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Bandes dessinées

De "Taxi" aux "Trois Mousquetaires", l'art délicat d'adapter les films en BD

Détail des couvertures des albums "Supercondriaque", "Les Trois Mousquetaires" et "Taxi Gangstars"

Détail des couvertures des albums "Supercondriaque", "Les Trois Mousquetaires" et "Taxi Gangstars" - Delcourt - Casterman - Septième Choc

La sortie du film Les Trois Mousquetaires s'accompagne de la publication d'une BD dérivée et d'une adaptation sous forme de manga. Une pratique courante dans le milieu du cinéma, afin de promouvoir ses blockbusters.

Astérix, Spirou, Largo Winch... Le cinéma français s'est souvent inspiré des grands succès de la bande dessinée, avec plus ou moins de bonheur. L'inverse est tout aussi vraie: le 9e Art a fréquemment adapté des productions aussi diverses que les comédies de Dany Boon, les films de Luc Besson, les fresques historiques avec Vincent Cassel et les contes de Nicolas Vannier.

Etrange corpus que celui-ci, où l'on retrouve une adaptation d'Inspecteur La Bavure de Claude Zidi par Cabu, une version pop d'Un Indien dans la ville et des transpositions de Halal Police d'Etat d'Éric et Ramzy, Vercingétorix, le péplum nanardesque avec Christophe Lambert, Taxi, La Vérité si je mens 3 (les deux premiers films n'ont pas eu droit à une adaptation) ou Belle et Sébastien de Nicolas Vannier.

Ces productions purement mercantiles qui avaient disparu des librairies sont de retour. "Il y a eu pas mal d'expériences assez pénibles", note Néjib, scénariste d'une adaptation en manga du film Les Trois Mousquetaires. "Le seul intérêt, c'est que ça se vende bien et que tu gagnes de l'argent - ce qui n'est pas un gros mot. Mais en réalité, tu perds sur tous les fronts: généralement, d'un point de vue artistique, ça n'a aucun intérêt."

La tendance est désormais de "faire en sorte que le lecteur ait une vraie BD entre les mains", indique Franck Marguin, directeur littéraire de Glénat. L'un des meilleurs exemples récents reste Le Triomphe de Zorglub d'Olivier Bocquet et Brice Cossu, un album accompagnant la sortie des Aventures de Spirou et Fantasio (2018), un film en prise de vues réelles inspiré de la célèbre BD.

Les couvertures des albums "Un indien dans la ville", "Halal police d'état", "La Vérité si je mens! 3", "Vercingétorix", "Inspecteur la Bavure", "Taxi Gangstars", "Supercondriaque" et "Belle et Sébastien"
Les couvertures des albums "Un indien dans la ville", "Halal police d'état", "La Vérité si je mens! 3", "Vercingétorix", "Inspecteur la Bavure", "Taxi Gangstars", "Supercondriaque" et "Belle et Sébastien" © Glénat - Vent d'ouest - Hugo - Casterman - Septième Choc - Delcourt - Glénat

Dans cet album, Spirou et Fantasio découvrent l’existence du film et s'y opposent fermement. Une idée maligne pour détourner la commande: "La production, à notre grande surprise, a trouvé l’idée marrante et nous a donné son accord", nous avait raconté en 2022 Olivier Bocquet. Divertissante et incisive, cette BD surpasse en audace le film et se lit aussi comme une aventure indépendante de Spirou et Fantasio.

Mais ce genre de cas reste rare. Même aux Etats-Unis, où Marvel a adapté en comics des films comme 2001: l'odyssée de l'espace, Star Wars ou Blade Runner. "Tu n'y retrouves pas la force du récit ou de la mise en scène. Ce sont des livres que tu entreposes chez toi pour te rappeler l'univers", précise Néjib. "C'est ça ou un mug ou un tote bag", s'amuse Gilles Rochier, scénario d'une autre BD inspirée des Trois Mousquetaires.

Pour accompagner la sortie du blockbuster Les Trois Mousquetaires, Casterman a initié un acte de création et d'invention inédit pour justement détourner la dimension marketing inhérente du projet: une BD humoristique signée Gilles Rochier et Fabrice Erre et un manga adaptant le scénario du film par Néjib et Cédric Tchao. "C'est plus des extensions d'univers que des produits dérivés pur jus", notent-ils.

"On devait s'emparer de l'ambiance des Trois Mousquetaires et en faire ce qu'on en veut. Ça aurait été un peu chiant de faire comme le film", explicite Gilles Rochier. Pour Néjib, transposer l'œuvre de Dumas dans un shonen (manga destiné à un public adolescent) était une évidence: "Les Trois Mousquetaires, c'est un shonen avant l'heure! D'Artagnan, c'est un ado qui quitte sa famille pour faire sa quête initiatique."

Couvertures des albums "L'Empereur de Paris" et "Le Triomphe de Zorglub"
Couvertures des albums "L'Empereur de Paris" et "Le Triomphe de Zorglub" © Glénat - Dupuis

Son manga est très fidèle au scénario du film dont il conserve la structure globale et une partie des dialogues. Pour l'organisation des scènes, et surtout la mise en scène, le manga apporte une autre dimension à l'ensemble. La production a été très souple. Pour le deuxième tome, prévu pour décembre, Néjib et Cédric Tchao ont pris plus de liberté. "On a proposé quelques aménagements. Le producteur a accepté."

La présence des scénaristes du film dans le projet BD permet aussi d'éviter cette dimension mercantile. Dans le cas de L'Empereur de Paris, une fresque historique sur Vidocq réalisée par Jean-François Richet, son scénariste Éric Besnard a pu se réapproprier ce film qu'il devait mettre en scène. "Il était très exigeant, c'était très enrichissant", se souvient Franck Marguin.

"On s'est dit qu'on avait du boulot!"

Pour préparer leur adaptation, les auteurs de ces BD ont le plus souvent accès à des copies de travail. "Pour Vercingétorix, on a regardé une version pas tout à fait finie, en noir et blanc", se souvient le dessinateur Jean-Marie Michaud. "Le film n'était pas entièrement doublé en français. Comme c'était une production européenne, chacun parlait dans sa langue. On s'est dit qu'on avait du boulot!"

Pour la BD adaptée de Halal Police d'Etat, l'éditeur Maximilien Chailleux a été confronté à un autre défi: "En visionnant la première version du film, on a découvert que pendant le tournage Éric et Ramzy avaient totalement improvisé! Des pans entiers du scénario ne correspondaient plus au film, donc on a modifié des parties du scénario tout en restant plutôt fidèle au script d'origine. La fin de la BD est différente de celle du film."

Les deux BD inspirées du film "Les Trois Mousquetaires" publiées aux éditions Casterman
Les deux BD inspirées du film "Les Trois Mousquetaires" publiées aux éditions Casterman © Casterman

Ces aménagements sont nécessaires: la grammaire de la BD n'est pas celle du cinéma, et inversement. Impossible de résumer en 46 pages un film. "Il faut un point de vue", insiste Franck Marguin. Surtout lorsqu'il faut aussi gérer le réalisateur, qui peut voir dans la transposition en BD une trahison de son univers. Sensation renforcée lorsque celui-ci n'est pas familier du 9e Art, et pinaille sur des points de détails insignifiants.

Mais à quel point faut-il être fidèle si certains choix du film sont hasardeux? Le cas s'est posé à Jean-Marie Michaud sur Vercingétorix: "Dans le film, ils ne portaient pas les bons costumes par rapport à la réalité historique. J'ai hésité à être pointilleux avant finalement de tenir compte des photos du film. On me l'a reproché à la sortie de la BD. Je m'en suis mordu les doigts."

"C'était une course"

Mener à bien ce genre de projets est aussi difficile pour des questions de planning. "Les producteurs te contactent souvent quand le film est déjà planifié dans le calendrier de sortie. Tu as donc très peu de temps pour sortir l'album", explique Franck Marguin. "Les producteurs ne se rendent pas compte que ça prend un an et demi pour faire une BD. C'est ultra-épuisant de rentrer dans un calendrier qui n'est pas le tien."

"C'était une course", confirme Néjib. "On était comme les feuilletonistes." "La temporalité était space", acquiesce Gilles Rochier. "Le film se faisait en même temps que les livres. On n'avait aucun recul." Quatre mois est la durée moyenne pour ce genre de projets. Désormais, les éditeurs ne veulent plus consacrer si peu de temps sur un tel projet.

Un extrait du manga "Les Trois Mousquetaires"
Un extrait du manga "Les Trois Mousquetaires" © Casterman

Une adaptation du film Délicieux a capoté pour ces raisons, révèle Franck Marguin: "En lisant le scénario, je voyais la super BD que l'on pouvait faire. Mais si on voulait en faire une BD, il fallait soigner chaque détail. Il fallait que chaque plat donne envie d'être dégusté. Il me fallait un an et demi pour faire un bouquin comme ça. Mais il sortait son film huit mois plus tard... Ce n'était pas possible."

Dessiner les acteurs?

Ces adaptations posent également de vrais défis d'un point de vue graphique: faut-il s'inspirer du casting ou inventer de nouveaux personnages? Beaucoup refusent de représenter des stars du film, principalement pour des raisons de temps, ou pour échapper au produit dérivé. Chez Glénat, les adaptations de Belle et Sébastien et de L'Empereur de Paris ne mettent pas en scène Clovis Cornillac ou Vincent Cassel.

"C'était très important", insiste Franck Marguin. "Si tu fais une BD d'après un film, et qu'en plus tu reprends les acteurs, la BD devient vraiment une illustration du film plus qu'une vraie BD." "Coller aux acteurs, c'est pénible, parce qu'on perd beaucoup de temps à corriger des choses peu intéressantes pour que les personnages soient ressemblants", poursuit Néjib.

Les spécificités du manga ont aussi incité Cédric Tchao à faire fi de la ressemblance aux acteurs du film, note Néjib: "Il y a moins de souci de vraisemblance, de réalisme dans le manga où les choses sont très exagérées." Les comédies populaires dérivées en BD, avec des stars comme Éric et Ramzy ou Dany Boon, jouent au contraire avec la ressemblance des personnages avec les acteurs.

Un extrait de la BD "Halal Police d'Etat"
Un extrait de la BD "Halal Police d'Etat" © Vent d'Ouest

"Dany Boon était plus difficile à dessiner que Kad Merad car il a beaucoup d'expressions sur le visage", dit Frédéric Coicault, dessinateur de la BD Bienvenue chez les Ch'tis. "L'autre défi était Line Renaud. Il ne fallait pas que je la vieillisse, j'ai fait de la caricature simplifiée." Pour Halal Police d'Etat, la démarche était "d'autant plus simple que les personnages étaient eux-mêmes grimés dans le film", explique Maximilien Chailleux. "Éric disait qu'on lui avait fait une tête de chinois", rigole-t-il.

Avec des stars de cette trempe, se pose aussi la question du droit à l'image. "Sur Vercingétorix, on nous avait demandé de dessiner les acteurs", se souvient Jean-Marie Michaud. "Puis pendant qu'on faisait la BD, Max Von Sydow, qui jouait le druide, n'a plus voulu qu'on le reconnaisse dans la BD. L'actrice qui jouait la princesse, et apparaissait nue, a demandé à ce qu'on la rhabille."

Entre 6.000 et 15.000 exemplaires vendus

Ces albums dérivés de films bénéficient souvent de tirages importants, entre 10.000 et 20.000 exemplaires. "Plus la campagne marketing du film est énorme, plus les ambitions du producteur sont grandes, plus le tirage de la BD sera important."

L'album dérivé de Vercingétorix a ainsi bénéficié d'un tirage de 30.000 exemplaires. "Je me suis dit que c'était fou", se souvient Jean-Marie Michaud. "Casterman, malgré tout, en avait vendu 15.000 exemplaires." Sorti six mois après le carton du film, la BD Bienvenue chez les Ch'tis a écoulé son tirage de 120.000 exemplaires. Mais le plus souvent, les ventes oscillent entre 6.000 et 15.000 exemplaires.

Preuve que le genre n'est pas mort et continue d'inspirer les créateurs, Glénat a sorti le 5 avril Le Héros du Louvre, une BD écrite par Élie Chouraqui d'après un film qu'il réalisera en... janvier 2024 avec Kad Merad et Marie Gillain. Dans cette BD en trois tomes, dessinée par Letizia Depedri, Chouraqui raconte l'histoire de son grand-père, qui a sauvé des tableaux du Louvre lors de la Seconde Guerre mondiale.

"Ce qui m'intéresse, c'est de pouvoir raconter cette histoire très forte pour toucher un public large", confie Cédric Illand, éditeur de l'ouvrage. "Le film et la BD sont le même projet. Il y a la même envie: celle de partager cette histoire familiale assez extraordinaire qui s'inscrit dans la grande histoire." Comme une vraie BD.

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV