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"Irréductible", "Coupez"... Pourquoi le cinéma français multiplie les remakes de comédies étrangères

Détail des affiches d'"Irréductible", "Menteur" et "Coupez!", des comédies françaises qui son des remakes de succès étrangers.

Détail des affiches d'"Irréductible", "Menteur" et "Coupez!", des comédies françaises qui son des remakes de succès étrangers. - SND - Gaumont - Pan-Européenne

Plusieurs films récents comme Coupez!, Irréductible ou Menteur s’inspirent de grands succès étrangers. Opportunisme commercial ou manque d'inspiration? Réalisateurs et producteurs s'expliquent.

Coupez! (en salles), Irréductible (au cinéma le 29 juin), Menteur (sortie le 13 juillet)... Ces films ont tous comme point commun d'être des remakes de comédies étrangères à succès. Coupez! s'inspire ainsi de la comédie horrifique japonaise Ne coupez pas! (2017) de Shin'ichirô Ueda. Irréductible transpose dans le contexte français la pochade Quo Vado? (2016) de Gennaro Nunziante. Et Menteur adapte la comédie potache québécoise Menteur (2019) d'Émile Gaudreault.

Ce phénomène s'est accéléré ces dernières années et la liste de ces adaptations est désormais longue. Pourris gâtés avec Gérard Jugnot est ainsi tiré du film mexicain Nosotros los Nobles, Envole-moi avec Victor Belmondo du film allemand Dieses bescheuerte Herz, 10 jours sans maman avec Franck Dubosc du film argentin Mamá se fue de viaje, Le Jeu avec Bérénice Bejo reprend l'histoire du long-métrage italien Perfetti sconosciuti, Demain tout commence avec Omar Sy s'inspire du film mexicain Instructions Not Included, ou encore Fonzy avec José Garcia est adapté du film québécois Starbuck.

"Il était assez rare que l'on fasse des remakes en France et maintenant ça commence à devenir de plus en plus fréquent. Pendant très longtemps, c'était les Américains qui faisaient des remakes de films français", analyse Laurent Tirard, réalisateur d'Un homme à la hauteur, une comédie romantique inspirée du film argentin Corazón de León dont le héros est un homme de petite taille. "Peut-être que l'on commence à être un peu à court d'idées, comme tout le monde..."

"C'est de plus en plus difficile d'être original"

Il y a dix ans, le phénomène inverse s'était produit. Unifrance, chargé de la promotion du cinéma français à l’étranger, avait organisé en 2014 au festival du film de Mumbai, un marché dédié au remake de films français. Dans la foulée du succès de Bienvenue chez les Ch’tis, Intouchables et du Prénom, Gaumont et Pathé s’étaient aussi lancés dans la course aux remakes aux États-Unis et en Inde.

Désormais, le remake n'est plus un outil de soft-power, mais un moyen de contrer la suprématie des séries, note Laurent Tirard: "Le cinéma a cent ans. Il y a quand même beaucoup d'histoires qui ont déjà été racontées. Ça devient de plus en plus difficile d'être original. Et les séries télévisuelles ont souvent de super concepts. Pour attirer les gens en salles, il faut des idées qui leur donnent envie de s'y rendre. Et il se trouve que ces comédies étrangères ont souvent des concepts très forts."

Ne coupez pas!, dont Michel Hazanavicius s'est inspiré, est ainsi une comédie délirante sur une invasion de zombies qui perturbe le tournage d'un nanar. Quo Vado?, le modèle pour Irréductible de Jérôme Commandeur, suit les péripéties d'un fonctionnaire muté dans les pires endroits du monde pour le pousser à démissionner. Ces pitchs accrocheurs sont pour beaucoup d'acteurs, producteurs et réalisateurs synonymes de succès potentiels.

Mais à l'exception de Demain tout commence (3,2 millions d'entrées), Le Jeu (1,6 million) et 10 jours sans maman (1,1 million), ces comédies échouent le plus souvent à séduire le public français. Si Pourris gâtés a réalisé un score plus qu'honorable en septembre dernier (442.000 entrées), il a en revanche cassé la baraque sur Netflix, où il s'est imposé en tête des contenus non américains les plus regardés dans plusieurs dizaines de pays - dont le Mexique, où a été tourné le film d'origine.

"C'est aussi plus rapide à produire"

Avec deux à trois remakes de comédies étrangères par an depuis plus d'une décennie (on peut aussi citer Nos 18 ans en 2008, Do Not Disturb en 2012 et Larguées en 2018), la machine tourne à plein régime en France. Rémi Bezançon, triplement nommé aux César en 2009 pour Le Premier Jour du reste de ta vie, vient de débuter le tournage d'Un coup de maître, d'après le film du même nom, une comédie sur une arnaque dans le milieu de l'art, qui avait rencontré un important succès en 2019 en Argentine.

Comment expliquer cet engouement? "L'industrie du cinéma est une industrie des prototypes", note le producteur Marc Missonnier. "Tout ce que vous pouvez faire pour diminuer les risques, vous le faites en choisissant un casting connu, un metteur en scène établi, des scénaristes qui ont déjà fait leurs preuves et éventuellement en vous appuyant sur une franchise déjà connue." Un remake remplit parfaitement cette condition, souligne Vanessa van Zuylen, productrice d'Un homme à la hauteur:

"Dans ce que les gens vont voir, on remarque qu'ils ont besoin d'avoir quelque chose qu'ils connaissent déjà. On se rend compte depuis un moment que les gens sont contents de retourner voir des choses qu’ils ont l’impression de connaître, ou qui sont rassurantes. On sait que si dans la presse on parle d'un film qui a déjà fait 2 millions d'entrées en Amérique Latine et 5 millions aux Etats-Unis, les gens se disent que ça doit être chouette."

Le principe du remake rassure aussi les plateformes, qui peuvent acquérir ces films après leur sortie française: "Les plateformes, qui sont internationales, ont un peu peur de nous, qui sommes un peu des électrons libres. Quand on dit qu’on va faire un remake, ils savent ce qu’on va faire. C’est un formatage qui les rassure. C'est aussi plus rapide à produire. Car il y a des films qui mettent plus longtemps à se faire et cela permet de contenter ces plateformes qui ont besoin de choses assez immédiatement."

Selon Jérôme Commandeur, cette frénésie de remakes s'explique justement par la mondialisation des contenus grâce aux plateformes: "C'est comme si on allait piocher dans des archives françaises pour remettre au goût du jour un film sauf que là on fait ça à 1000 kilomètres d'écart! C'est peut-être aussi parce qu'on a davantage accès aux cultures nationales. Regardez comment les séries et les unitaires espagnols cartonnent sur Netflix!" Et malgré son statut de remake, Irréductible n'a rien de honteux, insiste Jérôme Commandeur, qui est "très fier d'avoir fait cette adaptation".

"Pour moi, ce n'est pas du tout un copié-collé", abonde le comédien. "C'est reconstruire. Et comme je dis toujours, pour reconstruire, il faut savoir construire. Il faut quand même avoir deux ou trois notions de maçonnerie." Michel Hazanavicius défend le même point de vue: ​​"Quel que soit le point de départ, vous réécrivez toujours un scénario. Il y a un long travail de digestion, d'appropriation. Je ne considère pas du tout Coupez! comme un film moins personnel que les autres, quand bien même c'est un remake."

Dans Irréductible, certaines scènes restent malgré tout très proches de Quo Vado?. "Il y en a certaines, quand elles fonctionnaient, que j'ai choisi de garder telles quelles. Les Italiens avaient fait au début un très joli plan séquence dans la préfecture. Je me disais que c'était compliqué de ne pas faire la scène en un plan." Le film a été conçu sans l'appui de l'équipe du film d'origine: "On a beaucoup hésité. On a choisi de ne pas rentrer en contact parce que justement ils nous avaient donné carte blanche."

Jérôme Commandeur n'a d'ailleurs "pas lu le scénario italien" avant de faire son travail d'adaptation. "J'ai vu le film, puis on a fait un transcript, une traduction littérale. Je ne l'aurais pas fait avec un film d'une autre nationalité - car ma mère est italienne. Après, on a tout repris et on a tout réécrit." Et le casting, tout en contre-pied, apporte une fantaisie supplémentaire, absente du film d'origine, avec Christian Clavier en syndicaliste et Laetitia Dosch, issue du cinéma d'auteur. "Elle illumine le film", précise Jérôme Commandeur. "Elle amène une fraîcheur, une vivacité."

Transposer dans la société française

La principale difficulté de ces remakes reste de les transposer dans la société française. "C'est vrai que c'est super de pouvoir s'appuyer sur d'autres films, mais il faut faire attention", souligne Vanessa van Zuylen. "Ce qui n'a pas été peut-être assez fait sur Un homme à la hauteur, et ce qui expliquerait pourquoi ça n’a pas fait autant d'entrées que ce qu’on aurait espéré, c’est qu'on ne l'a peut-être pas assez francisé. Les remakes essaient maintenant de l'être davantage." Jérôme Commandeur, qui sort Irréductible six ans après Quo Vado?, n'a pas eu d'autre choix que de franciser son film:

"Il s'est passé beaucoup de choses depuis! On s'est pris trois TGV dans la gueule en termes d'infos. Le monde est devenu fou avec Trump, la pandémie et les guerres. On ne pouvait pas faire une comédie comme en 2016! On a gardé la trajectoire du héros parce que je la trouve très belle, très poétique. En revanche, j'ai totalement francisé et actualisé l'histoire. La scène avec Valérie Lemercier a été rajoutée, comme la déclaration d'amour à la France de Depardieu."

Nos remakes de comédies étrangères sont rarement aussi infidèles que le film de Jérôme Commandeur. Un village presque parfait avec Didier Bourdon est une copie carbone de La Grande séduction, comédie québécoise où des villageois doivent convaincre un médecin de s'établir chez eux. "Même trame, mêmes scènes dans le même ordre, mêmes blagues qui tombent aux mêmes moments. Certains acteurs (...) ressemblent même à s'y méprendre à leurs homologues québécois", se moquait en 2015 le journal québécois La Presse. "Pourquoi changer une recette qui a si bien fonctionné?"

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV