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"Les Choses humaines", film choc d'Yvan Attal sur la difficulté de juger les affaires de viol

Yvan Attal adapte le roman multi primé de Karine Tuil, récit ambigu d'un procès pour viol en plein ère post-#MeToo. Il évoque sur BFMTV ce film qui pourrait se tailler la part du lion aux César.

Présenté à la Mostra de Venise en septembre dernier, Les Choses humaines est l’un des événements de ce mois de décembre. Yvan Attal, qui signe avec cette adaptation d'un roman de Karine Tuil (Prix Interallié et Goncourt des lycéens 2019) son septième film en tant que réalisateur, livre une mise en scène d’une grande subtilité, qui restitue parfaitement l’ambiguïté d'un récit retraçant un procès pour viol en plein ère #MeToo.

L'histoire suit un jeune homme, Alexandre (Ben Attal), fils d'un grand producteur de la télévision (Pierre Arditi), promis à un brillant avenir. Il rencontre une jeune femme, Mila (Suzanne Jouannet), la fille du nouveau compagnon de sa mère (Charlotte Gainsbourg), avec qui il se rend à une fête. Lors de la soirée, les deux se rapprochent physiquement. Le lendemain, elle se rend au commissariat et l'accuse de viol. Lui clame son innocence...

Le film impressionne par la justesse de son regard sur un sujet aussi complexe. Tout semble parfaitement à sa place dans ce film dont Yvan Attal se dit très fier, et qui pourrait se tailler la part du lion aux César en février prochain. "Quand on tournait, je sentais que le casting était juste. Je sentais bien que j’avais des moments forts, qu’il y avait quelque chose de juste qui se dégageait de tout cela."

"Ce qui se dégage principalement du film, c’est que je veux bien croire les deux protagonistes. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle se soit sentie violée et je n’ai aucun doute sur le fait qu'il pense qu’il ne l’a pas violé", indique le réalisateur, qui a fait attention à bien équilibrer les témoignages pour entretenir l’ambiguïté. "C’est un film qui s’est fait au montage. On s’est bien rendu compte que l’on pouvait accabler un personnage plus qu’un autre au montage en fonction de la durée des plans et de ce qu’on montrait en contrechamp."

Ecouter la parole

"Au-delà des grandes questions du consentement", Les Choses humaines met en évidence la difficulté de juger ce genre d’affaires, "et que malgré cette difficulté le tribunal reste le seul endroit où on peut juger", insiste encore le réalisateur.

Le récit retrace dans un premier temps le point de vue de l’accusé puis celui de la victime présumée et enfin le procès, qui se déroule trente mois après les faits. "Trente mois d’instruction, c’est quand même énorme. Il faut trente mois pour comprendre qui sont les protagonistes, les faits. Et des gens voudraient porter un jugement moral en deux secondes? Le film parle de ça aussi."

Comme Karine Tuil dans son roman, Yvan Attal incite le public à écouter la parole de la victime présumée, de l’accusé et de leurs avocats. Yvan Attal dit avoir été inspiré par le roman de Karine Tuil, mais aussi par un procès pour viol auquel il a assisté lors de la préparation du film et qui l'a fortement marqué:

"J'ai été surpris par la tension, le silence et le fait que c’était la parole qui était au centre de tout. On avait envie d’écouter les gens, d’être attentif au moindre mot, au moindre souffle, comme si on avait l’espoir de déceler la vérité, comme s'il n’y avait que ça qui existait. Les gens prenaient la parole et c'était une parole sacrée. Qu’est-ce que je pouvais filmer d’autres que ces gens qui parlent? J’avais envie qu’on soit attentif à ce qu’ils disent. J’avais envie que le spectateur écoute attentivement. En réalité, j’avais envie que le spectateur soit à la place du jury."
Suzanne Jouannet dans "Les Choses humaines"
Suzanne Jouannet dans "Les Choses humaines" © |Copyright Jérôme Prébois - 2021

Lors de son témoignage, Mila est filmée en plan-séquence et en légère contre-plongée: "Il n’y a jamais de contre-champ, sauf quand elle est un peu harcelée par l’avocat de la défense incarné par Benjamin Lavernhe", précise Attal. "J’ai été tenté de rester sur elle tout le temps. Il fallait aussi donner de la force à l’avocat qui l’attaque pour renforcer ses réactions à elle, ses mensonges probables, sa gêne, son inconfort."

Le pouvoir des hommes

Les Choses humaines raconte surtout comment les hommes s’accaparent le pouvoir et s’en servent pour avoir l’ascendant sur de jeunes femmes qu’ils séduisent. Yvan Attal s'attache ainsi au père d’Alexandre, incarné par Pierre Arditi. L’acteur, qui incarne une espèce de magnat des médias à la Thierry Ardisson, et s’exprime comme Alain Delon le ferait de nos jours, dévore l'écran dès qu'il apparaît à l'image.

Son histoire avec Quitterie, une stagiaire qui va devenir son épouse et la mère de ses enfants malgré une différence d’âge d’un demi-siècle, est à mettre en parallèle de l’histoire d'Alexandre et Mila. Les Choses humaines montre bien le décalage entre une femme (Quitterie) qui accepte un système d’oppression et ses codes, et une autre (Mila) qui les refuse et se révolte.

Suzanne Jouannet et Ben Attal dans "Les Choses humaines"
Suzanne Jouannet et Ben Attal dans "Les Choses humaines" © Copyright Jérôme Prébois / 2021

Un aspect du débat peu soulevé, estime le réalisateur, qui montre bien la sidération de Mila face à ce pouvoir contre lequel elle ose s'insurger: "On oublie surtout de dire qu’il y a des chocs culturels qui s’expriment aussi par le sexe. Le film raconte que le sexe est social, culturel, qu’il y a des codes, qu’on a tous un rapport au sexe différent. Le sexe n’est pas la même affaire pour tout le monde."

La naissance d'une grande actrice

Si Ben Attal, dont c'est le deuxième rôle après Mon chien stupide, se révèle très impressionnant dans le rôle difficile d'Alexandre, la véritable révélation du film est Suzanne Jouannet, dont il s’agit du premier rôle.

"De toutes les actrices que j’ai vues au casting, c’est celle qui s’est détachée par sa solidité au travail. Elle ne refusait jamais de faire une prise, même si la prise était difficile", loue Yvan Attal. "Je me suis passé la scène de son témoignage au montage comme si j’étais devant un professeur qui m’expliquait comment jouer la comédie. Elle m’a vraiment impressionné. Elle est d’une justesse magnifique."
https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV