BFMTV
Bandes dessinées

Junji Itō, le maître du manga d'horreur, commente ses images les plus terrifiantes

Le mangaka Junji Itō au festival d'Angoulême en 2015

Le mangaka Junji Itō au festival d'Angoulême en 2015 - Pierre Duffour / AFP

Invité d'honneur du festival de la BD d'Angoulême, qui lui consacre une exposition, le célèbre mangaka révèle à BFMTV les secrets de ses histoires les plus terrifiantes. Attention spoilers.

C'est la rock star de la 50e éditon du festival de la BD d’Angoulême. Assistant prothésiste dentaire devenu une star mondiale du manga d'horreur, Junji Itō fait l'objet d'une impressionnante exposition, Junji Itō dans l'antre du délire, qui retrace sa carrière en s'appuyant sur une centaine de planches originales.

"C'est la deuxième fois que je suis invité au festival d'Angoulême", explique à BFMTV Junji Itō. La première fois, c'était en 2015. Je me souviens qu'il y avait une grande exposition Jirô Taniguchi. J'avais été très impressionné. Je me disais que les grandes expositions étaient pour les grands auteurs."

Et d'ajouter, modeste: "Je ne pensais pas que je serais exposé un jour à Angoulême. C'est vraiment un très grand honneur d'être exposé dans un festival qui a une aussi longue et grande histoire. C'est comme un rêve pour moi.

Imaginaire débordant

Redécouvert il y a quelques années par la jeune génération grâce à ses adaptations animes ou ses collaborations avec Hideo Kojima (Death Stranding), Junji Itō a influencé les réalisateurs Guillermo del Toro et Alexandre Aja et l'écrivain R.L. Stine (Chair de poule) avec ses récits horrifiques teintés de réflexions philosophiques.

Adepte également du "body horror" ("horreur corporelle"), Junji Itō a bâti au fil des années une œuvre horrifique à l'imaginaire débordant, sans limites. Ses histoires, qui témoignent d'un art de la tension hors du commun, sont capables d'installer le malaise en quelques secondes.

Les clefs de son imaginaire

Fasciné par tout ce qui est gluant, et les fluides en général, il ne cesse d'exploiter le quotidien et de le transfigurer dans des contes aussi tragiques que dérangeants. Spirale (1998-1999) raconte ainsi l'histoire d'un petit village basculant dans la folie après l'apparition d'étrangers spirales.

Dans Tomie (1987-2000), une jeune femme à la grande beauté pousse les hommes à vouloir la tuer. Dans La Femme limace (1991-1995), une jeune fille voit sa langue se transformer progressivement en limace. Une autre de ses plus célèbres histoires met en scène les aventures de Soichi, un diabolique garnement aux dents cloutées.

À l'occasion de sa venue à Angoulême, ce maître du 9e Art commente quelques-unes des planches les plus marquantes de sa carrière - extraites de Tomie, Soichi, Spirale ou L'Amour et la mort, sa dernière nouveauté, à paraître le 1er février chez Mangetsu. Il en révèle les secrets, et livre au passage les clefs de son imaginaire.

• "Spirale"

"Spirale" de Junji Ito
"Spirale" de Junji Ito © UZUMAKI © 1998 Junji ITO / SHOGAKUKAN INC.

"Il s'agit d'un extrait du premier chapitre de Spirale. C'est une scène de climax. Il y a un grand bassin où se trouve le père du petit ami de l'héroïne. Son corps se transforme petit à petit en spirale et va rentrer complètement dans le bassin.

Je me suis demandé comment faire pour qu'un corps devienne une spirale et entre parfaitement à l'intérieur de ce bassin. J'ai réfléchi en termes de logique: je me suis dit que les jambes seraient plus vers l'extérieur, avec vers le centre le visage, et puis tout au milieu, les mains avec les doigts qui se croisent.

Il m'arrive parfois que des rêves m'inspirent, mais dans le cas de Spirale, les images sont tout droit sorties de mon imagination."

• "Tomie"

Un extrait de "Tomie" de Junji Ito
Un extrait de "Tomie" de Junji Ito © TOMIE - © 2011 JI Inc./Asahi Shimbun Publications Inc.

"C'est une histoire courte de la série Tomie, qui s'appelle Le Peintre. C'est l'histoire d'un peintre qui a beaucoup de succès. Il réalise des peintures de très belles femmes. Il va se retrouver possédé par la beauté de Tomie. Il va la prendre pour modèle pour la peindre. Il croit que son tableau est très réussi, mais on se rend compte que c'est un monstre qu'il a peint!

C'est vrai que souvent, quand je dessine des monstres, je vais travailler sur leur peau comme si c'était des maladies de l'épiderme, pour donner cette impression grotesque. C'est pour moi un moyen de mettre en scène la terreur. En ce moment, je n'ai pas d'idées particulières [pour faire revenir Tomie], donc ce n'est pas pour tout de suite. Mais si j'en ai l'occasion, j'ai très envie de dessiner une nouvelle [histoire de] Tomie."

• "Soichi"

Un extrait de "Soichi" de Junji Ito
Un extrait de "Soichi" de Junji Ito © SOICHI - © 2011 JI Inc./Asahi Shimbun Publications Inc.

"J'ai grandi à la campagne. J'ai plein de souvenirs très amusants. Je courais dans les plaines. J'ai eu envie de dessiner des enfants qui grandissent à la campagne face à des événements horrifiques. Ça a été le point de départ de Soichi.

Quand je me suis demandé comment pourrait prendre forme cette histoire, j'ai eu l'idée de créer un personnage comme une espèce de Joker: c'est là que Soichi est né. Pour ce personnage, je me suis aussi inspiré de ma propre enfance. J'étais un garçon assez sombre et négatif. J'ai ajouté des éléments de ma propre personnalité [à Soichi].

Au début, j'avais l'idée d'un garçon au visage très pâle qui souffrirait d'anémie. J'ai donc imaginé qu'il aurait besoin d'apport en fer. Au début, je comptais lui faire sucer tout le temps des billes de pachinko. Je me suis dit ensuite que des clous seraient beaucoup plus amusants!"

• "L'Énigme de la faille d'Amigara"

Un extrait de "L'Énigme de la faille d'Amigara" de Junji Ito
Un extrait de "L'Énigme de la faille d'Amigara" de Junji Ito © © 2002 Junji ITO / SHOGAKUKAN INC.

"Un séisme provoque dans la roche des failles, qui forment des trous qui reprennent la forme des humains qui se sont retrouvés coincés dedans. Beaucoup de gens vont se retrouver comme possédés et attirés [par ces trous] et se rassembler pour trouver un trou qui correspond à leur morphologie.

Ce concept m'est venu assez naturellement, assez rapidement. En revanche, je me suis beaucoup creusé la tête pour me demander comment un être humain pourrait entrer parfaitement dans ce trou. J'ai essayé de dessiner un corps déformé qui puisse rentrer dans ce trou, mais je vous avoue que je ne suis pas entièrement satisfait. Je me dis que j'aurais pu faire un peu mieux."

• "La Femme limace"

Un extrait de "La Femme Limace" de Junji Ito
Un extrait de "La Femme Limace" de Junji Ito © © 2013 JI Inc./Asahi Shimbun Publications Inc.

"Un jour, alors que je me brossais les dents, je regardais mon visage dans la glace. Puis j'ai sorti ma langue et je me suis amusé à la tordre un petit peu. Je me suis alors rendu compte que ma langue ressemblait à une limace.

Je me suis dit que ce serait tellement désagréable que ma langue devienne une limace que j'ai eu envie de raconter une histoire à partir de ce sentiment. [Avec la bave de la limace], j'ai eu aussi envie d'exprimer ce sentiment très désagréable qu'on ressent quand on a un liquide collé sur soi qui ne veut pas partir."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV