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"Le 93 est oublié": pourquoi les professeurs de Seine-Saint-Denis sont en grève depuis la rentrée

De nombreux professeurs de tout le département sont en grève depuis lundi 26 février pour dénoncer leurs conditions de travail. Manque de moyens, bâtiments insalubres... ils réclament un plan d'urgence.

Sureffectifs, bâtiment dégradé, manque d'enseignants... les établissements scolaires de la Seine-Saint-Denis ont dit stop. Depuis la rentrée ce lundi 26 février, collèges et lycées du département sont en grève. Tous dénoncent de très mauvaises conditions de travail, autant pour les élèves que pour les professeurs. Beaucoup estiment que la Seine-Saint-Denis est clairement mise de côté.

"Le 93 est oublié", dénonce Hanaine Ben Hadj, présidente de l'Union locale FCPE de Villepinte auprès de BFMTV.com. "On fait partie de la France, de l'Île-de-France. Mais ils se disent 'qu'ils restent dans leur misère.'"

Le manque de moyens et de professeurs devient de plus en plus alarmant chaque année, dénoncent les parents d'élèves et les professeurs du département. Selon l'intersyndicale, il manquerait près de 5.000 enseignants dans ce département, qui est le plus jeune de France.

Sans compter le manque d'accompagnement pour les élèves en situation de handicap, les classes en sureffectif ou encore le manque d'investissement dans les bâtiments eux-mêmes.

Mardi 27 février, ils étaient ainsi 200 professeurs à manifester devant la direction des services départementaux de l'Éducation nationale à Bobigny. Les professeurs grévistes dénoncent aussi la politique menée par le gouvernement, comme la mise en place de groupes de niveau par exemple, mais aussi des économies faites "sur le dos des enfants".

"On fait des économies de 700 millions d'euros puis on dépense 200 euros par enfant pour un uniforme", pointe du doigt Hanaine Ben Hadj. "Que l'on prenne cet argent pour recruter!"

"Une jeunesse qui se sent méprisée"

Cette mobilisation générale est aussi le résultat de revendications locales. Ce lundi, le département comptait 40% de professeurs grévistes. Le collège Georges Braque à Neuilly-sur-Marne est quant à lui resté portes closes.

Dans cet établissement, ils dénoncent le passage, à la rentrée scolaire prochaine de 680 élèves à 800, et cela sans moyens supplémentaires. "On n'est même pas en capacité d'accueillir tous les élèves en même temps dans l'établissement", explique Florient Renaud, professeur d'histoire-géographie sur BFM Paris Île-de-France.

"On manque de chaises, on manque de tables", enchérit Claire Pellas, professeure de français. "On manque de matériel très basique pour enseigner."

Au collège Les Mousseaux de Villepinte, les classes surpeuplées couplées avec le manque de moyens et de professeurs se fait aussi ressentir. Dans cet établissement, 68% des professeurs ont fait grève ces lundis et mardis.

"Je suis arrivée au sein de l'Éducation nationale il y a un an et demi, et c'est pire que ce à quoi je m'attendais en termes de manque de moyens", décrit Juliette Grisolia, professeure d'histoire-géographie.

Une seule accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) est disponible pour tout le collège, malgré la présence d'une classe spécialisée. L'ascenseur du collège est également en panne, rendant difficile pour les élèves à mobilité réduite l'accès de certaines classes.

"On n'a pas les moyens de faire notre travail correctement", souffle-t-elle.

Du côté du lycée Eugène Delacroix à Drancy cette fois-ci, c'est l'état du bâtiment qui fait grincer des dents. En 2017, le lycée a été inclus dans un plan d'urgence rénovation des lycées franciliens, mais six ans plus tard les travaux n'ont toujours pas commencé.

"Les fenêtres ne ferment pas, les murs sont dégradés, on a des graffitis dans les couloirs, on a des zones totalement laissées à l'abandon faute de moyens", affirme Kévin Duranton, professeur de français.

"Tout ça fait que l'on se retrouve avec une jeunesse qui vient dans un lycée pour construire son avenir et qui se sent profondément méprisée", continue l'enseignant.

Un plan d'urgence estimé à 400 millions d'euros

Alors le corps professoral de la Seine-Saint-Denis s'est réuni pour dénoncer ensemble les conditions d'apprentissage de leurs élèves. La grève a été reconduite jusqu'à jeudi 29 février et est en passe de durer.

"On va se rallier aux enseignants et sûrement faire appel à l'école morte pour vendredi et lundi et demander aux parents d'élèves de ne pas emmener leurs enfants à l'école pour soulager financièrement les professeurs", confie Hanaine Ben Hadj à BFMTV.com.

"On s'organise pour mobiliser les parents", confirme la professeure d'histoire-géographie Juliette Grisolia. "Sans eux, on ne peut pas réussir."

Les professeurs grévistes demandent principalement un plan d'urgence pour l'ensemble des établissements du département.

"On a demandé à chaque établissement de chiffrer combien il manquait de professeurs, les moyens en termes de bâti scolaire etc", explique Félix Patiès, enseignant et représentant syndical à Aubervilliers.

"On est arrivés à un chiffre de 400 millions d'euros pour l'ensemble du 93."

Avec ce plan d'urgence, les enseignants espèrent aussi réduire les inégalités entre les enfants de la Seine-Saint-Denis et ceux du restent de l'Île-de-France. "C'est extrèmement important pour l'État et la République de faire en sorte de compenser ses inégalités sociales", continue Félix Patiès.

Le député de la 2e circonscription du département, Stéphane Peu, a soutenu la mobilisation des enseignants et la demande d'un plan d'urgence. Il a alerté la nouvelle ministre Nicolas Belloubet de la situation des établissements scolaires en Seine-Saint-Denis dans une question écrite en "insistant sur l'urgence de sa communication".

Un appel à se rassembler massivement a aussi été donné 7 mars prochain. "Le but est aussi de laisser le temps au premier degré de se mobiliser, car ils doivent déposer un préavis de grève 48 heures à l'avance", explique Juliette Grisolia.

Des actions coups de poing ne sont aussi pas à exclure. "On va discuter et peut-être bloquer les grands axes de la ville", réfléchit par exemple la présidente de l'Union locale FCPE de Villepinte.

Juliette Moreau Alvarez, Chloé Berthod et Oriane Voisine