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Alexandre Astier: "Si ça se trouve je ferai encore Kaamelott quand j’aurai 80 ans"

Détail de la couverture du nouvel album de Kaamelott

Détail de la couverture du nouvel album de Kaamelott - Casterman

L'homme-orchestre publie le 24 juin le 9e tome de Kaamelott. Il raconte à BFMTV.com sa méthode de travail et lève un coin du voile sur le film, attendu en novembre au cinéma.

Confiné mais heureux, Alexandre Astier sort le 24 juin Les Renforts maléfiques, 9e tome de la série Kaamelott en BD et fin d’un diptyque entamé en janvier 2018. Toujours associé au dessinateur Steven Dupré, Astier livre une aventure dans la lignée de Thorgal et Conan.

On sent le plaisir du scénariste à raconter le passé de sa série (la BD se déroule juste avant le début de la première saison) et à explorer ce monde magique qu’il n’a pu qu’effleurer à la télévision pour des raisons de coûts des effets spéciaux. "Dans la série, la magie et les sorciers étaient aux portes. Ce qui était plutôt chiant, c’était de trouver des combines pour ne pas avoir à montrer ça dans la série." Un problème qui disparaît dans la BD, où Steven Dupré dessine une faune qui ravit Astier.

Désormais plus à l'aise avec le genre, il n’hésite pas à allonger les cases et à livrer des pages entièrement silencieuses sans pour autant rogner sur la célèbre logorrhée de ses personnages: "Comme c’est la fin d’une histoire en deux tomes, on a plus de place pour expérimenter", indique le dessinateur. Astier a aussi été tenté de faire une expérience immersive, où le lecteur n’aurait jamais croisé le regard du basilic, la créature que doit affronter Arthur: "J’avoue que c’était un peu difficile de respecter ce principe-là."

"Le 25 novembre, c'est une jolie date!"

L’album est drôle, brutal et même, sans le vouloir, méta. Difficile de ne pas penser à la pandémie, lorsque les chevaliers d’Arthur, en voulant se protéger du basilic, s’écrient: "mettez vos masques!" "Je ne l’ai pas fait exprès!", rigole Alexandre Astier. "Les dates font foi!" L’album a en effet été terminé le 18 février.

Couvertures des BD de Kaamelott
Couvertures des BD de Kaamelott © Casterman

Rien n’a changé sinon en Carmélide, où l’incompréhension règne toujours autant entre les personnages. Fidèle à l'esprit de la série, Steven Dupré a désormais faits siens les personnages d'Astier: "C’est une évolution naturelle. J’ai dû commencer par regarder la série en DVD - je suis flamand et je ne la connaissais pas du tout! Il y a une règle: les personnages ne rient ou ne sourient jamais. Pour eux, tout est sérieux."

Astier travaille aussi sur le tant attendu Kaamelott: Premier Volet. Prévu initialement cet été, le film a été repoussé en raison de la pandémie à la fin de l’année. Arthur devra affronter James Bond et Soul, le dernier Pixar, mais Alexandre Astier garde le sourire: "Le 25 novembre, c'est une jolie date!", dit-il en précisant que "le film est totalement compréhensible par quelqu’un qui n’a rien vu de la série."

Alors qu'il travaille sur l’écriture musicale et le montage de son film, il répond aux questions de BFMTV sur sa nouvelle BD et expose sa méthode de travail. Lui qui n’aime pas les formats courts et rêve d’épopées et de sagas fantastiques au long cours, écrit en réalité son histoire par double planche, comme si les scénettes de deux minutes du début de Kaamelott lui manquaient.

Les Renforts maléfiques devait être publié quelques mois après L'Antre du basilic. Il sort finalement deux ans et demi plus tard. Que s’est-il passé?

J’ai eu d’autres trucs à faire! (rires) Généralement, quand les trucs prennent trop de temps, c’est moi le goulot d’étranglement, on ne va pas se mentir! C’était l'époque du film, tout simplement. Je me suis retrouvé plongé dans le film les deux pieds dedans plus tôt que prévu. Ça a démarré vite, et ça a démarré lourd, tout de suite. On a tourné avec une caméra particulière, l’Alexa 65, l’équivalent numérique du 70mm, utilisé à l’époque pour les grands westerns. On a eu plus de choses à faire en amont. Je pensais pouvoir concilier l'écriture et le film, mais quand le film a commencé, je n’ai plus écrit et j’ai décidé d’attendre la fin [du tournage].

Reprendre l’écriture a-t-il été complexe? Le film et la BD ne se déroulent pas à la même période et les personnages changent au fil de la saga…

Oui. Quand j’écris la BD, j’écris différemment. J’écris plus ouvert. J’ai un plan de départ assez sommaire et je me force à travailler sur deux planches à la fois, avec les choses qui viennent. Évidemment, le plan sert de chef de gare, sinon je me planterais. À partir du moment où je sais où je vais, c'est très facile pour moi d’écrire hors contexte deux planches, puis de laisser tomber avant de reprendre plus tard. J’écris au moins par deux planches, parce que j’essaye d’écrire ce que le lecteur va voir, ce qu’il va avoir sous le pif lors de sa lecture. Je n’ai pas de problème pour passer du film à la BD. Au contraire, ça me fait respirer.

Une case de la BD Kaamelott tome 9
Une case de la BD Kaamelott tome 9 © Casterman

Il y a dans cet album un humour méta qu’on ne vous connaissait pas… Comme le lecteur qui a longtemps attendu ce tome, les chevaliers ont été prisonniers 1 an et demi dans l'antre du basilic!

(Rires) C’est comme le teaser du film qui dit qu’il faut être patient. Honnêtement, je ne les calcule pas, ces trucs-là. D’une manière générale, j’aime bien que dans un univers épique les temps et les distances soient grands. Par exemple, pour le film, ça fait dix ans qu’il n’y avait pas eu d’inédit. Le coup de vieux, c’est un super truc pour une épopée: on a vraiment dix ans de plus et dans l’histoire, il s’est vraiment passé dix ans. Seules les sagas peuvent se permettre de jouer avec le temps. Si ça se trouve je ferai encore Kaamelott quand j’aurai 80 ans, si jamais j’y arrive!

Il y a une belle scène où vous jouez avec le temps dans l’album. Les chevaliers sont prisonniers et s’ennuient. Alors ils décident de se taire… Ce qui est très rare dans Kaamelott!

C’est une chose que je m’autorise un peu plus avec le temps - et avec l’âge aussi. C’est quelque chose que je trouve assez touchant en BD. Je ne l’avais pas fait jusqu’à présent. Ils attendent la mort. Ils sont figés. J’ai bien aimé les faire s’allonger par terre et les faire attendre.

Quatre cases de la BD Kaamelott
Quatre cases de la BD Kaamelott © Casterman

Il y a une mort assez violente dans Les Renforts maléfiques. Kaamelott ne nous avait pas habitués à cette brutalité...

Il y a quelques morts dans Kaamelott, qui sont plutôt évoquées. C’est un truc qui m’a fait relativement peur quand j’ai commencé à écrire de la comédie, quand j’avais vingt balais. La mort frontale est plutôt interdite en comédie. Je sais que j’ai écrit une comédie dramatique, une comédie qui assume tous les penchants noirs de ses personnages et même qui part du principe que la comédie se fait sur un fondement sombre. Mes modèles étaient les comédies italiennes des années 1960, comme Le Pigeon ou Le Fanfaron. Je me suis habitué à ne plus avoir peur de la mort. Si on prend la mort comme une galère de plus dans la vie, comme un obstacle de plus, ou voire comme une réjouissance de plus pour certains, je pense qu’il n’y a pas de raison de s’interdire d’en parler.

Vous y faites référence dans l’album. "Il ne faut pas se suicider", dit Arthur.

Venant de sa part, lui qui va se suicider dans la saison 5, c'est un peu bizarre. Mais je pense que quelqu’un qui va se suicider, c’est forcément quelqu’un que la mort habite. C’est normal qu’il ait des petites règles comme ça: s’il reste un petit truc à faire, autant rester. C’est bien son genre de dire de ça. [Son suicide dans la baignoire, ce n’est pas une idée conventionnelle], mais je suis assez fier d’avoir tenu le coup là-dessus. Je ne vends absolument pas de la bonne humeur. Je déteste ce mot-là. J’essaye bien humblement d’écrire des comédies, du mieux que je peux. Les comédies ne devraient pas être un genre. La comédie, c’est un vernis, une élégance que vous passez sur l’histoire que vous racontez en ayant l’obligeance d'avoir des personnages crédibles, donc un peu faiblard, un peu menteur et un peu de mauvaise foi.

On retrouve dans l’album le lexique kaamelottien: "pignouf", "ahuri", "glands", "marotte"... Vous recherchez toujours la sonorité des mots quand vous écrivez. Est-ce que vous jouez à voix haute les répliques une fois que vous les avez écrites pour vous assurer qu’elles sonnent bien?

