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Bandes dessinées

"Astérix": dans les coulisses de l'impression très secrète du 40e album, "L'Iris blanc"

La nouvelle aventure de l'irréductible Gaulois a été imprimée dans le plus grand secret cet été à l'imprimerie Pollina en Vendée. BFMTV a pu s'y rendre en exclusivité.

Le bâtiment ne paye pas de mine. Façade neutre, parking à moitié vide... Même sous le soleil caniculaire de fin juillet, l'imprimerie Pollina ressemble à n'importe quelle autre zone industrielle de France. Et pourtant, c'est ici, à Chasnais, à cinq kilomètres de Luçon, en Vendée, qu'est imprimée la bande dessinée la plus secrète de l'année - la futur bestseller: le nouvel album d'Astérix, L'Iris blanc.

Ce mardi de fin juillet, alors que l'impression du quarantième tome de la série imaginée par René Goscinny et Albert Uderzo en 1959 doit débuter, la sécurité est au maximum. Objectif: empêcher toute fuite de L'Iris Blanc.

Les éditions Albert René, représentées par Céleste Surugue, son directeur général et l'éditeur des albums, arrivent en délégation. Bien connue du monde de la BD, Pollina est une référence et ses employés sont reconnus pour leur professionnalisme et leur discrétion. C'est là que sont imprimés tous les albums de Riad Sattouf (L'Arabe du futur) ainsi que de nombreux blockbusters, de Largo Winch à Titeuf.

Perdre le moins de papier

Rituel tout à fait banal dans la vie d'une BD, le lancement de l'impression n'en reste pas moins un rendez-vous essentiel. Cette étape permet de caler une ultime fois les couleurs définitives de l'album, afin qu'elles soient le plus fidèle possible aux intentions des auteurs. Une fois la machine calée, celle-ci ne bougera plus. Pour l'éditeur, qui fait l'aller-retour à Luçon dans la journée, c'est aussi une course contre la montre:

"Il ne faut pas perdre de temps parce que la machine tourne en étant mal calée. Et tant qu'elle est mal calée, c'est du papier qui est gâché", explicite Céleste Surugue. "Il faut faire les bonnes corrections le plus rapidement possible pour perdre le moins de papier!"
Le calage des couleurs du nouvel album d'Astérix "L'Iris blanc" à l'imprimerie Pollina
Le calage des couleurs du nouvel album d'Astérix "L'Iris blanc" à l'imprimerie Pollina © Jérôme Lachasse

Accompagné par Aude Cauchet, technicienne de fabrication chez Albert René, Céleste Surugue examine avec attention chaque planche - tout en riant des facéties imaginées par Fabcaro. Le décapant auteur de Zai, Zai, Zai, Zai succède à Jean-Yves Ferri, accaparé par sa BD humoristique sur Charles de Gaulle.

"Quand le lecteur lit, et qu'il passe d'une page aux couleurs faibles à une page aux couleurs fortes, cela casse un peu l'histoire. Notre but est donc d'être le plus homogène possible", explique Laurent Pollina, dirigeant de l'entreprise.

Un œil très technique

L'enjeu est aussi d'être fidèle à l'esprit de René Goscinny et Albert Uderzo - et de se mettre à la place du lecteur: "Il faut qu'il n'y ait rien qui choque ou qui interpelle le regard. Il faut qu'il y ait une impression de continuité, que ce soit cohérent", précise Aude Cauchet. "Il faut faire attention à l'intensité d'une couleur. Ça peut gêner la compréhension de l'histoire", indique Céleste Surugue.

Pour les employés de Pollina, le plaisir de lecture est forcément altéré: "On n'a pas le même plaisir que les gens qui découvrent pour la première fois, c'est sûr, ce n'est pas pareil, mais on aime bien réaliser ces livres", confirme Laurent Pollina. "Mais on a un œil très technique. On a souvent tendance à regarder un livre d'un point de vue technique et moins d'un point de vue du scénario et du dessin."

Les planches de l'album, que personne ne doit voir avant la sortie le 26 octobre, comme le veut la tradition d'Astérix depuis plus de 30 ans, sont pourtant exposées aux yeux de tous sur de grandes tables. Pour des raisons de confidentialité, l'impression se déroule dans un endroit reculé de l'usine à l'abri des regards. "C'est un endroit où il n'y a aucun passage, pour que personne ne puisse voir la production en cours", précise Aude Cauchet.

L'équipe dédiée à l'impression du nouvel Astérix est également restreinte. "On a des contrats de confidentialité", poursuit Aude Cauchet. "L'usine engage directement sa responsabilité pour s'assurer que la confidentialité soit respectée." Pour s'assurer qu'aucune image de l'album ne fuite, les exemplaires non calés (environ 20.000 exemplaires) sont détruits et conservés sous clef dans une benne jusqu'à la sortie.

Les derniers préparatifs avant l'impression du dernier album d'Astérix "L'Iris blanc"
Les derniers préparatifs avant l'impression du dernier album d'Astérix "L'Iris blanc" © Jérôme Lachasse

"Comme un cadenas est facile à forcer, une fois le tirage fini, on fait mettre par-dessus quatre tonnes de déchets d'autres tirages", détaille Laurent Pollina, qui détient l'unique clef pour ouvrir la benne. "C'est très lourd, et comme la benne fait 5 mètres de haut, pour sortir tout ça, c'est mission impossible! Ça nous permet de sécuriser encore plus." La benne elle-même est anonymisée:

Il n'y a pas le nom de l'ouvrage dessus, juste un nom de code", précise Aude Cauchet. "Puis on déverse de l'encre sur les épreuves pour être sûr qu'on ne voit pas le contenu des planches et que l'on ne puisse pas réutiliser les feuilles."

Seulement 4% de retour

En trois jours, 1,2 million d'exemplaires seront imprimés. En tout, 5 millions d'albums (traduits en une vingtaine de langues) de L'Iris blanc seront mis en vente d'ici la fin de l'année. Alors que s'impriment les premiers tomes, Céleste Surugue anticipe déjà ses chiffres de vente: "lors du premier week-end, entre 600.000 et 700.000 exemplaires seront écoulés. Soit un tiers de la vente finale! D'où la nécessité d'en imprimer beaucoup."

En décembre, 1,5 million d'Iris blanc seront vendus, prédit-il. Et les 2 millions seront atteints en France avant l'été 2024. La marque Astérix est plus forte que jamais: "On vend 1 million d'exemplaires par an du reste du catalogue." Et les taux de retour des défient toute concurrence, se félicite Céleste Surugue: "La dernière fois, on a terminé avec 4% de retour. C'est très rare, surtout quand il y a des quantités pareilles."

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV