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Lindsay Lohan et Chord Overstreet dans "Noël tombe à pic" diffusé le le 10 novembre 2022 sur Netflix

Scott Everett White - Netflix

La comédie romantique de Noël, une recette américaine qui peine à prendre en France

De la télévision aux plateformes, les comédies romantiques hivernales abondent chaque année à l'approche des fêtes. Ces productions venues des États-Unis, vectrices de valeurs très américaines, commencent à inspirer les chaînes françaises.

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Elle s'appelle Stacy, Kelly ou Nancy. Elle occupe un poste important dans la presse, la communication ou la publicité à Boston ou New York. Sa vie personnelle est la dernière de ses préoccupations, mais un coup du destin va l'obliger à passer les fêtes dans une toute petite ville. Là-bas, un beau fermier en chemise de flanelle et la magie de Noël vont mettre à mal la froideur de cette célibataire endurcie...

Stacy, Kelly ou Nancy est l'héroïne du téléfilm américain que vous regardez avec un léger sentiment de honte à 14 heures, sur M6 ou TF1, un jour de RTT en plein mois de décembre. Peut-être l'avez-vous croisée sur les plateformes de streaming, qui multiplient elles aussi les productions de ce qui est devenu un genre à part entière: celui de la comédie romantique de Noël.

Souvent sur le petit écran (mais parfois sur le grand), elle est centrée sur une histoire d'amour ou de famille. Tous les problèmes qu'elle expose restent en surface et le happy end est gros comme une montagne dès les premières scènes. L'Amérique du Nord les produit en quantités industrielles chaque année. La France, qui les importe volontiers, en réalise elle-même très peu.

"C'est toujours la même formule, presque comme un livre de coloriages pour enfants: on sait ce qui nous attend sur la page suivante" explique le Britannique Mark Connelly, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Kent.

Ce spécialiste, qui s'est penché sur la question dans son livre Christmas at the Movies: Images of Christmas in American, British and European Cinema (I. B. Tauris), poursuit: "Dans le monde anglophone, la période de Noël est pleine de rituels. On fait, on mange, on achète les mêmes choses aux mêmes moments. Ces films jouent là-dessus: ils offrent un cycle prévisible, personne n'est choqué, tout le monde est réconforté."

La magie de Noël? Pas pour les Français

Un réconfort dont n'aurait pas besoin le public hexagonal? Force est de constater que les quelques comédies de Noël françaises qui ont marqué le public rivalisent d'une noirceur que Stacy, Kelly ou Nancy n'imagine même pas. On pense au Père Noël est une ordure, film cultissime qui rit de suicides et de meurtres, à La Bûche, où une famille dysfonctionnelle peine à se retrouver autour du sapin, ou encore à Un conte de Noël, d'Arnaud Desplechin, qui mêle maladie génétique, traumatisme familial et cancer.

À l'inverse, un bref coup d'œil aux films diffusés la semaine passée en après-midi sur la sixième chaîne (Notre conte de Noël, Un Noël d'amour et d'amitié, Les mille couleurs de Noël...) ou sur la programmation de Netflix depuis novembre (Noël tombe à pic, Christmas With You, The Christmas Diary, Notre Noël à la ferme) rend compte de la recette nord-américaine et de ses ingrédients ultra-sucrés, ainsi que de l'omniprésence de ces productions made in USA dès les premières baisses de température.

"Je crois que les Français ont toujours peur d'avoir l'air un peu naïfs", estime pour BFMTV.com Nicole Bacharan, politologue française spécialiste de la société américaine.

"Les Américains, c'est le dernier de leur souci. Ils peuvent être très cultivés, très accomplis, et ne pas avoir de mal à retomber en enfance devant un film de Noël", poursuit-elle. "La capacité d'émerveillement y est plus forte et mieux vue que chez les Français, supposés plus cyniques, moins prompts à se laisser avoir."

Quand Harry et Sally révolutionnent un genre

L'apparition des films de Noël remonte aux années 1930-40, en plein âge d'or hollywoodien, rappelle Mark Connelly. Mais il estime que l'extrême popularité dont le genre jouit aujourd'hui sur le petit écran est due à la sortie, dans les années 1980, d'un film qui a marqué les spectateurs fleur bleue:

"'Quand Harry rencontre Sally' n'était pas une comédie de Noël à proprement parler mais la fin de l'année y était centrale", explique-t-il à BFMTV.com.

"Le film et sa trame narrative si particulière emmènent les personnages du début de l'automne au réveillon du 31 décembre, en passant par Thanksgiving et Noël. Le succès au box-office a été énorme, et il a cristallisé l'idée d'une association entre comédie romantique et fêtes de Noël.'"

Harry (Billy Crystal), Sally (Meg Ryan) et leur baiser final au réveillon du jour de l'An
Harry (Billy Crystal), Sally (Meg Ryan) et leur baiser final au réveillon du jour de l'An © Columbia Pictures

In Noël They Trust

Le rapport ambivalent des États-Unis - un pays laïque dont la devise officielle reste "In God We Trust" depuis 1956 - avec la religion n'est sans doute pas étranger à son goût pour les films centrés sur une fête célébrant la naissance de Jésus. "Une communauté chrétienne fervente importante vit en Amérique", rappelle Mark Connelly. "Comment l'industrie du film fait pour satisfaire cette communauté?". En multipliant les longs-métrages qui véhiculent des valeurs chères aux conservateurs:

"Les États-Unis entretiennent une obsession profonde de la famille nucléaire, perçue comme base de la société."

"À la fin de ces films, quand les personnages finissent ensemble, il est sous-entendu qu'il vont se poser et fonder une famille" , poursuit-il. "Le décor rural, lui aussi, évoque un sentiment de stabilité."

"Christmas With You", production Netflix, ou la romance entre un père célibataire et la popstar dont sa fille est fan
"Christmas With You", production Netflix, ou la romance entre un père célibataire et la popstar dont sa fille est fan © Jessica Kourkounis - Netflix

Le tout, sans exclure personne. Plus qu'une fête qui trouve ses bases dans la religion chrétienne, Noël est une période culturelle, durant laquelle se déroulent d'autres festivités spirituelles: "Le message commun autour de la famille résonne très bien au sein de différentes communautés."

À l'inverse, Mark Connelly rappelle le principe de séparation de l'Église et de l'État entériné en 1905 dans l'Hexagone: "En France, il y a cette suspicion quant au rôle que tient l'Église dans la société. Lui est-elle bénéfique ou vient-elle miner les valeurs républicaines? Je crois que cela apporte une touche de cynisme à ces festivités." Et, de facto, aux films qui les représentent.

Un genre qui évolue... difficilement

Malgré le poids des traditions, la comédie romantique de Noël américaine s'est aventurée ces dernières années sur un nouveau terrain, avec quelques films mettant en scène des amours LGBT sur fond de guirlandes lumineuses. Mais là encore, les valeurs conservatrices ne sont pas bien loin: "Au bout du compte, il n'est jamais question que de monogamie. Une personne tombe amoureuse d'une autre. On les quitte alors qu'ils ou elles sont en route pour fonder un foyer et suivre les normes sociétales habituelles."

De quoi bousculer, malgré tout, les esprits les moins progressistes. L'actrice américaine Candace Cameron Bure, qui a joué dans une douzaine de téléfilms de Noël de la chaîne américaine Hallmark ces dernières années, a ainsi annoncé il y a quelques semaines qu'elle quittait la maison pour rejoindre une autre chaîne au nom sans équivoque, Great American Family.

Deux ans après le premier film de Noël de Hallmark Channel mettant en scène un couple d'hommes, la comédienne a déclenché un scandale outre-Atlantique en expliquant très clairement les raisons de son changement d'employeur dans les colonnes du Wall Street Journal:

"Je sais que les gens de Great American Family sont des chrétiens qui aiment le Seigneur et souhaitent promouvoir des programmes guidés par la foi, ainsi que de bons divertissements familiaux (...) Je pense que GAF restera centrée sur les mariages traditionnels."

Hallmark Channel, justement, s'est imposée comme l'une des principales productrices de téléfilms de Noël avec plus de 350 longs-métrages du genre sur les vingt dernières années. Un canal spécialisé dérivé de la grande enseigne de cartes de vœux du même nom, qui occupent des rayons entiers dans les grandes surfaces aux quatre coins du monde. Comme un symbole; car ces films sont peut-être, aussi, le symptôme d'une Amérique consumériste, plus prompte que jamais à dépenser lorsqu'arrivent les fêtes de fin d'années.