Je n’ai pas besoin de gueuler, mais en revanche je suis incapable d’écrire si je ne sais pas qui va le dire - ce qui est un peu paradoxal pour la BD, puisque personne ne va le dire. Ce sont les acteurs qui me disent comment ils parlent. Les acteurs disent toujours: 'Quand on bosse avec Astier, il est à la virgule près.' C’est vrai, mais parce que musicalement ça sonne bien pour eux. Ça m’est déjà arrivé d’écrire des personnages génériques, parce que je n’avais pas l’acteur qui allait le faire, mais ce sont toujours des dialogues que j’ai modifiés une fois que je savais que l’acteur était choisi.

Une case de Kaamelott
Une case de Kaamelott © Casterman

Quel est le personnage le plus difficile à écrire?

Moi, pas mal, parce que [Arthur] est dans le discernement. Il y a très peu de personnages dans le discernement [dans Kaamelott]. Je me suis retrouvé parfois à lire des scènes où Arthur était dans le flicage des gens qui ne comprennent pas, dans le rétablissement du propos. Ce n’est pas forcément comme ça que je le préfère. Je le préfère proactif, quand c’est un emmerdeur, qu’il a du sarcasme. Comme tous les personnages mettent en scène l’incompréhension et la communication ratée, c’est facile de mettre Arthur sur une chaise d’arbitre de tennis et puis de regarder les balles passer. Il faut que je m’investisse dans l’écriture d’Arthur.

Quelle est la suite pour Kaamelott?

En BD, il y a un tome 10, dont le titre est déjà sur le quatrième de couverture: Karadoc et l'icosaèdre. C’est encore un hommage aux jeux de rôle. Au cinéma, on va sortir le film et on va voir comment ça se passe, si les gens l’aiment suffisamment pour que je continue cette trilogie dans les années qui viennent.

Le film est-il auto-conclusif?

Ah bah non, c’est une trilogie! Vous me demandez si je l’ai fini en laissant une ouverture au cas où? Non, non. Ce n’est pas au cas où. C’est juste pas fini.

Il faut vraiment que les gens y aillent, alors...

Il y a une fin que j’adore, c’est celle de L’Empire contre-attaque. Elle est bizarre, cette fin. [Luke] est là, devant la vitre, il vient de se faire réparer la main, il est encore tout crade de son combat. On laisse le méchant en position de puissance énorme. Celui qui veut s’arrêter là, il s’arrête là. Il s’est passé quelque chose. La fin du film [Kaamelott], elle est... si on veut s’arrêter là, on s’arrête là, mais ça serait dommage (rires).

Si le film est un carton, le prochaine BD sera-t-elle repoussée?

Tout dépend. On a peut-être un autre projet en BD.

Différent de Kaamelott?

Pas forcément différent de Kaamelott. Mais un truc un peu à part, un truc qui ne fait pas forcément partie de la série que vous connaissez. Je devrais me mettre assez vite à la réécriture. De toute façon, j’essaye de ne jamais vraiment arrêter d’écrire de la BD.

Où en êtes-vous de Kaamelott Résistance, qui doit raconter ce qui se passe entre la série et le film?

C’est toujours un petit mystère pour moi de savoir comment je vais raconter ça. Kaamelott Résistance pourrait être un bouquin, une BD ou un livre illustré - mais pas une série animée. Il va falloir que je lui trouve un mode bien à lui. Peut-être quelque chose de plus calme, pour une fois. Peut-êtres des livres, une série de nouvelles. Ce sera peut-être plus anonyme. Si jamais je sors les bouquins, il faudra que j’accepte le fait que ça ait moins de répercussions, moins de public.

Vous sentez que cette histoire doit exister à tout prix.

Je suis sûr de devoir la raconter, parce que cette période de dix ans où tout le monde était soit dans la collaboration avec l’ennemi, soit dans la résistance à l’ennemi en l’absence d’Arthur est un moment très particulier de la saga et ça serait hyper dommage que ça n’existe pas. Je suis content que ça sorte après [les films]. Les sagas, c’est toujours un petit peu le bordel. Je sais que c’est intimidant. Mais il faut tenir le coup. C’est une chance d’écrire des sagas. Elles se compliquent évidemment, parce que vous avez une multitude de mondes et de choses à raconter. Mais c’est très agréable d’avoir ça dans sa musette d’auteur. Vous ne pouvez pas vous lasser, parce que à chaque fois que vous avez envie d’un truc, vous le faites. Le monde médiéval fantastique peut tout tenir: une enquête à la Columbo, une romance, même de la science-fiction! Ce n’est pas du tout chiant de vivre avec Kaamelott. Je ne trouve pas de frustration encore.

Kaamelott, Tome 9, Les Renforts Maléfiques, Alexandre Astier (scénario) et Steven Dupré (dessin), Casterman, 48 p., 13,95 euros (livre) ou 9,99 euros (ebook).

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV