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Bandes dessinées

Pourquoi "Frontier" de Guillaume Singelin est l'une des BD incontournables de l’année

Détail de la couverture de la BD "Frontier" de Guillaume Singelin

Détail de la couverture de la BD "Frontier" de Guillaume Singelin - Rue de Sèvres

Guillaume Singelin publie Frontier, une BD de SF sur des explorateurs de l'espace, qui jette un regard inquiet sur le monde contemporain et la place que chacun y occupe. Une des BD événements de l'année.

Figure de proue du Label 619, qui dynamite la BD franco-belge en mêlant l'esthétique des comics au dynamisme du manga, Guillaume Singelin publie ce mercredi Frontier. Un récit de SF dans la lignée de Carbone et Silicium de Mathieu Bablet, qui s'impose dès sa sortie comme l'un des albums les plus incontournables de l'année, et l'un des classiques du genre.

Fruit d'une décennie de travail, Frontier raconte les aventures d'un trio de personnages - une scientifique, une mercenaire et un mineur - en pleine exploration d'un territoire vierge, l'espace, alors que des groupes industriels commencent progressivement à le coloniser, et à en piller les ressources, au risque de le détruire, comme la Terre.

Loin du traditionnel récit d'exploration spatiale, Frontier témoigne du regard inquiet que porte Guillaume Singelin sur le monde contemporain et la place que chacun y occupe. Face à une société profondément violente, injuste et cynique, il appelle toutefois à se méfier de tout forme de repli sur soi et à ne pas basculer dans la naïveté des utopies collectives. "L'utopie n'est jamais vraiment accessible", prévient-il.

Fuir la violence du monde du travail

Bien qu'imaginé avant les récentes manifestations contre la réforme des retraites, Frontier y fait écho de manière troublante. Métaphore des dangers du travail en entreprise, du burn-out à l'épuisement professionnel, Frontier met en scène des personnages qui vont tout mettre en place pour fuir la violence du monde du travail.

Couverture de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin
Couverture de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin © Rue de Sèvres

Dans Frontier, ses héroïnes se font ainsi "arracher leur ambition et leur volonté par des entreprises qui transforment les humains en produit". "Tout le monde a conscience de la dureté de son quotidien. Mais combien de personnes vont oser se révolter? C'est souvent plus facile de ruminer notre mal-être."

Guillaume Singelin, dont les histoires mettent le plus souvent en scène "des gens qui ne vont pas bien, et qui vont trouver leur bien-être sans forcément tout casser", veut donc donner avec Frontier des clefs "pour apprendre à ne plus subir". "L'idée de base du projet, c'est essayer de réinventer son quotidien pour vivre mieux", insiste-t-il.

Le recours au genre de la science-fiction, et à un récit d'exploitation spatiale, permet "d'extrapoler toutes ces idées", renchérit-il. "On est dans une époque assez particulière en matière de mouvements sociaux et de mouvements de la pensée. Forcément, la SF permet de mieux digérer ces idées."

Sens fou du détail

Mais le dessinateur n'est pas dupe des impasses de ce type de discours. Le décalage graphique entre ses personnages très cartoonesques et les décors très réalistes dans lesquels ils évoluent le prouve bien. Chaque case témoigne d'un sens fou du détail, qui renforce la sensation d'étouffement des personnages. Une sensation dont ils vont apprendre à se défaire progressivement.

"Ils sont submergés de câbles, d'ordinateurs. Je suis touché par les choses qui ne vont pas ensemble. Ça rend aussi les personnages attachants malgré un univers plutôt dur", détaille le dessinateur.
Case de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin
Case de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin © Rue de Sèvres

Ce décalage entre une esthétique mignonne et un dessin hyper réaliste lui permet aussi d'appuyer l'idée qu'il faut toujours se tenir sur ses gardes face à la violence du monde contemporain. "Je suis toujours un peu méfiant. Quand quelque chose se passe bien, je me demande toujours si c'est une vue de l'esprit, quand ça va se finir."

Science-fiction positive

La peur de l'abandon et de la mort est centrale dans Frontier, qui aborde notamment l'importance de maintenir les rites funéraires dans l'espace, pour apprendre à mieux se libérer. "Je trouvais intéressant le contraste entre ce monde des croyances et cet univers très pragmatique, très technologique", glisse-t-il.

Frontier touche en plein cœur avec cette mélancolie digne du jeu Death Stranding de Hideo Kojima ou du manga Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto. Dans la lignée de ces œuvres marquantes de la culture japonaise, Frontier montre comment tirer le meilleur d'une situation où la mort est omniprésente.

"C'est un état d’esprit que l'on retrouve dans les cultures asiatiques, une sorte d’abnégation et de résilience face aux événements. La vie continue malgré les épreuves", explique celui qui a voulu tourner le dos à une approche classique de la science-fiction, principalement développée au cinéma.
Case de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin
Case de l'album "Frontier" de Guillaume Singelin © Rue de Sèvres

"J'ai lu un livre qui s'appelle Spire de Laurent Genefort, qui aborde le quotidien, les petites gens de l’espace. Ce livre m'a beaucoup marqué. C'est une approche que je trouve chouette. Je ne voulais pas faire de la pure action ou de la pure horreur. Je n'étais pas prêt non plus à faire un récit politique de space opera."

Guillaume Singelin promeut une SF positive. Si le présent est désespérant, le futur, du moins en fiction, le sera moins: "Je suis super pessimiste sur le monde d'aujourd'hui. Est-ce que j'ai envie de l'exacerber dans mes bouquins? Pas vraiment. C'est un peu le seul endroit où je peux avoir de l'optimisme dans un monde qui ne plaît pas trop."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV