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Bandes dessinées

"C'est difficile d'être optimiste": comment la violence du monde a influencé le créateur de "The Boys"

Le scénariste Garth Ennis en 2017

Le scénariste Garth Ennis en 2017 - Vivien Killilea / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Invité du Paris Fan Festival les 15 et 16 avril, le scénariste Garth Ennis, connu pour ses comics ultra-violents à l'humour très noir, comme The Boys et Preacher, retrace sa carrière pour BFMTV.com.

"Je ne pense pas beaucoup à la manière dont mon travail est perçu. J'entends souvent des mots comme 'violent', 'brutal', 'tordu'." Scénariste de The Boys et Preacher, et de quelques-uns des comics les plus controversés des trente dernières années, Garth Ennis n'est pas mécontent de cette réputation. "Je ne la désapprouve pas", sourit-il lors d'une rencontre récente en vidéoconférence.

Invité d'honneur du Paris Fan Festival les 15-16 avril, cet Irlandais de 53 ans s'est fait un nom dans les années 1990 avec des histoires ultra-violentes à l'humour noir. "J'ai tendance à explorer des sujets auxquels les autres n'osent pas se frotter", admet-il. Preacher, son chef d'œuvre, suit les aventures d'un prêtre à la recherche de Dieu. Dans The Boys, il dresse une satire extrême des super-héros américains.

Si le grand public a identifié son nom depuis le succès des adaptations sérielles de ces deux comics, il est toutefois loin d'imaginer ce que ce prolifique scénariste est capable d'inventer pour évoquer dans les pages de ses bandes dessinées la violence d'un monde qui lui inspire de moins en moins confiance.

"Je trouve que c'est de plus en plus difficile d'être optimiste", acquiesce le scénariste, dont les histoires mettent le plus souvent en scène des gens ordinaires devant affronter des êtres tout-puissants et fous. "Mais il est possible de maintenir à distance le pire, pour survivre. C'est le premier signe du progrès, cette capacité d'empêcher les choses de s'aggraver."

Vivre avec la mort

Garth Ennis trimballe ce pessimisme depuis son enfance en Irlande du Nord. Dans les années 1970, républicains et loyalistes s'affrontent violemment, faisant des milliers de morts et de blessés. "Cela m'a clairement influencé. Je n'ai pas été impliqué, mais le fait de vivre dans le même pays m'a donné un point de vue pessimiste et cynique sur la vie." Il se souvient:

"Chaque matin, on prenait le petit-déjeuner en écoutant le décompte des morts et des blessés de la nuit. Les gens s'étaient résignés et avaient appris à vivre avec ça. Personne n'a rien fait pendant près de deux décennies. Ça m'a donné très tôt la mesure de ce que les gens étaient prêts à supporter. Un ami me disait récemment que cette situation avait été le parfait entraînement pour ce qu'on vit depuis 15 ans."
Couverture du comics "The Boys"
Couverture du comics "The Boys" © Panini

À cette époque, le jeune Garth développe aussi un sens de l'humour acéré. Mais pas en réaction aux événements, assure-t-il: "J'ai grandi dans une banlieue pavillonnaire absolument classique. Cela ne veut pas dire qu’on ne pratiquait pas un humour macabre pour surmonter ce qui se passait. Mais mon humour vient davantage de ce que je regardais et de ce que je lisais à l'époque, comme beaucoup de scénaristes."

Contrairement à des scénaristes de renom comme Alan Moore ou Grant Morrison, il ne grandit pas au contact des super-héros. Il dévore plutôt des "war comics". "Dès que j'ai compris que ces histoires, au-delà de leur dimension hyperbolique, s'étaient réellement déroulées, je me suis plongé dans les livres d'histoire militaire, pour apprendre ce qui s'était passé, et ce dont les comics ne pouvaient pas parler."

Apocalypse nucléaire

Cette fascination ne l'a jamais quitté. "Une fois que j'ai pu faire mes propres comics de guerre, j'y suis allé à fond", s'amuse-t-il. Dans ces histoires, "qui explorent les horreurs de la vie", ses personnages "doivent survivre à des situations qui dépassent notre imagination". Dans une de ses plus célèbres histoires, le Punisher, fameux tueur à gages de l'univers de Marvel, affronte ainsi l'apocalypse nucléaire.

Dessiné par Richard Corben, Punisher: The End (2004) a été publié en pleine administration Bush, et influencée par la seconde guerre du Golfe. "Ce méfait impuni des Américains me rendait fou", se souvient-il. "Cette histoire est née lorsque je me suis demandé ce que donnerait un affrontement entre les États-Unis et le reste du monde. C'est une histoire que j'aime beaucoup."

Couverture de "The Punisher: The End" de Garth Ennis et Richard Corben
Couverture de "The Punisher: The End" de Garth Ennis et Richard Corben © Marvel

Profondément inquiet de l'état du monde, Garth Ennis poursuit: "Heureusement, Bush ne pouvait pas transformer cette guerre en conflit mondial. Mais ce qui se passe aujourd'hui est beaucoup plus inquiétant, avec Vladimir Poutine, qui joue avec le feu avec l'OTAN. J'espère que cette guerre ne débouchera par sur une autre guerre qui va tous nous anéantir."

Ce grand lecteur de la presse et de livres d'histoire ajoute: "Je tombe sans cesse sur des choses bien plus sombres et désagréables que ce que je pourrais imaginer dans mes comics. Les choses les plus horribles qui se sont produites sont les choses que les humains se font entre eux." Ses scénarios fonctionnent ainsi. Beaucoup de lecteurs adorent ses histoires, où l'on se demande sans cesse quelle sera sa prochaine folie.

"La souffrance des gens ordinaires"

Profondément athée, Garth Ennis a par ailleurs souvent dénoncé dans ses comics tout prosélytisme. "On est souvent passionné par les choses que l'on déteste. On voit comment elles affectent le monde donc on veut écrire sur ce qui nous met en rogne." Dans Marjorie Finnegan, Criminelle temporelle, tout juste sorti en France, son héroïne retourne ainsi dans le passé pour y modifier la perception de la religion.

"J'y parle de la religion comme une escroquerie. C'est de cette manière que je suis le plus à l'aise pour parler de religion", commente le scénariste, qui dénonce de la même manière dans The Boys la fascination générée par les super-héros.
Couverture du tome 1 de "Preacher"
Couverture du tome 1 de "Preacher" © Urban Comics

Aux Dieux, Garth Ennis préfère "les gens ordinaires" et leurs souffrances. The Boys parle ainsi des victimes des super-héros, et dénonce l'homophobie. Dans Dear Becky, un spin-off de The Boys, il évoque les conséquences du Brexit sur les droits des personnes trans. "Le Brexit est l'une des plus incroyables erreurs commises par une nation. On va en voir les conséquences pendant des années."

"Dès qu'on arrête de penser aux super-héros et que l'on réfléchit à la manière dont l'humanité se débrouille seule, on voit qu'elle ne se débrouille pas très bien", ajoute-t-il encore. "Les gens ordinaires qui essayent de survivre à la folie du monde sont bien plus intéressants que les super-héros. Ça vient bien sûr des histoires de guerre que je lisais enfant, où les gens ordinaires se débrouillent sans avoir de pouvoirs particuliers." Un message d'espoir, en somme: "Je ne voudrais pas être trop optimiste, mais oui."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV