yves Bigot.

"Ça va l'entraîner de son gaullisme constituant vers une proximité avec le Front national, qui en plus a comme vertu pour elle d'être le parti qui affiche le plus la défense des animaux", estime le biographe.

Convictions fluctuantes

En 2012, l’ancienne actrice affiche clairement son soutien à Marine Le Pen pour la présidentielle, et lui déclare sa flamme dans la presse en la qualifiant de "Jeanne d'Arc du 21e siècle.

Mais au fil du temps, elle va montrer des convictions fluctuantes. En 2019, elle s’affiche aux côtés des gilets jaunes. Lors de la présidentielle en 2022, elle défend Nicolas Dupont-Aignan, tout en manifestant une certaine estime à l’égard de Jean-Luc Mélenchon.

"Il n'y a pas de colonne vertébrale politique chez Bardot", explique Pascal Louvrier.

"Quand on dit 'je peux soutenir Marine Le Pen' et puis qu'après il y a des propos en faveur des animaux de la part de Jean-Luc Mélenchon et qu'il devient pas si mal que ça, c'est quand même un grand écart", note son biographe.

Un positionnement politique erratique, mais surtout des dérapages à répétition. L’ancienne actrice est une récidiviste: elle a été condamnée à six reprises pour incitation à la haine raciale.

Notamment à l'issue d'un procès en 1996 après de nouvelles déclarations polémiques sur l’abattage des animaux: "La France est de nouveau envahie, avec la bénédiction de nos gouvernements successifs, par une surpopulation étrangère, notamment musulmane, à laquelle nous faisons allégeance!", avait-elle déclaré.

"Elle tape sur tout ce qui bouge"

Wallerand de Saint-Just, ancien avocat du Front national, est alors chargé de la défendre. Relaxée dans un premier temps, elle est condamnée en appel... et dérape une nouvelle fois dans un livre publié en 2003. "C'est un pamphlet", résume Pascal Louvrier. "Elle apparaît extrêmement réactionnaire, elle tape sur tout ce qui bouge."

Est-ce le fruit de son isolement, et d’une certaine déconnexion avec la réalité?

"Elle a choisi de se couper d'une partie de la vie, d'être confinée depuis 20 ans", déclare Wendy Bouchard.

Toujours est-il que son image est écornée, brouillée. Le buste de Marianne à l’effigie de Brigitte Bardot est remisé au placard dans plusieurs communes de France. Et, plus grave pour elle, ses déclarations nuisent à son combat. "Elle sait bien que ça s'entrechoque avec le combat de sa fondation, et je pense que ça la touche et la meurtrit, parce que ce n'était pas le but."

Car les animaux restent le dernier pilier de sa vie. Alors quel visage retiendra-t-on de Brigitte Bardot? L’icône de l’émancipation des femmes, la révoltée de la souffrance animale, ou la réactionnaire aux propos révoltants?

Son ami, le compositeur Jean-Max Rivière, a son idée. "Dans 200 ans on dira: 'Il y a une femme qui s'est battue pour les animaux, qui était d'une beauté extraordinaire.' Ça, ça restera, comme Noé… l’arche de Noé, ça vous dit quelque chose?"

Yves Couant, avec Benjamin Pierret