Père Noël et galerie marchande

"Aux États-Unis plus qu'en France, dans les grandes villes, il y a des éclairages partout, des jardins publics aux immeubles en passant par les restaurants et les magasins", décrit Nicole Bacharan. "Dans les villes plus petites, on se balade pour aller voir la manière dont les voisins ont décoré leurs maisons. Certains en font énormément."

Noël s'est peu à peu imposée comme une fête commerciale depuis plus d'un siècle et demi outre-Atlantique. Mark Connelly fait coïncider son avénement avec l'arrivée des grands magasins, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, donnant lieu à une "révolution de la consommation".

"Les gens ont commencé à plus dépenser grâce à un pouvoir d'achat plus important. Noël est devenu un argument de vente", explique-t-il.

Aujourd'hui, Hallmark commence ses diffusions de Noël en juillet. Comme pour annoncer: 'Le décompte est lancé, on va vous mettre dans l'ambiance, et ça va vous faire dépenser de l'argent.'"

Il cite, non sans ironie, le film culte de 1994 Miracle sur la 34e rue... soit l'adresse de Macy's, équivalent new-yorkais des Galeries Lafayettes: "C'est un film qui met en scène un Père Noël fantasque qui aurait ses quartiers dans la galerie marchande..."

Magie en banlieue parisienne

Si la formule peine à s'adapter en France, de timides tentatives ont déjà eu lieu. Notamment sur TF1, qui a coché toutes les cases du genre entre 2017 et 2018 avec les téléfilms Coup de foudre à Noël, Coup de foudre sur un air de Noël ou Un bébé pour Noël. Dans les deux premiers, une femme obnubilée par son travail quitte la grande ville pour un milieu rural, où elle rencontre un homme aux antipodes de sa vie citadine. Dans le troisième, Laëtitia Milot incarne une jeune femme qui se réveille d'un coma de plusieurs mois pour découvrir qu'elle est enceinte. Deux hommes peuvent être le père, et il faudra attendre la naissance de l'enfant pour découvrir duquel il s'agit.

Julie de Bona et Tomer Sisley dans "Coup de foudre à Noël"
Julie de Bona et Tomer Sisley dans "Coup de foudre à Noël" © TF1

Netflix, de son côté, a récolté de bonnes critiques l'année dernière avec la mini-série Christmas Flow. Un exercice différent, car le programme s'adaptait à des thématiques modernes et françaises: le chanteur Tayc et l'actrice Shirine Boutella y campaient un rappeur aux paroles mysogines et une journaliste féministe qui se rencontrent à Noël. Une plongée entre Paris et sa banlieue dans le monde de la musique urbaine, genre le plus populaire dans l'Hexagone, sur fond de questionnements post-MeToo. Comme pour respecter le moule du format américain tout en allant chercher un autre public:

"C'était complètement notre démarche", déclare la réalisatrice de 'Christmas Flow', Nadège Loiseau, à BFMTV.com. "Le projet m'a parlé parce qu'il y avait un enjeu. En France, on s'est peu frottés au genre. Il y avait l'idée de créer un nouvel esprit avec des thématiques sociétales fortes, tout en restant fidèles aux codes."

"Dans le cinéma français, les Noël sont grinçants", développe la cinéaste. "Je crois que nous avons peur d'assumer quelque chose de plus doux, plus rond. C'était ma grande inquiétude sur le tournage de 'Christmas Flow': il fallait que ce soit rassurant, mais pas trop sucré non plus."

Pour expliquer ce décalage entre la France et les États-Unis, Nicole Bacharan avance une dernière explication. Peut-être que cette avalanche d'amour, de bons sentiments et de lait de poule qui s'abat sur les écrans américains à la période de Noël vient d'un besoin plus profond de communion:

"C'est un pays dont, contrairement à la France, l’histoire est courte: les traditions permettent de s’ancrer dans le déroulement du temps. Si on ne les célèbre pas fortement, il ne reste plus beaucoup d’héritage."

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV